La bibliothèque est-elle soluble dans le réseau ?
Journée ABF Midi-Pyrénées/Médiad’Oc – 1er juin 2015
Le groupe Midi-Pyrénées de l’ABF, en partenariat avec Médiad’Oc, organisait le 1er juin 2015 à la BMVR José Cabanis à Toulouse une journée d’étude intitulée « La bibliothèque est-elle soluble dans le réseau ? ». Le programme, construit autour d’exemples issus de lecture publique et de l’enseignement supérieur, a permis aux participants de mesurer l’importance de la notion de réseau pour les bibliothèques.
La matinée était plus particulièrement consacrée à des exposés permettant de contextualiser la notion de réseau en bibliothèques en fonction d’une histoire institutionnelle, et de saisir l’intérêt d’une structuration en réseau pour promouvoir et assurer les missions des bibliothèques.
A cet égard, l’intervention conjointe de Dominique Lahary, anciennement directeur de la bibliothèque départementale du Val-d’Oise, et de Catherine Roussy, directrice du SICD de Toulouse, a illustré parfaitement l’ancienneté et l’intérêt du fonctionnement en réseau pour la profession. Les bibliothécaires ont en effet d’abord travaillé en réseau pour les questions bibliographiques (en BU, le catalogage partagé remonte aux années 1980, la naissance du Sudoc en 1998 permettant d’institutionnaliser et de structurer fortement l’identité professionnelle autour de cette activité). D’autres structures en réseau existent bien évidemment aussi depuis de nombreuses années (Cadist dès 1980, Couperin en 1999). Administrativement, les BU sont organisées en réseau depuis le décret fondateur de création des SCD en 1985. Côté lecture publique, le réseau est également un mode de fonctionnement courant et présentant des formes diverses (réseaux endogènes - municipaux, intercommunaux -, hiérarchisés, à structures dédiées, distribués). Quel intérêt d’un fonctionnement en réseau ? Du point de vue de l’espace, une organisation en maillage permet, à l’échelle d’un territoire, de remplir les missions plus efficacement et de manière égalitaire. Du point de vue économique, le réseau permet la mutualisation et une approche économique du développement des services dans un contexte de resserrement des moyens de la puissance publique. Du point de vue de l’humain, le réseau permet de changer l’organisation de travail pour favoriser le partenariat et la transversalité.
La deuxième intervention, conjointe également, de Brigitte Renouf, directrice du SCD de l’université de Saint-Etienne, et de Marie-Pierre Redon, chargée du centre de documentation de l’ENISE, a présenté le cas concret du réseau BRISE, qui fonctionne depuis vingt-cinq ans (un des plus anciens réseaux documentaires de France). Ce réseau puise son origine dans un catalogue commun des périodiques publié par une association de bibliothèques stéphanoises et dans des accords de réciprocité pour les lecteurs. La véritable naissance du réseau a eu lieu en 1988 avec le projet d’informatisation des BM et BU pour mutualiser les coûts, mettre en commun un outil pour proposer un meilleur service aux lecteurs. D’autres structures documentaires ont rejoint le réseau au fil du temps (Ecole des Mines, ENISE, Archives départementales). Ce catalogue commun a permis la mise en place de groupes de travail mixtes, avec une structuration des procédures et des processus de concertation puis de décision. Malgré les difficultés initiales du projet (paramétrages complexes, moins d’autonomie pour les partenaires), le bilan fut largement positif avec, par exemple, la mise en place d’une carte unique pour tous les publics permettant d’accéder à plus de 100 000 documents. Les avantages sont multiples : pour les publics, élargissement de l’offre documentaire et utilisation d’une seule carte ; pour les professionnels, gains économiques et montée en compétence des agents par le biais des échanges professionnels ; pour les tutelles, retombée positive de l’image des bibliothèques et de la ville en général... La scission du réseau dix ans après sa création, dans le cadre d’une réinformatisation devenue nécessaire, en deux structures et deux SIGB distincts (BRISE Ville avec Opsys et BRISE ES avec Ever), n’a pas complètement fait disparaître ce fonctionnement, car l’association créée en 1993 perdure et la carte unique pour les lecteurs a été maintenue. BRISE ES est un réseau stable qui permet de fédérer les collections des BU et des bibliothèques associées et dont le fonctionnement est toujours régi par une convention. La dernière réinformatisation sous Koha pour BRISE ES a changé le périmètre d’association, puisque celle-ci s’est faite avec les SCD Lyon 2 et Lyon 3 dans le cadre du PRES. Les fragilités apparaissent désormais au niveau de l’articulation des établissements membres du réseau dans un contexte qui évolue paradoxalement à l’opposé (autonomie dans le cadre de la LRU, insertion dans des réseaux autres à l’échelle locale, voire nationale). Mais cette réinformatisation qui a scindé BRISE a paradoxalement souligné l’intérêt du réseau, des réseaux. Les deux intervenantes ont insisté sur le maintien d’un esprit réseau, malgré la coexistence des catalogues, par la perpétuation de rendez-vous réguliers, d’une politique de communication harmonisée, et d’une conservation partagée des périodiques sur le territoire stéphanois. Au vu de cette expérience, le travail en réseau, malgré les bénéfices qu’il apporte, pose de nombreuses questions, pour l‘instant sans réponse : jusqu’où harmoniser les pratiques ? Comment concilier des politiques d’acquisition différentes ? Comment concilier politique d’établissement, logiques nationales et logiques locales ?
