Organiser la médiation des collections scientifiques

Les bibliothèques municipales en action (culturelle)

Justine Ancelin

À partir d’une analyse sur la place des collections scientifiques en bibliothèque municipale, cet article examine d’abord la position des bibliothécaires vis-à-vis de ces fonds, puis évoque l’organisation de ces collections (et leur périmètre) avant de présenter quelques actions de valorisation et médiation. Il se clôt sur la « médiation virtuelle » des fonds scientifiques via internet.

The starting point for the article is an analysis of the place of science collections in local authority libraries. It studies librarians’ attitudes to the collections, how they are organised and placed in the library, and looks at examples of promotion and mediation. The article concludes with a study of the “virtual mediation” of science collections online.

Dieser Artikel untersucht ausgehend von einer Analyse der Stellung wissenschaftlicher Sammlungen in der öffentlichen Bibliothek zunächst den Standpunkt der Bibliothekare zu diesen Beständen und erwähnt dann den Aufbau dieser Sammlungen (und ihres Bereichs), bevor einige Aufwertungs- und Mediationsmassnahmen vorgestellt werden. Er schliesst mit der „virtuellen Vermittlung“ wissenschaftlicher Bestände über Internet.

A partir de un análisis sobre el lugar de las colecciones científicas en biblioteca municipal, este artículo examina en primer lugar la posición de los bibliotecarios frente a estos fondos, enseguida evoca la organización de estas colecciones (y su perímetro) antes de presentar algunas acciones de valorización y mediación. El artículo se termina sobre la “mediación virtual” de los fondos científicos vía internet.

Il relève presque du lieu commun d’affirmer, aujourd’hui comme à la suite de la publication de l’ouvrage de référence dirigé par Francis Agostini sur la Science en bibliothèque en 1994  1, que les sciences occupent une place injustement faible au sein des bibliothèques de lecture publique, tant au niveau de la constitution des fonds que de leur mise en valeur. Cette idée existe aussi dans le sens inverse, puisque plusieurs spécialistes de la question de la transmission des sciences en France considèrent les bibliothèques municipales (BM) comme des parents pauvres de la culture scientifique et technique, voire les excluent totalement de cet univers. Pourtant, depuis quelques années, la « culture scientifique et technique » (CST) est de plus en plus mise à l’honneur. Maintes réflexions ont vu le jour sur la place des sciences dans la culture, mais aussi dans le quotidien des Français  2.

Parallèlement, il a été admis dans le rapport du député Emmanuel Hamelin en 2003 sur la diffusion de la CST  3, et dans le Plan national pour la diffusion de la CST en 2004, qu’en tant que lieux de démocratisation de tous les savoirs, les bibliothèques publiques ont un rôle à jouer dans la « mise en culture des sciences » (J.-M. Lévy-Leblond) et dans ce dialogue nécessaire entre sciences et société. Mais comment les bibliothèques municipales peuvent-elles mettre leur expertise au service de la culture scientifique ? Les fonds scientifiques de ces établissements sont-ils et peuvent-ils être traités de la même manière que les autres quand il s’agit de mener une politique de valorisation, ou de mettre en place un programme d’action culturelle ?

Les réflexions qui vont suivre s’inspirent d’un mémoire pour le diplôme de conservateur des bibliothèques portant sur la situation générale des sciences en BM  4, et pour lequel une enquête par questionnaire a été menée auprès d’une quinzaine d’établissements. Elles porteront dans un premier temps sur la situation des sciences par rapport aux autres disciplines, sur le plan physique (part des collections) et intellectuel (appréhension par les bibliothécaires). Seront ensuite examinées plus en détail les opérations mises en place (ou non) par ces établissements pour en organiser la médiation et la valorisation, sans oublier le lien entre ces activités et la mutation subtile du métier de bibliothécaire qui se dessine aujourd’hui.

Les collections scientifiques en BM :
valoriser un parent pauvre ?

