BM-BU, compagnons de route ?

Cécile Touitou

Paysage universitaire et politiques de site

En introduction à la journée d’étude organisée par les groupes régionaux Île-de-France et Paris de l’ABF, le 25 avril 2013, à la bibliothèque de l’université Pierre et Marie Curie (BUPMC) – Paris 6, Christophe Pérales (président de l’ADBU et directeur du SCD de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) a brossé le tableau du paysage changeant des bibliothèques universitaires au cours des années récentes dans le contexte encore instable d’une prochaine loi sur l’enseignement supérieur et la recherche  1. Il est revenu sur la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) – communément appelée loi sur l’« autonomie » des universités – consistant plutôt en un transfert des compétences et des ressources, en un renforcement des services centraux de la présidence par rapport aux facultés et en la mise en place d’un pilotage plus efficient dans un contexte de généralisation de la LOLF. Il convenait de créer des pôles universitaires de plus grande taille pouvant concurrencer les universités de premier plan international. C’est le choix du modèle « big is beautiful » qui a été fait selon Chistophe Pérales en favorisant le regroupement des universités pour aboutir à des grands pôles nationaux. Selon lui, ces nouvelles dispositions n’ont pas eu d’impact majeur sur les bibliothèques universitaires. L’ADBU s’était alors prononcée en faveur de la LRU en espérant qu’elle permettrait une meilleure intégration de la fonction documentaire dans la politique de la recherche. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, d’où une relative déception.

À cette modification du paysage législatif, il convient d’ajouter le profond bouleversement qu’entraîne le rapprochement des domaines de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il y a aujourd’hui deux directions générales au ministère en charge de chacun de ces domaines mais une réelle volonté de les rapprocher, d’où la création d’une mission transversale (MISTERD) qui a vocation à couvrir notamment les questions documentaires. Cette mission gère le projet de bibliothèque scientifique numérique  2. La BSN a été découpée en segments, dont un concerne les licences nationales, un autre la numérisation ou encore l’archivage pérenne  3. Un des objectifs qui sous-tend le projet est de fédérer les ressources au niveau d’un site : cela peut concerner à la fois la recherche, les universités mais aussi les établissements de lecture publique situés sur un même territoire. Enfin, à ces évolutions du paysage universitaire s’ajoutent celles induites par le numérique : la simplification de l’accès à l’objet numérique, l’articulation des services présentiels et virtuels, le lancement de nouveaux services sur les réseaux sociaux ou encore la création de learning centers. Selon le président de l’ADBU, il reste difficile d’adapter ce concept basé sur une pédagogie anglo-saxonne à la réalité française. Plutôt que d’adapter l’enseignement tutoré ou le social learning entre pairs, ce sont les concepts relatifs à l’aménagement des espaces que l’on a choisi de retenir en France. Ne faudrait-il pas commencer par traiter de la question de la pédagogie avant de s’inquiéter des espaces et des aménagements, s’est inquiété en conclusion Christophe Pérales ?

BM/BU : des cas concrets

À cette introduction qui laisse entrevoir le futur des mutualisations documentaires par site, a suivi une série de cas concrets. Magali Le Coënt de la BUPMC est revenue sur l’élargissement des horaires dans les bibliothèques de son université qui s’est fait à la fois sous la pression de la demande des étudiants en médecine, de la nécessaire adaptation au calendrier LMD, du déploiement du plan « Réussir en licence  4 » et du label NoctamBU d’avril 2010. Aujourd’hui, certaines bibliothèques ouvrent jusqu’à 23 heures (la bibliothèque médicale de la Pitié) ainsi que le samedi. Les horaires sont différenciés selon la période de l’année, le public accueilli, la taille des équipes et des bibliothèques. La bibliothèque a mené des enquêtes auprès des usagers dont les résultats montrent la grande diversité des besoins en fonction du lieu de résidence des lecteurs, de leur cursus et de leur éventuelle activité professionnelle. En fonction de ces différents impératifs, ils fréquentent à la fois la bibliothèque universitaire, la BPI, la BnF, mais aussi la bibliothèque municipale qui peut se trouver à proximité de leur lieu de résidence ou de travail. En conclusion, retenons que ce sont des impératifs d’emploi du temps qui déterminent souvent le moment de la fréquentation de la bibliothèque universitaire qui doit être ouverte au « bon » moment.

