Affiche-Action : quand la politique s’écrit dans la rue

par Thierry Ermakoff
Sous la direction de Béatrice Fraenkel, Magali Gouiran, Nathalie Jakobowicz et Valérie Tesnière
Paris, Gallimard, 2013, 144 p., ill., 27 cm
ISBN 978-2-07-013890-6 : 24 €
Catalogue de l’exposition « Affiche-Action, quand la politique s’écrit dans la rue », Hôtel national des Invalides, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, du 14 novembre 2012 au 24 février 2013

«Dans la perspective d’une vie passionnante » (cage d’escalier, mai 1968)



Après « Orages de papier », exposition organisée en collaboration avec la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (que nous avions eu le plaisir de voir là-bas) et la Bibliothèque nationale de France, après « URSS, fin de partie », exposition consacrée aux années Pérestroïka, la BDIC a proposé cette année « Affiche-Action : quand la politique s’écrit dans la rue ».

L’affiche remonte à la plus haute antiquité. On finirait par l’oublier. C’est donc tout à l’honneur de la BDIC que de donner à voir ces éléments d’information, de propagande, ces instruments à usage politique, dans une mise en contexte, comme on dit, remarquable.

D’abord, c’est à l’Hôtel national des Invalides, sorte d’annexe parisienne de la BDIC ; en sortant du métro Invalides, si on évite les taxis, il faut traverser l’esplanade battue par les vents et tout à fait déserte, saluer le planton, se diriger d’un pas alerte et décidé vers l’entrée, s’acquérir d’un droit d’entrée modeste (5 euros) : autant dire, esplanade pour esplanade, que nous préférons celle-ci à celle du Grand Palais ; nous sommes sûrs d’entrer, le prix est accessible et les expositions proposées toujours de haute qualité.

L’Affiche-Action est une suite intellectuellement construite d’affiches – depuis la Révolution française jusqu’aux graphistes contemporains – en passant par la Commune de Paris, la Seconde Guerre mondiale et Mai 1968.

C’est un art du quotidien ; on y croise des informations diverses, toujours émouvantes, qui inscrivent notre histoire nationale dans la longue durée : l’affiche due à Olympe de Gouges, qui ouvre l’exposition, et lui valut la mort, les affiches tirées rapidement de l’Imprimerie nationale, au moment de la Commune de Paris, on y retrouve la signature du citoyen Benoît Malon, les tracts laissés dans les lieux publics pendant l’Occupation allemande, l’atelier sauvage des Beaux-Arts, à Paris, en mai-juin 1968, atelier de fortune qui produisait et acheminait nuit et jour, et enfin les affiches graphiques des concepteurs Pierre Di Sciullo et Vincent Perrottet. C’est un art typographique, puis graphique, et politique ; c’est un mystère de la conservation : dans quelles têtes heureuses a germé l’idée de récupérer ces affiches produites pour l’immédiat, le présent, les mettre à l’abri pour les futurs ? C’est un art au service de la politique, du fait d’armes, de la bataille de rue, de l’information continue ; c’est un art majeur.

Manquent à ce panorama national, pas toujours glorieux, les témoignages de la guerre d’Algérie, dernier grand conflit auquel la France s’est livrée, et, l’actualité nous le rappelle quasi quotidiennement, dont nous n’avons pas fait le bilan.

Que tous ceux (et celles) qui n’ont pu visiter cette exposition se rassurent : la BDIC a fait l’effort d’un fort beau catalogue. Il n’est pas rare que les catalogues ne soient que des versions allégées des œuvres présentées : ce n’est pas le cas ici, on peut vraiment considérer cet ouvrage comme un complément – indispensable – à la visite. Il est pourvu de nombreux textes, dus à Valérie Tesnière, Béatrice Fraenkel, Magali Gouiran, Nathalie Jakobowicz, Dominique Reynié, pour n’en citer que quelques-uns, sur le rôle de l’affiche, sur le positivisme d’Auguste Comte et la place qu’il accorde à l’affiche face au journalisme, sur les techniques, la typographie, le papier, la distribution, l’esthétique : bref, vingt-quatre euros indispensables. Comme le souligne Valérie Tesnière dans son introduction, à l’heure des médias audiovisuels, des réseaux sociaux et autres communautés d’amis, la fonction et le rôle de l’affiche restent suffisamment inscrits dans l’histoire pour demeurer un puissant vecteur de l’art public. Elle a su se renouveler, explorer et développer de nouvelles techniques, conquérir et informer de nouveaux publics, faire émerger de nouveaux talents graphiques, de nouvelles écritures ; un beau passé, un bel avenir, un bel ouvrage, servi par une belle bibliographie.