Selon une enquête menée en 1990-1991 par la Mission d’Action culturelle scientifique de la ville de Montreuil, les sciences, qui couvrent deux des dix ensembles de la classification décimale Dewey (classe 5 pour les sciences dites « pures », 6 pour les sciences dites « appliquées » ou techniques), ne représentent en moyenne que 7,5 % des fonds documentaires, les trois quarts des bibliothèques interrogées  5 possédant des résultats inférieurs à ce seuil. Quinze ans plus tard, un mémoire Enssib portant sur cette question dans les bibliothèques de l’est de l’Île-de-France conforte ces chiffres  6.

Notre enquête, menée fin 2012 auprès de BM disséminées à travers toute la France, semble montrer une amélioration de la situation, les fonds scientifiques représentant en moyenne 11,4 % des documentaires. On observe d’assez fortes disparités d’une sous-catégorie à l’autre (importance de la zoologie et de la médecine, au détriment de la chimie ou de l’épistémologie), et une nette prééminence du support « monographie imprimée ».

Le bibliothécaire, le médiateur et le scientifique

Mais l’évolution la plus visible concerne la relation des professionnels des bibliothèques vis-à-vis de ce fonds. En effet, contrairement à la tendance dominante lors de l’enquête de Montreuil, ils semblent aujourd’hui majoritairement à l’aise face à ces collections : même si les formations scientifiques initiales ou continues demeurent rares, seul un bibliothécaire sur quinze considère dans notre enquête les collections de sciences comme plus difficiles à gérer que les autres, quand ils étaient 40 % en 1991. Grâce à l’essor des outils de constitution et de gestion rationnelle des collections auxquels ils sont formés, les professionnels du livre tendent aujourd’hui à devenir non plus des scientifiques (possédant le savoir) mais des techniciens (permettant l’accès au savoir) 7. Ajoutons à cela le fait que, dans tous les domaines, le bibliothécaire doit faire face à un accroissement exponentiel et impossible à maîtriser de l’information. En somme, au bibliothécaire-prescripteur a succédé le bibliothécaire-médiateur, qui, comme le journaliste, « sélectionne des informations, choisit des œuvres à mettre en avant, joue un rôle de guide, de critique 8 ».

À côté de cette évolution du métier de bibliothécaire, on assiste depuis plusieurs années à l’apparition d’une profession nouvelle, celle de médiateur scientifique. « Troisième homme » chargé de renouer les relations entre les scientifiques et le grand public, cet intercesseur a succédé au vulgarisateur, qui entretenait avec son auditoire une relation verticale (con)descendante, comme pouvaient parfois le faire certains bibliothécaires érudits.

L’action de ces nouveaux professionnels de la médiation scientifique se divise en deux branches, identifiées par Olivier Las Vergnas  9. La première vise principalement à « permettre la régulation et le contrôle par les citoyens du développement technoscientifique et de ses impacts sur les êtres humains et leurs organisations socio-économiques », en évoquant collectivement les grandes questions sensibles de la science (big science) au cours de conférences-débats, cafés des sciences et assimilés. La seconde tend, avec des associations comme les Petits Débrouillards, à mettre en avant la connaissance des sciences et techniques par leur pratique (approche individuelle de la little science).

Ces deux courants de médiation des sciences ne sont pas sans influencer les bibliothécaires dans la mise en valeur de leurs collections scientifiques. Car s’ils sont à présent rassurés sur leurs capacités à analyser la pertinence de tous types de supports dans n’importe quelle discipline et se sentent capables de mêler prescription discrète d’ouvrages qui leur tiennent à cœur et réponses aux attentes des usagers, ils préfèrent encore souvent confier l’organisation d’actions spécifiques pour valoriser leurs fonds à des partenaires extérieurs.

Organiser les collections
pour mettre les sciences en valeur

Les dernières décennies ont vu les sciences se complexifier énormément, et se ramifier en un nombre quasi infini de domaines et sous-disciplines. Si les scientifiques hyper-spécialisés eux-mêmes ont du mal à se repérer dans ce paysage, que penser des non-scientifiques ! De nouveaux sujets d’étude tendent par ailleurs à apparaître à la croisée de plusieurs disciplines, perdant un peu plus le profane en quête d’information. C’est donc avant tout dans l’organisation de leurs collections scientifiques, dans leur capacité à y guider les usagers et à favoriser la transdisciplinarité que réside la première tâche des bibliothécaires-médiateurs-scientifiques.

