Politiques et pratiques de la culture
Paris, La Documentation française, 2010, 303 p., 26 cm
coll. Les notices
ISBN 9782110081452 : 23 €
« L’actualité nous écrase d’écrits. Je recommanderai plus spécialement les dictionnaires. Les dictionnaires sont de bien belles choses. Ils contiennent tout. C’est l’univers en pièces détachées. Dieu lui-même, qu’est-ce, au fond, qu’un Larousse plus complet ? » Ainsi s’exprime Alexandre Vialatte, mais on dirait qu’il l’a écrit tout exprès pour cet excellent recueil de notices, qui fait suite, en le réactualisant complètement, à l’ouvrage Institutions et vie culturelle 1, dirigé par Guy Saez, dont la première édition a paru en 1996, et la seconde en 2005. Car, si ce n’est pas un dictionnaire, force nous est de reconnaître que cet ouvrage contient tout, en effet : des acteurs des politiques publiques (première partie), des domaines artistiques et culturels (deuxième partie), les enjeux économiques (troisième partie) et le modèle français prospectif des politiques publiques (dernière partie).
Comme le précise dès l’ouverture Philippe Poirrier, coordinateur-éditeur de cet ouvrage, l’idée même d’institutions et vie culturelle, à l’heure où les collectivités territoriales, les structures régionales diverses prennent part à cette définition des politiques publiques, est obsolète, ou en passe de l’être : d’où l’idée de recourir à des notices, complétées de focus sur des sujets précis.
Une des grandes qualités de cet ouvrage est que, derrière son contenu profus, diffus, divers, qui s’attache aussi bien aux dimensions politiques, aux sociétés et aux villes créatrices, aux archives, au spectacle vivant, à l’économie numérique, et même aux bibliothèques, il est construit : chaque notice renvoie à une ou plusieurs autres ; bref, c’est une sorte d’hypertexte en format 18 x 26, inclassable (nous avons essayé), d’un poids de 650 grammes, bref un Ipad, et pourtant c’est un livre, mieux même : un véritable travail éditorial dont nous devons la réussite à Philippe Poirrier, dont nous appréciions tout particulièrement les interventions roboratives à l’Enssib.
Sans entrer dans un détail qui pourrait se révéler fastidieux, signalons quelques ouvertures : la notice rédigée par Claude Patriat, « Le ministère de la Culture au fourneau des réformes », qui montre comment la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) porte en germe la fameuse RGPP (révision générale des politiques publiques), ou plus exactement comment cette procédure par programmes, à peu près justifiée quand il s’agit de pommes de terre, de pouzzolane, voire de doses de vaccins, n’a pas vraiment de raison d’être dès lors qu’il s’agit d’artistes, de recherche, de soins, et même de numérisation ; dans ce dernier cas, on arrive vite à googliser la société.
Les notices rédigées par Philippe Poirrier, dont on connaît les travaux (voir par exemple Une ambition partagée? La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales, 1959-2009) 2, et qui, par ailleurs, dédie cet ouvrage à René Rizzardo, tracent une perspective dynamique quant au rôle des collectivités territoriales, en interrogeant le passé (« La construction historique de l’État culturel ») et un possible avenir (« Les collectivités territoriales et la culture : des beaux arts à l’économie créative »).
Dans un tout autre registre, Vincent Duclerc resitue le rôle des archives, et surtout cette sorte d’impensé dont elles sont victimes : c’est bien connu, les archives, surtout quand elles sont communales et, pire encore, quand elles sont rurales, sont un repaire, un nid de généalogistes vrombissants. Or, Vincent Duclerc rappelle fort opportunément que l’archive c’est notre histoire, et qu’elle se doit d’être correctement traitée, matériellement, légalement, et restituée dans sa fonction première, matériau pour le temps présent.
Olivier Donnat revient sur « La sociologie des pratiques culturelles », c’est toujours bon à lire – voire à relire, mais la sociologie n’étant pas une astrologie, les propos d’Olivier Donnat sont ceux que nous avons déjà pu savourer, soit dans l’enquête sur les pratiques culturelles des Français, soit dans le Bulletin des bibliothèques de France, excellente revue.
Françoise Benhamou rédige une longue intervention, « Industries culturelles, mondialisation et marchés nationaux » et, en focus (et en prime, dirions-nous), « Les biens culturels, une exception économique ? ». Sur ce dernier point, elle avance cinq pistes de recherche qui ne sont pas sans nous concerner, nous qui recherchons ces nouveaux modèles économiques : nature des biens, caractérisation de la demande, formes d’emploi, évolution des structures industrielles, évolution des droits de propriété. D’où il ressort que, si l’économiste suppose une préférence du consommateur pour la diversité, ce dernier pourra avoir tendance à choisir la concentration, la prise de risque étant moins forte ; que le phénomène de longue traîne, sorte de tarte à la crème de l’internet, ne semble pas résister à l’analyse empirique ; l’analyse de la forme de structures industrielles, bien connue depuis les travaux de Jean-Yves Mollier, se déploie vers les structures consacrées à l’audiovisuel, à la presse, et même au prix du livre numérique. Quant à l’emploi culturel, il est traité (notice 17 : « Les professions culturelles : un système incomplet de relations sociales ») par Pierre-Michel Menger.
La dernière partie, rédigée par Xavier Greffe, auteur remarqué d’un rapport sur l’attractivité du territoire, traite de « la politique culturelle pour une société créative ». Tout ceci nous semble brillant et fort documenté ; néanmoins, les villes et sociétés créatives, concept déjà ancien, nous laissent un peu de marbre, sans doute parce que le terme même de « créativité » a été maintes fois démonétisé par un usage immodéré ; pour éclairer ce propos, il conviendrait de le nuancer avec l’article que Guy Saez a donné dans le numéro 36 de L’observatoire, consacré aux villes et société créatives3, et justement intitulé : « Une (ir)résistible dérive des continents : recomposition des politiques culturelles ou marketing urbain ? ».
Toutes les notices sont accompagnées de solides bibliographies, de notes diverses.
Un ouvrage à lire toutes affaires cessantes, il y a tellement de livres pas si nécessaires que cela, « un peu comme on choisit toujours la plus lente au supermarché, voilà, c’est pareil, la plus haute est toujours celle des livres à lire », comme le dit si justement Laurent Mauvignier : que celui-ci rejoigne donc la pile la plus basse.