« Médiathèques, lutte des classes ? »
Le Monde, 16 novembre 2012
Catherine Simon
Ici même est paru récemment un article de Gaël Fromentin 1 sur les bibliothèques vues par Le Monde. Ce nouvel article vient compléter le florilège. Et, surtout, aborde des sujets importants pour les bibliothèques, qu’on se réjouit de voir apparaître dans Le Monde.
En effet, sous le prétexte de présenter la bibliothèque municipale de Meudon, « établissement bipolaire » (comprendre : avec deux implantations), ce sont des questions sérieuses que l’on voit défiler : la diversité des publics, l’accueil, la politique documentaire, l’offre et la demande, le maillage du territoire et (en creux) la démocratisation culturelle.
La bibliothèque de Meudon (44 000 habitants, voisine de Sèvres, Clamart ou Issy-les-Moulineaux) comprend deux équipements, tous les deux de 1 500 m² : la bibliothèque du centre, à la population bourgeoise, et la bibliothèque de Meudon-la-Forêt, ouverte en 2001, desservant les nouveaux quartiers populaires. Cas d’école ! Chaque bibliothèque possède à la fois un fonds commun et des titres adaptés à son public. Chaque bibliothèque touche à la fois un public commun (qui fréquente les deux équipements) et un public qui lui est propre.
L’article montre très bien à la fois la richesse de cette double offre/réponse et ses limites : satisfaire les attentes, les goûts, les pratiques des usagers, d’une part, les conforter/enfermer dans leurs attentes, goûts et pratiques, d’autre part. Les enfants empruntent la Bibliothèque verte 2 à la bibliothèque du centre, des mangas à Meudon-la-Forêt. Les adultes, Claude Simon d’un côté, Barbara Cartland de l’autre. Phénomène connu, même s’il est présenté ici de manière paroxystique : les usagers sont dans la reconnaissance (dans leur univers culturel), les bibliothécaires voudraient qu’ils soient dans la découverte. Reproduction, disait l’autre…
L’article se termine par l’évocation, en miroir, de la bibliothèque Marguerite Duras (Paris, XXe) et de la bibliothèque de Montreuil. La fracture sociale, l’homogénéité des populations, sont à la fois l’environnement (social et urbain) dans lequel s’inscrivent les bibliothèques et ce contre quoi elles contribuent à lutter. Pour le coup, nous sommes dans le bipolaire : satisfaire et attirer le public en lui proposant ce qu’il connaît et reconnaît, et lui proposer autre chose, un léger décalage, de la curiosité, de la découverte (« le service public de la surprise », pour reprendre la belle expression de Dominique Lahary). Les phénomènes croissants d’assignation spatiale, l’absence croissante de mixité sociale, rendent cet exercice de plus en plus compliqué.
Pour autant, il me semble qu’on n’y réussit pas trop mal. Et, côté collections, que l’ouverture vers la culture populaire est indéniable. Vous savez quels ont été les titres les plus empruntés dans les bibliothèques de la ville de Paris en 2011 ? Le Journal de Mickey, Elle, Astrapi, Spirou 3.