La plupart des bibliothécaires interrogés considèrent l’inclusion des sous-catégories « vie pratique » dans la classe « Sciences appliquées » comme justifiée : en plus d’éviter une distinction qui pourrait être mal vécue entre une culture intellectuelle et légitime des sciences pures, et une culture au rabais (parce que manuelle) des sciences appliquées, cette cohabitation permet à certains domaines de jouer le rôle de produits d’appel par rapport à d’autres, la cuisine moléculaire pouvant conduire vers la physique ou la chimie, le jardinage vers la biologie avancée, etc. Les documents pratiques comme les flores ou les ouvrages didactiques (recueils de recettes entre autres) se trouvent ainsi couramment disposés à des endroits stratégiques de la bibliothèque, en « tête de gondole » des rayonnages scientifiques ou sur des tables de présentation.

De même, les professionnels des bibliothèques s’accordent sur le fait qu’il faut acquérir des ouvrages très médiatisés, comme ceux des frères Bogdanoff, parfois en dépit de leur réputation controversée au sein de la communauté scientifique. Les ouvrages d’autres scientifiques connus, comme Stephen Hawking ou Hubert Reeves, ainsi que leurs biographies, sont également plébiscités par les usagers, qu’ils mènent parfois vers des lectures plus ardues.

Certaines bibliothèques ont par ailleurs recours à des ouvrages de fiction pour favoriser la médiation des sciences, notamment par le biais de romans scientifiques d’auteurs comme Denis Guedj ou Jean-Pierre Luminet (lui-même scientifique) ou d’ouvrages de science-fiction. La bibliothèque municipale de Nantes profite ainsi régulièrement du festival de fantasy et science-fiction « Les Utopiales » pour mener une action hors les murs et proposer des documentaires sur les sciences. Quant à la bibliothèque Buffon à Paris, elle a réuni au sein d’une même table de présentation des documentaires comme Sciences et imaginaire (sous la direction d’Ilke Angela Maréchal) et des romans scientifiques comme Le nain astronome de Chet Raymo, lors de l’événement « Quand la littérature fait savoir » organisé le 24 janvier 2013 dans le cadre du programme « Littérature, enjeux contemporains », auquel a participé l’astrophysicien Étienne Klein.

Ainsi, définir un plan de développement des collections et privilégier certains domaines « porteurs », en en faisant des passerelles vers d’autres plus confidentiels ou impressionnants pour le profane, marquent déjà le début d’une médiation vers les sciences « pures » et de leur valorisation.

Enfin, les BM, contrairement aux autres acteurs de la CST, ont la possibilité de proposer des collections pluridisciplinaires qui leur permettent de créer des passerelles reliant la science à l’ensemble de la culture générale. Cette volonté est particulièrement visible dans l’organisation en départements thématiques qui structure de plus en plus d’établissements depuis les années 1990  10. La plupart comptent un département Sciences, ou Sciences et techniques, regroupant les classes 5 et 6 de la classification Dewey ; mais certains ont voulu rapprocher les sciences d’autres domaines. Ainsi, la BM de Conflans-Sainte-Honorine compte un département Sciences et arts ; et à Saint-Ouen (médiathèque Lucie Aubrac) et Béziers (médiathèque André Malraux), les bibliothécaires ont eu des ambitions encore plus larges en créant des départements Sciences et société, à l’image de la Bibliothèque des sciences et de l’industrie. Le croisement le plus répandu est toutefois Sciences et loisirs, qu’on observe par exemple à Toulouse, Strasbourg ou Valence, à Colomiers et Reims où les collections de sports et loisirs sont intégrées au département qui ne s’appelle pourtant que Sciences et techniques, ou encore à Montpellier.

Valoriser les collections ou médiatiser la science ?
« Big science » et « little science » en bibliothèque

Pour la majorité des bibliothécaires ayant complété notre questionnaire, animer un fonds scientifique signifie avant tout bien le gérer. Néanmoins, il est de plus en plus couramment admis que, puisque 38 % des usagers des bibliothèques y viennent pour autre chose que pour emprunter des livres selon le Crédoc  11, « l’action culturelle n’est pas, pour la bibliothèque, une fonction subsidiaire ou facultative, un supplément d’âme. C’est tout simplement la bibliothèque en action. La fonction d’animation n’y est pas occasionnelle, mais structurelle 12 ».