A ensuite été évoqué le projet Biblim  5, portail commun aux grandes bibliothèques limousines, qui réunit depuis 2013 les bibliothèques municipales ou intercommunales de Tulle, Guéret, Brive, Limoges, ainsi que le SCD de Limoges. Le projet initial de catalogue collectif s’est progressivement étoffé d’une bibliothèque numérique patrimoniale qui repose sur l’utilisation de licences ouvertes permettant la libre réutilisation des contenus offerts. Aujourd’hui, en raison des moyens humains encore insuffisants, il reste difficile de faire vivre ce portail. Il s’agit cependant d’un beau succès dont les raisons tiennent à la taille relativement réduite de la région qui permet une bonne connaissance réciproque des différents partenaires. C’est surtout autour des développements du logiciel Koha que les échanges se sont cristallisés. Les réalisations sont désormais tangibles. Il conviendrait, selon Étienne Rouziès, responsable du pôle Patrimoine et Limousin à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, de pérenniser les moyens mis à disposition pour que les assises du projet puissent s’élargir.

Autre exemple de partenariat fructueux entre bibliothèque municipale et bibliothèque universitaire, le cas de Reims où la BMVR travaille avec le SCD de Champagne-Ardenne. Le bâtiment de la médiathèque a été en partie financé par des crédits universitaires, et le SCD met du personnel à disposition de la médiathèque, dans ses locaux. Le partenariat passe également par une collaboration documentaire, et une partie des crédits d’acquisitions est assumée par l’université. Un partenariat plus récent s’est également développé avec l’université technologique de Troyes, qui s’est concrétisé par la gratuité de l’inscription à la médiathèque, des postes informatiques réservés et l’accès prochain à l’ensemble des ressources électroniques de l’UTT. Dans la bibliothèque, les collections de lecture publique et celles destinées aux étudiants sont mélangées ainsi que les espaces. Cette mixité des collections et des espaces est source d’enrichissements réciproques, d’après Pierre Gandil, directeur adjoint.

C’est également la chronique d’un mariage heureux qu’est venu présenter Olivier Caudron, directeur du SCD de La Rochelle. À l’origine du projet, en 1992, le maire, Michel Crépeau, lançant l’aménagement du quartier des Minimes, a souhaité la construction d’une médiathèque. Très vite est née l’idée de créer un lien entre les futures BM et BU. C’est un passage intérieur qui relie aujourd’hui les deux établissements. Ce passage est extrêmement passant, cependant une porte les sépare. Cette extrême proximité des deux bibliothèques a entraîné de multiples réflexions : sur des droits d’accès concertés et cohérents ; sur la complémentarité des collections documentaires (notamment en ce qui concerne les fonds littérature jeunesse) ; sur la carte documentaire relative aux documents sur l’orientation et l’insertion professionnelles. L’accès sur place à la documentation numérique est autorisé pour tous. Certains abonnements de périodiques ont été dédoublonnés. Le directeur du SCD aimerait maintenant mettre en place une interrogation unifiée des catalogues. Les raisons du succès de cette interaction positive tiennent à ce que les locaux sont bien distincts, les missions différentes et les horaires également très différents ! La BM est ouverte une trentaine d’heures contre 62 pour la bibliothèque universitaire. Chacun sait où est sa place et quelles sont ses missions. Enfin, la fameuse porte peut être ouverte, mais aussi fermée !

Agnès de Saxcé, coordinatrice des services aux publics à la Bibliothèque nationale de France, a ensuite évoqué la variété des publics qu’accueille le Haut-du-jardin, accessible à toute personne de plus de 16 ans. Cette bibliothèque d’étude compte 80 % d’étudiants dans son lectorat. Ce chiffre recouvre pourtant une grande variété de profils. Dans les cinq à six dernières années, les lycéens, par exemple, se sont montrés de plus en plus présents dans les mois qui précèdent le bac (jusqu’à représenter 30 % du lectorat de certaines salles, début juin) 6. Actifs, demandeurs d’emploi, créateurs d’entreprise et professionnels de toutes sortes composent également ce public aux besoins spécifiques et différents de ceux des étudiants. Les études révèlent également que les usagers les plus assidus passent d’une bibliothèque à l’autre, quittant la BnF pour la BPI ou Sainte-Geneviève un autre jour, quand ils ne fréquentent pas leur BU, voire leur bibliothèque municipale, selon la règle du cumul bien connue des sociologues des pratiques culturelles. Cette mixité s’incarne aussi dans les différents partenariats que développe la bibliothèque, qui peuvent se manifester sous la forme de visites du bâtiment, d’ateliers de présentation des collections, de différentes formations, toutes choses qui ont récemment abouti à la création d’un poste de conservateur chargé des formations didactiques. Grâce à ces formations, certains étudiants ont réalisé enfin que la Bibliothèque nationale leur était ouverte !

