Les jardins : bibliothèques et chercheurs, ensemble pour partager, valoriser, éclairer

Journée organisée par la Société Nationale d’Horticulture de France – Paris, 16 novembre 2015

Emmanuelle Héran

Cette première journée d’étude a opportunément réuni des responsables de bibliothèques et de centres d’archives sur le thème des jardins, « leur histoire, leur art, leur archéologie », afin qu’ils partagent leurs connaissances des fonds, expliquent leurs politiques d’accès et fournissent des outils de travail. Des chercheurs sont venus faire le point sur leur discipline, démontrer ce que ces fonds ont pu leur apporter, voire suggérer des pistes de recherche.

Emmanuelle Royon, responsable de la bibliothèque et du patrimoine de la Société nationale d’Horticulture de France (SNHF), a rappelé l’historique de la société et de ses collections. Dès sa création en 1827, une bibliothèque est constituée. La présence en son sein de l’« art des jardins » montre comment, au XIXe siècle, celui-ci est situé à la croisée des « arts utiles », des « arts d’agrément » et des « beaux-arts ». Des dons de sociétaires et des échanges avec des sociétés savantes régionales ont d’emblée fait sa richesse. Aujourd’hui, la bibliothèque de la SNHF compte, outre 1289 périodiques spécialisés, 10 000 monographies, dont 4 274 monographies anciennes, et 3 200 documents. A signaler : des catalogues de pépiniéristes et de matériel de jardinage. Depuis 2005, la SNHF alimente un portail intitulé Hortalia et son catalogue est en ligne depuis 2012. Des revues, comme le Journal de la SNHF (1827-1870), sont ainsi accessibles, de même que des reproductions de gravures ; les monographies sont en cours de numérisation. En 2016, le logiciel Koha sera mis en place, afin d’améliorer le portail, grâce au soutien de Crédit Agricole d’Île-de-France Mécénat.

Pour cette journée d’étude, l’accent a été mis sur l’importance des fonds des collections parisiennes : ceux de la bibliothèque des Arts décoratifs, de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et bien sûr de la Bibliothèque nationale de France (BnF).

Arnaud Dhermy, coordinateur scientifique du portail Gallica, a retracé les grandes lignes de la coopération nationale de numérisation et de valorisation, qui a fait de la Bibliothèque nationale de France une tête de réseau. Puis Luc Menapace et Colette Blatrix ont donné le mode d’emploi de la nouvelle interface de Gallica, en ligne depuis le 1er octobre 2015. Grâce, entre autres, à une reconnaissance optique de caractères plus performante et à la possibilité de découper aisément des illustrations, elle offre des découvertes insolites, comme les Drôleries végétales. L'Empire des légumes, mémoires de Cucurbitus Ier (1851) qui ont séduit la salle. A noter : la SNHF est pôle associé de la BnF depuis 2012.

Les trésors de la bibliothèque des Arts décoratifs ont été présentés par son ancienne directrice, Josiane Sartre. De nombreux dons et legs expliquent sa richesse, dont ceux d’Ernest de Ganay (1880-1963), pionnier de la discipline, qui la présentait comme le « jardin du travail fécond », et de Marguerite Charageat, la collaboratrice de Lucien Corpechot pour son ouvrage sur Parcs et jardins de France. Les jardins de l'intelligence, paru en 1937. Josiane Sartre a montré une sélection d’ouvrages précieux, du superbe Hortus sanitatis. Tractatus de herbis…, publié à Mayence en 1491, à ceux du paysagiste André Véra, en passant par les méthodes ornementales fondées sur l’étude de la plante mises au point par Maurice Pillard-Verneuil, Eugène Grasset ou Henry Lambert, chefs-d’œuvre de l’Art Nouveau. Le fonds Ernest de Ganay comprend sa fameuse bibliographie datée de 1944, qui a été publiée sous le titre Entre bibliothèque et jardin, Besançon, Editions de l'imprimeur, 2005, nombre de manuscrits, dont certains inédits, sa correspondance et une anthologie de poèmes. Rappelons les ouvrages majeurs de ce chercheur : Les Jardins à la française en France au XVIIIe siècle en 1943, Les Jardins de France en 1949 et André Le Nostre (1613-1700) en 1962. Enfin, la célèbre collection iconographique Maciet est une mine, avec ses séries « Jardins », « Plantes » - une centaine d’albums -, mais aussi « Architecture châteaux », « Vases », ou encore « Fontaines ». Les albums comptent 1779 tirages de photographies d’Eugène Atget (1857-1927). Si certains ont été retirés pour être exposés et reproduits, tous sont désormais en réserve.

Lucie Fléjou, conservatrice au service du patrimoine de l’INHA, a exploré le fonds de la Bibliothèque d’art et d’archéologie créée par le couturier Jacques Doucet (1853-1929), dont l’Institut est l’héritier. Elle a mis en avant la sensibilité du collectionneur à l’art des jardins – ce qui n’a pas été sans influence sur ses créations de couturier. Le chercheur trouvera, sous forme numérique, des vues de résidences et jardins célèbres (Androuet du Cerceau, André et Claude Mollet, Boyceau de La Barauderie), des recueils de gravures proposant des vues de résidences royales (les Pérelle, Silvestre, Lepautre…), des modèles de jardins ou d’ornements de jardins (Vredeman de Vries, Blondel, Pierre-Edme Babel), des exemples de parterres de broderie que l’on peut rapprocher des arts décoratifs.