En revanche, le fait de mettre les fonds au cœur de ces pratiques d’action culturelle, ou au contraire, de profiter de ces dernières pour aborder des sujets et des pratiques qui ne seraient pas (ou peu) couverts par les collections fait encore débat. Même si, de l’aveu des bibliothécaires interrogés, les animations à caractère scientifique sont proportionnellement moins nombreuses que dans d’autres domaines culturels, on retrouve en leur sein un écho de la caractérisation faite par O. Las Vergnas des différents moyens d’organiser la médiation des sciences.

Ainsi, les événements les plus couramment organisés par les bibliothèques sont des conférences/débats et cafés des sciences, parfois réunis en cycles comme à la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon (deux conférences par mois) ou à la Maison du livre, de l’image et du son (MLIS) à Villeurbanne (cycle Éclats de science), ainsi que des expositions. Ces manifestations ont l’avantage de ne nécessiter que peu de matériel et de préparation, simplement des relations avec des universités, associations ou centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI), qui fournissent bien souvent les thèmes et intervenants des conférences, et le matériel des expositions clés en main. Ces événements trouvent leur public, et rencontrent parfois même un succès étonnant, telles les conférences de mathématiques avancées proposées les jeudis après-midi par la BM de la Part-Dieu qui attirent 70 personnes. L’ASTS (Association Science Technologie Société), qui organise régulièrement des manifestations scientifiques sur tout le territoire, reconnaît d’ailleurs rencontrer davantage de succès dans ses partenariats avec les médiathèques du Val-de-Marne que dans des manifestations de plus grande envergure comme son festival Sciences Métisses  13. Mais les bibliothécaires s’accordent à dire que, malgré leurs efforts pour mettre en valeur les ouvrages détenus par leur établissement qui pourraient permettre au public d’approfondir les thèmes abordés (tables thématiques, sélections bibliographiques etc.), ces rencontres n’entraînent pas d’augmentation significative des usages des collections scientifiques  14.

Ce n’est pas non plus le cas de l’autre type de manifestations qu’organisent les bibliothèques, qui relèvent, elles, de ce qu’Olivier Las Vergnas appelle « l’empowerment individuel et méthodologique » permis par les activités du style ateliers pratiques. Ces animations, qui réclament parfois un matériel et des conditions de réalisation (sécurité, etc.) assez exigeantes, se font rares au sein de la programmation « régulière » des bibliothèques. À l’inverse, elles constituent près de la moitié des activités proposées par ces établissements lors de la Fête de la science, en octobre de chaque année.

La Fête de la science

Officiellement instituée en 1992 par le ministre de la Recherche Hubert Curien dans le but de promouvoir la science et la CST auprès du grand public, la Fête de la science a réuni en 2012 plus de 1 400 projets sur tout le territoire. Près de 13 % d’entre eux ont impliqué des bibliothèques de lecture publique (selon Marie-France Chevallier-Le Guyader, ils n’étaient que 3,6 % en 2006  1*). Ces participations ne sont pas égales et vont du simple prêt de salle à l’organisation d’un « programme d’envergure » comme celui du réseau des médiathèques intercommunales d’Ouest-Provence, à l’origine d’une quinzaine d’animations dans plusieurs villes. Mais elles prouvent bien l’intérêt des bibliothèques pour la diffusion de la CST par le biais d’actions culturelles, ainsi que le crédit que leur portent les délégations régionales à la recherche et à la technologie chargées de la validation des projets locaux ; alors même que la suggestion incluse dans le Plan national de diffusion de la CST (2004) de réunir la « Fête de la science » et le salon « Livre en fête » a fait long feu.

  1. (retour)↑  Marie-France Chevallier-Le Guyader citée par Pierre Léna, « La science, une belle province de la culture », Bibliothèque(s), n° 34-35, octobre 2007, p. 15.

En plus de permettre aux établissements les plus actifs en matière de programmation scientifique de compléter les approches plus classiques de la « big science » qu’ils proposent dans leurs débats publics par des orientations « little science », la Fête de la science est bien souvent le seul moment de l’année où les bibliothèques, notamment les plus modestes, osent s’emparer de ce domaine pour leur action culturelle. L’ensemble de la communauté scientifique et des acteurs de la CST étant en effervescence, les bibliothécaires sont alors mieux à même de trouver les partenaires dont ils ont besoin pour organiser ces manifestations.