Enfin, Carole Letrouit, directrice du SCD Paris 8, a rappelé que l’université a bénéficié en 1998 de la prolongation de la ligne 13 du métro en même temps qu’a eu lieu l’inauguration de la nouvelle bibliothèque universitaire. La BU accueille ses usagers dans un bâtiment passerelle remarquable, construit par Pierre Riboulet, qui unit les deux parties du campus autrement séparées par un axe de circulation majeur. Depuis son ouverture, la bibliothèque est accessible à toute personne de plus de 18 ans. Le conseil général de la Seine-Saint-Denis a participé à son financement. En contrepartie, il a demandé qu’elle soit accessible à tous. Depuis 2010, le prêt est gratuit pour tous les étudiants d’Île-de-France et pour les habitants de la Seine-Saint-Denis (qui représentent 58 % des 16 000 lecteurs inscrits au prêt, dont des étudiants d’autres universités aux implantations assez proches, comme Paris 13). La BU accueille également un grand nombre de lycéens. Pour favoriser le bon voisinage, la BU accueille des classes de lycée à qui est présentée la bibliothèque. Par ailleurs, les documentalistes des CDI ont été accueillis : de nombreuses idées de futurs partenariats ont émergé de ces rencontres. Forte de ce succès, la bibliothèque universitaire envisage des relations plus avancées avec la bibliothèque municipale et avec l’agglomération Plaine Commune. Cette large ouverture au public environnant a été pensée dès la conception des collections : elle est inscrite dans la charte documentaire !

Pour conclure, la question des études de public a été posée. Bien que certains intervenants aient bien évoqué celles menées dans leur établissement (Libqual dans les BU, des études spécifiques à la BnF...), il a été regretté qu’aucune étude transversale ne soit disponible. Ont été rappelées notamment les études menées dans le passé par l’OPLPP, Observatoire permanent de la lecture publique à Paris  7. Aucune donnée récente n’est disponible sur le public des bibliothèques franciliennes. Que sait-on alors de leurs usages ? Des circuits savants qu’ils empruntent entre ces différents établissements franciliens pour trouver qui une place de travail, qui un livre ? Donc, pour conclure, BM-BU compagnons de route ? Oui ! Mais pour que la voie empruntée soit dégagée, reste encore à consolider ses fondations et à mieux connaître les voyageurs (qui sont, effectivement, ces lecteurs mixtes ?) qui l’empruntent. •

  1. (retour)↑  Le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture fin mai.
  2. (retour)↑  « Porté par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le projet BSN a pour objectif de répondre aux besoins des acteurs de l’ESR en portant l’offre qui leur est fournie en IST à un niveau d’excellence mondiale et en améliorant la visibilité de la recherche française. Il définit un nouveau cadre dans lequel s’organisera l’IST au niveau national. La BSN est répartie en neuf segments d’activités dans lesquels l’Inist-Cnrs apporte ses compétences. » http://www.inist.fr/spip.php?article174
  3. (retour)↑  Lire sur le sujet : Stéphanie Groudiev, « La bibliothèque scientifique numérique : un cadre politique de coordination des actions en faveur de l'IST », BBF, 2013, n° 1, p. 61-65. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2013-01-0061-014
  4. (retour)↑  Plan pluriannuel pour la réussite en licence lancé par le MESR en décembre 2007.
  5. (retour)↑  http://www.biblim.fr
  6. (retour)↑  Lire sur le sujet : Philippe Chevallier et Christophe Evans, « Attention, lycéens ! Enquête sur les publics réviseurs à la BPI et à la BnF », BBF, 2013, n° 2, p. 24-29. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2013-02-0024-005
  7. (retour)↑  La présentation des travaux de l’OPLPP a notamment fait l’objet d’une publication dans le BBF : Aline Girard et Jean-François Hersent, « Les usagers des bibliothèques parisiennes : pratiques de lecture », BBF, 1998, n° 5, p. 45-51. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1998-05-0045-009 (D’autres études sont à consulter dans la bibliothèque numérique de l’Enssib.)