Camille Duclert, du service interministériel des Archives de France, a retracé l’élaboration du Guide des sources relatives à l’histoire des parcs et jardins. Cet instrument de recherche, disponible sur www.archivesportaleurope.net, a nécessité trois années de travail, grâce aux forces des Archives nationales, grâce à un financement de la Fondation des Parcs et jardins de France et de la Fondation Florence Gould. 70 % des centres d’archives nationaux, régionaux, départementaux et municipaux sollicités ont répondu à l’enquête. Le guide décrit 1 300 fonds, qu’il s’agisse d’archives émanant du pouvoir central, des pouvoirs locaux, ou de métiers, établissements d’enseignement, sociétés savantes et propriétaires privés. Si des fonds ecclésiastiques contiennent ainsi de beaux plans d’abbayes, si des fonds familiaux nous renseignent sur des jardins de châteaux, il ne faudrait pas omettre les jardins ouvriers révélés par les Archives du monde du travail à Roubaix. A signaler : les séries FI des archives départementales, qui contiennent nombre de cartes postales.

Le MNHN a été présenté par Pascale Heurtel, responsable du service des collections, comme un cas d’école, car le jardin des Plantes a toujours eu une vocation pédagogique. De plus, il conserve ses archives à partir du milieu du XIXe siècle, avec un fonds iconographique très important. De fait, la bibliothèque offre d’immenses possibilités aux historiens des jardins, de l’art dans les jardins – architecture, sculpture -, mais aussi aux historiens des végétaux ou de l’enseignement botanique et agricole. On y trouve de quoi labourer des friches, comme l’histoire des jardiniers – les dynasties des Thouin et des Jussieu –, l’étude de la végétalisation des parcs zoologiques – la ménagerie en offre un bon exemple - ou l’histoire sociale des jardins comme lieu de promenade, jusqu’aux nouvelles pratiques sportives.

Arnaud Dhermy est revenu expliquer le rôle des revues de sociétés savantes, qui existent depuis la Monarchie de Juillet. Ces sociétés ont maillé le territoire entre 1830 et 1914. Les recherches collectives qu’elles ont initiées et menées sont des « marqueurs d’intérêt sur certaines thématiques ».

Stéphanie de Courtois, enseignante au master « jardins historiques et paysages » à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles, a fait le point sur les recherches récemment menées sur les jardins au XIXe siècle, dont l’importance est écrasée par la référence versaillaise. Pourtant, ce siècle a vu le renouvellement et la création de quantité de jardins, comme l’ont démontré les études sur Alphand, Barillet-Deschamps et les parcs et jardins parisiens, sur le comte de Choulot, Edouard André, les Bühler et le récent colloque sur Henri et Achille Duchêne. Il faut signaler la mine que constituent les revues comme L’Illustration horticole, La Revue horticole ou Le Moniteur horticole. Cependant, les monographies manquent. Le champ est ouvert également pour l’étude des publics des jardins, de leur économie, du régionalisme, des jardins de peintres. C’est seulement sur la base d’études fouillées que l’on pourra « désimplifier » pour retrouver la richesse d’une période que les adjectifs « éclectique » ou « mixte » ne suffisent pas à décrire.

Enfin, Amina-Aïcha Malek, chargée de recherche au CNRS, a évoqué l’apport de l’archéologie des jardins, qui a commencé dans les années soixante et qui, loin de se limiter aux jardins antiques, s’étend aux jardins plus récents et gagne le monde entier. Ainsi, des vestiges mal interprétés sont aujourd’hui mieux compris, tel ce prétendu chantier naval chinois qui, à Ghuangzhou, s’est révélé être un jardin du IIe s. av. J.-C.

Parmi les compléments apportés par la salle, la mention du portail allemand – avec traduction anglaise - Zandera qui permet la consultation de nombreux ouvrages, grâce à une politique de « digitalisierte Gartenliteratur ».

A l’issue des discussions qui ont suivi les interventions, il est apparu que le sort des archives restait préoccupant. En effet, les services techniques des villes ne songent pas toujours à conserver et à reverser leurs archives. C’est ainsi que, récemment, l’on a jeté de précieux documents sur les jardins parisiens ; les Archives de Paris et la Bibliothèque administrative de l’Hôtel de Ville n’ont pas pu les récupérer. De même, il convient de solliciter les agences de paysagistes pour qu’elles donnent leurs fonds et, pourquoi pas, les ouvrages qu’elles possèdent. Quant aux pépiniéristes, il faut penser à collecter leurs catalogues. Le rôle de ces journées d’étude est précisément de favoriser la prise de conscience de l’importance d’un patrimoine encore sous-estimé.