En effet, la quasi-totalité des ateliers organisés pour la Fête de la science l’ont été avec le concours d’associations comme les Petits Débrouillards, présents pour près d’un quart des manifestations, mais aussi d’associations locales au rayonnement plus limité (Écoute ta Planète, Proserpine, associations d’astronomie…). C’est également le cas de presque tous les ateliers du même genre (réalisation d’expériences pour découvrir certains concepts scientifiques par le biais de la pratique individuelle) proposés en dehors de cette opération d’envergure.

Se lancer dans les sciences : l’exemple des médiathèques de Sartrouville

Dans le cadre de la Fête de la science, les médiathèques de Sartrouville, avec 12 animations, ont proposé l’offre la plus riche de l’année en ce qui concerne les bibliothèques municipales.

À l’origine de cet ambitieux programme, le désir d’instaurer un « moment fort » annuel pour faire connaître les deux médiathèques de la ville auprès du public, mais aussi des tutelles, dans le but de les intéresser aux autres projets de l’établissement. Ajoutons le désir de se raccrocher, pour des raisons de visibilité, à un événement national : les BM de Sartrouville, qui n’avaient pourtant jamais organisé d’animations à thème scientifique pendant l’année, ont choisi de participer pour la première fois à la Fête de la science, en orientant leur programmation autour de l’astronomie.

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La Fête de la science à Sartrouville : un programme bien rempli

Totalement étrangers au monde des sciences et de la CST, les bibliothécaires du réseau n’avaient aucune idée précise de partenaires à contacter, ou des démarches possibles pour demander aides et conseils. C’est donc avec un empirisme absolu que chacun a lancé ses lignes dans diverses eaux, pour voir ce qui allait mordre. Le secteur jeunesse s’est ainsi adressé aux Petits Débrouillards, faciles à repérer sur la carte de la CST du fait de leur renommée nationale. Une dizaine d’astronomes auteurs de livres de vulgarisation scientifique ont été approchés, le premier à répondre de manière favorable a été intégré à la programmation. Pour les expositions sur l’astronomie, ce sont les finances limitées de la bibliothèque qui ont orienté son choix sur celle proposée gratuitement par l’Association française d’astronomie, qui a ensuite offert à la bibliothèque d’animer quelques interventions. De fil en aiguille, tout un programme s’est construit, sans que des institutions comme le CCSTI, un musée scientifique ou la Bibliothèque des sciences et de l’industrie ne soient sollicités.

Cette organisation intuitive n’a pas empêché la manifestation d’être un franc succès. D’abord du côté du public qui a répondu présent, y compris pour une conférence pointue sur le soleil ; mais aussi du côté des bibliothécaires, rassurés d’avoir pu trouver une offre importante et gratuite (ce qui est souvent indispensable pour les petites structures), et ravis de leur collaboration avec des scientifiques qui ont su se montrer très abordables, contrairement aux idées reçues sur l’impossibilité pour les « profanes » de dialoguer avec les professionnels de la science. Si bien que les médiathèques comptent bien poursuivre sur cette lancée l’année prochaine, par exemple autour des mathématiques ou de l’archéologie, en proposant un programme qui, n’en doutons pas, saura tirer parti des tâtonnements de cette première tentative.

    Il apparaît donc que si les bibliothécaires ont intégré le fait que ne pas avoir de formation en science n’est pas un obstacle pour étoffer, organiser et désherber leurs collections, la plupart ne se sentent pas encore assez légitimes pour concevoir et encadrer eux-mêmes les animations pour les mettre en valeur. C’est aux nouveaux spécialistes de la médiation scientifique que les bibliothécaires préfèrent souvent s’en remettre, quand ils savent où et comment s’adresser à eux. Le risque est alors pour les bibliothèques de devenir simples lieux d’accueil des productions des associations ou des CCSTI, sans qu’il y ait de véritable réciprocité des services.

