Le chemin de la bibliothèque

Anne Dujol

Les bibliothécaires doivent-ils se préoccuper de pédagogie ?

À cette question récurrente du territoire du bibliothécaire, territoire commun et partagé avec l’enseignant, ou bien territoire séparé mais tout de même dans la proximité, on conviendra qu’il faille revenir en raison de ce qu’Alain Coulon appelle « la rénovation pédagogique des universités » 1.

Je me souviens qu’en 1977, je crois, le sujet de l’épreuve de dissertation du concours de conservateur de l’État était : « Le bibliothécaire est-il un pédagogue ? » À cette question, à laquelle j’avais sans doute de façon malhabile répondu « oui », Jean-Pierre Seguin, alors directeur de la BPI, s’enquérant du sujet et de ma réponse avait rétorqué : « Surtout pas, en aucune façon, laissons cela aux enseignants. »

Des années après, travaillant en bibliothèque universitaire, je m’inquiétais des programmes d’enseignement et des prescriptions de lecture des enseignants de l’université pour m’apercevoir que les conseils de lecture donnés aux étudiants étaient soit inexistants soit trop importants : liste non hiérarchisée à l’ampleur vertigineuse de plusieurs pages. Sauf exception, c’est plutôt le bibliothécaire qui est demandeur des prescriptions de lecture des enseignants, généralement directement auprès de l’étudiant puisque l’enseignant « oublie » d’effectuer le lien entre son enseignement et la bibliothèque.

Sans doute les années passées de pénurie et de misère des bibliothèques quant aux acquisitions comme aux conditions d’accueil y sont-elles pour beaucoup  2.

Et si le principal ennemi des bibliothèques universitaires était les méthodes d’enseignement généralement pratiquées à l’université ?

Je pense ici à mon expérience en bibliothèque universitaire et à la difficulté d’inviter l’étudiant à sortir de ses polycopiés et de ses notes de cours, pour les meilleurs, tant l’accumulation des connaissances demandées à un étudiant des premières années empêche toute découverte personnelle. Grand est le hiatus entre les connaissances attendues et celles dispensées par l’enseignant et la capacité de l’étudiant à s’y retrouver, alors que, le plus souvent, ce sont les repères mêmes qui lui font défaut. Culture du cours magistral qui malgré les TD et TP génère le taux élevé d’échec des étudiants des premières années et empêche la fréquentation « des rayons de la bibliothèque » pour reprendre l’expression de Patrick Parmentier, rayons devenus inutiles puisque si éloignés de ce qui est demandé à l’étudiant  3.

A priori, il est illégitime au bibliothécaire de se préoccuper de pédagogie, puisque l’enseignant seul enseigne. Mais si l’on considère l’autre aspect des choses, l’acte d’apprendre et non plus celui d’enseigner, si l’on considère le « s’instruire » dans son sens le plus large, action d’initiation et d’apprentissage, alors l’interrogation du bibliothécaire devient légitime car il est celui qui facilite, celui qui établit l’offre raisonnée et organisée aux collections, donc aux contenus, celui qui, s’il n’enseigne pas la discipline, en connaît les sources et les donne à voir.

L’université laisse de côté les étudiants les plus faibles sur des critères le plus souvent socioculturels, et non intellectuels, de ceux qui ne savent pas apprendre.

Une université où les enseignants enseignent mais où les étudiants ne s’instruisent pas et qui génère autant d’échecs doit se poser la question des méthodes et de l’accompagnement. Ce qu’elle a d’ailleurs fait en introduisant les tutorats méthodologiques de langue, d’informatique, de documentation ou encore disciplinaires dans les contrats quadriennaux État/Universités aujourd’hui négociés.

Issu des accords de Bologne, le LMD (Licence Master Doctorat), outre son objectif de mise en conformité des niveaux d’enseignement et de diplômes à l’échelle de l’Europe, rénove profondément la pédagogie parce qu’il part de l’étudiant et non de l’enseignant, en favorisant les parcours individualisés où tout compte ou comptera, y compris les apprentissages méthodologiques. Cette notion de parcours de l’étudiant relève d’un enseignement dynamique et personnalisé par objectif ou par projet et vise l’ouverture contre l’accumulation plus ou moins passive de connaissances favorisant et le bachotage, et le polycopié, et le « copier-coller » des esprits.

Les bibliothécaires l’ont bien compris, qui inscrivent les projets de formation documentaire dans les crédits méthodologiques du LMD, à l’image de ce que feront l’université de la Méditerranée, celle de Montpellier I, et bien d’autres encore.

Cela ne sera pas suffisant, si, dans le même temps, les bibliothécaires ne renouent pas les liens avec les enseignants et ne s’impliquent pas avec eux pour la mise en œuvre de l’accès à la documentation au sein des environnements numériques de travail (ENT) et d’e-learning qui se mettent en place : sélection des documents au catalogue, signets, liens directs et immédiats aux documents pour qu’étudiants et enseignants trouvent le « e-chemin » des bibliothèques.