    Les exemples de collaborations réussies entre BM et partenaires extérieurs ne manquent pourtant pas. Dans le cadre de l’événement « Oufs d’astro », le CCSTI du Rhône a ainsi mis en place en 2011 des rencontres dans les trois médiathèques de Vaulx-en-Velin. L’initiative venait des bibliothécaires, qui souhaitaient aborder le thème des innovations technologiques. Le CCSTI a alors été sollicité pour un accompagnement sur plusieurs points : aide à la conceptualisation des rencontres (choix des thèmes, cadrage des sujets, déroulé de la rencontre) ; mise en relation avec les scientifiques intervenant (prise de contact, réunion) ; relais promotionnel sur les outils habituels du service (e-mailing, newsletter). L’animation des rencontres était prise en charge par le personnel des bibliothèques, qui assurait également la logistique nécessaire et la communication locale auprès des usagers. Divers programmes scientifiques aujourd’hui arrêtés, comme le cycle « Livre ta science », avaient également été organisés par les médiathèques de Saint-Ouen en collaboration étroite avec le CCSTI, qui sollicitait en retour les médiathèques, notamment pour la réalisation de bibliographies.

    Mais les conclusions de Science en bibliothèque en 1994 sur la fragilité des relations entre CCSTI et BM sont encore d’actualité, comme le montrent aussi les analyses des relations entre les BM et les associations  15. Ce déséquilibre peut cependant être atténué si les bibliothèques décident de s’emparer du sujet, notamment en insistant pour faire former leurs personnels à l’animation scientifique (ce que fait par exemple le CCSTI de Valence pour les bibliothèques qui accueillent les expositions qu’il réalise), et en allant vers des partenaires extérieurs non plus uniquement pour demander une aide ou une ressource, mais pour proposer ses services et tâcher d’intéresser ces institutions à ce qu’elles peuvent apporter.

    Une piste pour l’avenir : la médiation virtuelle
    des sciences en bibliothèque ?

    L’essor des sites participatifs, des blogs (réseau C@fé des sciences), des portails et des réseaux sociaux (Knowtex) est particulièrement visible dans le domaine de la science. Mais il est également loin d’avoir laissé les bibliothèques sur la touche : en témoignent le développement d’outils collaboratifs consacrés à la bibliothéconomie comme Bibliopédia, la présence de nombreux établissements sur Facebook ou Twitter, les biblioblogs de plus en plus nombreux, et surtout, le rôle majeur des bibliothèques dans la constitution des bibliothèques numériques, incarnation des espoirs que placent les scientifiques dans les archives ouvertes et le partage des ressources.

    Ce développement parallèle d’internet et de ses ressources dans le monde des sciences et dans celui des bibliothèques justifie le rôle croissant que ces dernières ont à présent à jouer dans la gestion non plus seulement de stocks, comme c’était le cas quand les collections des BM n’étaient que supports physiques, mais aussi de flux. Car même si certains bibliothécaires nous ont avoué, en répondant à notre enquête, craindre particulièrement la concurrence d’internet dans leur rôle de diffuseurs de la CST, il reste à assurer la médiation de ces données dématérialisées toujours plus nombreuses. En les signalant, tout d’abord. Les bibliothèques ayant œuvré au classement de leurs collections, il paraît logique qu’elles s’efforcent de structurer de la même manière les données qu’elles sélectionnent sur le web. Plusieurs bibliothèques sont ainsi en train de mener des réflexions sur la proposition de sitographies et de signets, et de rejoindre des plateformes qui fédèrent les projets de ce type pour proposer une offre construite et adaptée aux attentes des usagers  16.

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    Une des sélections web effectuées par les médiathèques de Valence Agglomération sur le Portail multimédia des jeunes : un parcours à la fois ludique et scientifique

    Outre ce pan finalement assez bibliothéco-classique, qui assure la médiation des sciences en valorisant des « fonds » (même dématérialisés), une autre voie s’ouvre actuellement pour les bibliothécaires, rassemblant des établissements selon qui l’infobésité dématérialisée ne saurait éclipser les bibliothèques du domaine des sciences de l’information. On assiste en effet depuis plusieurs années à l’apparition de nouveaux dispositifs, les services virtuels de référence, inspirés du modèle pionnier du Guichet du Savoir à la bibliothèque municipale de Lyon. Par leur intermédiaire, les bibliothécaires mettent à la disposition du public leur expertise dans le domaine de la recherche d’une information qui soit à la fois juste et adaptée à son destinataire. Ces services connaissent aujourd’hui un succès croissant, les usagers (inscrits ou non en bibliothèque) reconnaissant aux bibliothécaires un grand crédit dans ce domaine de la recherche d’information. Or, puisque la société se technicise de plus en plus, et que la plupart des grands débats d’avenir ont partie liée avec les sciences, on serait en droit de penser que les bibliothécaires sont souvent interrogés sur des disciplines scientifiques. C’est ce qu’affirme Bertrand Calenge, selon qui le département « Sciences et techniques » de la bibliothèque de Lyon a fourni 20 % des réponses au Guichet du Savoir en 2006  17.

    On a donc interrogé l’ensemble des bibliothèques du réseau Bibliosés@me  18 sur la proportion des questions qui leur avait été adressées portant sur les sciences. Force est de constater que la situation est plus mitigée que ce que Bertrand Calenge laissait entendre. En effet, sur les 13 BM nous ayant répondu, 7 ont rapporté qu’elles ne recevaient pratiquement jamais de questions sur les sciences, ou alors moins de 5 % du total ; la médiathèque de Strasbourg allant jusqu’à nous préciser que le département Sciences est certainement le moins sollicité de l’établissement. Mais à l’opposé, 18 % des questions posées à la BM de Martigues relevaient de ce domaine. Entre les deux, de 6 à 13 % des questions posées aux BM de Metz, Montpellier et Toulouse, à la BDP de Saône-et-Loire et à la BPI portaient sur les sciences ; les domaines comme les loisirs ou les sciences humaines (sans parler des questions purement bibliographiques) étant plutôt en tête de liste dans l’ensemble des bibliothèques  19. Cette situation est toutefois certainement liée au fait que les BM ne sont pas encore considérées comme des acteurs à part entière de la culture scientifique, et il est probable que quand cet état de fait aura changé, les usagers se tourneront davantage vers elles pour se renseigner sur les sciences et permettre aux BM de valoriser leurs collections.

    Il ressort de ces éléments que les BM semblent avoir bien intégré le fait qu’elles ont un rôle à jouer dans la médiation des sciences et la valorisation de leurs collections scientifiques. Les bibliothécaires ont su adapter (ou ont le projet de le faire) leur offre à la multiplicité et à la diversité des attentes du public dans ce domaine, aussi bien au niveau de l’organisation des collections que de leur mise en valeur. Cependant, le succès en demi-teinte des services virtuels de référence, qui sont pourtant considérés par certains comme les services les plus porteurs pour les bibliothèques dans les années à venir, conforte une remarque qui nous a été faite par la BM de Drancy selon laquelle « s’il y a une régression [de l’intérêt pour les sciences], ce n’est pas forcément la bibliothèque qui est mise en cause ». Il semble que, si l’offre scientifique des bibliothèques a du succès quand elle est physiquement bien visible, voire presque imposée au public (lors des opérations d’envergure de la Fête de la science par exemple), elle ne fonctionne guère en étant noyée dans la jungle du monde virtuel. Dans le domaine des sciences comme dans bien d’autres, l’entremise humaine semble indispensable, comme le montre la multiplication des médiateurs scientifiques. Aussi semble-t-il nécessaire d’appuyer une grande partie du rôle des bibliothèques dans la médiation des sciences sur le rôle des bibliothécaires eux-mêmes, en leur fournissant les outils et la formation (initiale et/ou continue) indispensables. •

    Avril 2013

    1. (retour)↑  Francis Agostini (dir.), Science en bibliothèque, Éd. du Cercle de la librairie, 1994, coll. Bibliothèques. Chroniqué par Anne Kupiec dans le BBF, 1995, n° 3, p. 90-91. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1995-03-0090-010
    2. (retour)↑  Voir entre autres les travaux de Jean-Marc Lévy-Leblond, Daniel Raichvarg ou Bruno Latour.
    3. (retour)↑  Emmanuel Hamelin, Développement et diffusion de la culture scientifique et technique : un enjeu national, Rapport établi à la demande du Premier Ministre auprès du Ministre de l’Éducation nationale, du Ministre de la Culture et de la Communication, de la Ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, La Documentation française, novembre 2003, coll. « Bibliothèque des rapports publics », 83 p. En ligne : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/044000023/0000.pdf
    4. (retour)↑  Justine Ancelin, Les sciences en bibliothèque municipale, mémoire d’étude DCB, Enssib, 2013. En ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-60353
    5. (retour)↑  Deux questionnaires avaient été envoyés à l’ensemble des BDP et des BM des villes de plus de 15 000 habitants.
    6. (retour)↑  Christine Bourguignat, La part des ouvrages scientifiques et techniques en bibliothèque municipale, mémoire d’étude DCB, Enssib, 2004. En ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-910
    7. (retour)↑  « La collection est si importante qu’elle n’est pas maîtrisable, donc créons (s’ils n’existent pas) ou utilisons (s’ils existent) des outils qui nous permettent de ne pas avoir recours à la collection. » Cité dans : Anne-Marie Bertrand, Bibliothécaires face au public, BPI, 1995, p. 148 et 153.
    8. (retour)↑  David Sandoz, Repenser la médiation culturelle en bibliothèque publique : participation et quotidienneté, mémoire d’étude DCB, Enssib, 2010, p. 48. En ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-48311
    9. (retour)↑  Olivier Las Vergnas, « L’institutionnalisation de la “culture scientifique et technique”, un fait social français (1970-2010) », Savoirs, n° 27, 2011/3, p. 9-60.
    10. (retour)↑  Isabelle Mauger, La départementalisation, nouvelle présentation des collections ou nouveau modèle de bibliothèque ?, mémoire d’étude DCB, Enssib, 2002. En ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-703
    11. (retour)↑  Bruno Maresca (Crédoc) avec la collaboration de Christophe Evans et Françoise Gaudet, Les bibliothèques municipales en France après le tournant Internet : attractivité, fréquentation et devenir, BPI, 2007.
    12. (retour)↑  Michel Melot, « Avant-propos », L’action culturelle en bibliothèque, Bernard Huchet et Emmanuèle Payen (dir.), Éditions du Cercle de la librairie, 2008 (rééd.), p. 9.
    13. (retour)↑  Voir le rapport d’activité 2011 sur le site de l’association, http://www.asts.asso.fr
    14. (retour)↑  Une exception notable à cette règle a eu lieu à la MLIS de Villeurbanne après une conférence du mathématicien Cédric Villani à la suite de laquelle les ouvrages de mathématiques amusantes ont été absents des rayonnages pendant plusieurs semaines.
    15. (retour)↑  Marie-France Chevallier-Le Guyader citée par Pierre Léna, « La science, une belle province de la culture », Bibliothèque(s), n° 34-35, octobre 2007, p. 15.
    16. (retour)↑  Mehdi Mokrane, Partenariat et coopération dans le domaine de l’action culturelle : l’exemple du réseau des Bibliothèques municipales de Grenoble, mémoire d’étude DCB, Enssib, 2007. En ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-911
    17. (retour)↑  Voir l’exemple de portails régionaux sur la CST, dont les bibliothèques sont souvent des acteurs importants, comme la BM de Ballancourt sur le portail « Banque des savoirs en Essonne », ou les médiathèques du réseau Ouest-Provence sur le portail « Culture science PACA ».
    18. (retour)↑  Bertrand Calenge, « Sciences et techniques, le versant obscur des bibliothèques publiques », Bibliothèque(s), n° 34/35, octobre 2007, p. 23.
    19. (retour)↑  Sollicité, le Guichet du Savoir a répondu ne pas posséder ce genre de statistiques. Le département Sciences de la Part-Dieu nous a indiqué répondre à environ cinq à six questions par semaine. Toutefois, la grande majorité des réponses sont apportées par un personnel dédié au Guichet, et non par les départements.
    20. (retour)↑  Notons toutefois que la différence est moins nette à la BPI, où les sciences représentaient le 3e domaine disciplinaire concerné par les questions des usagers, avec 126 questions, derrière les sciences économico-sociales (180 questions) et « Sports, arts et loisirs, audiovisuel, tourisme » (144 questions).