Après ces présentations générales, la problématique des réseaux fut abordée l’après-midi avec trois focus différents (les personnels, les animations, et le territoire).
Muriel Laurent, directrice du réseau des médiathèques du Val d’Europe, a présenté les modalités de gestion du personnel au sein d’un réseau. Le réseau des médiathèques du Val d’Europe est constitué de cinq médiathèques (une médiathèque tête de réseau entourée de quatre médiathèques de proximité) ouvertes de 2000 à 2007. Ce réseau a été dès l’origine conçu comme un seul ensemble avec une collection documentaire globale, chaque médiathèque de proximité développant un fonds thématique, soit une collection complémentaire au fonds général, soit une collection de référence et avec une carte unique. Les modalités de gestion du personnel ont été également organisées au début du projet et s’inspirent des mêmes principes : les agents sont tous affectés au réseau, les bureaux sont à la médiathèque, les médiathèques de proximité ne sont occupées qu’aux heures d’ouverture au public. Il existe des responsables de médiathèque de proximité, mais cette fonction n’est pour l’agent qu’une mission. L’organigramme est transversal avec une répartition par service : administration, services publics, communication, collections, action culturelle. L’équipe de direction est composée de la directrice et des responsables de secteurs. A l’exception du service Administration, aucun service n’a de personnel en propre, les fiches de poste panachent les activités qui déclinent l’ensemble des actions menées dans le réseau. Tous les agents participent au service public dans l’ensemble des médiathèques, selon une quotité qui varie de 20 à 50 % du temps de travail selon les missions et non selon les grades. Des vues anonymisées de l’organigramme et des fiches de postes ont permis de mieux comprendre cette situation. Cette organisation a été souhaitée afin de valoriser la mobilité et la polyvalence des agents. Chaque année, suite aux entretiens professionnels, il est possible à chacun d’évoluer selon des modalités différentes puisque les fiches de poste restent des constructions propres à chaque agent et s’appuient également sur les compétences ou centres d’intérêt personnels. Muriel Laurent souligne que cette organisation, si elle offre de la souplesse dans l’affectation des missions, est contraignante en termes de planning. Elle souligne qu’il a fallu que chacun trouve ses repères. Et si le contexte de création d’un nouvel établissement avec des règles claires dès le début a facilité l’acclimatation, certains n’ont pu s’adapter. Elle note que l’âge et les expériences précédentes ne sont pas un critère pour expliquer des facilités ou des difficultés pour s’insérer dans ce fonctionnement.
Karine de Fenoyl, responsable des médiathèques du réseau de Tarn et Dadou, est intervenue ensuite pour présenter les animations de sa structure. Le réseau de Tarn et Dadou s’est constitué en 2007 avec des médiathèques existantes et comprend six sites pour 36 agents. Plus de 100 animations par an sont proposées, selon une programmation semestrielle. Chaque site propose un certain nombre d’animations, soit pour le réseau, soit pour une manifestation « locale », que le service culturel doit ensuite valider. Ce mode de fonctionnement pose notamment le problème du délai : entre la proposition longtemps à l’avance puis la validation, il peut arriver que des animateurs ne soient plus disponibles. La communication de site est parfois difficile, certaines actions ayant une communication séparée, comme celles visant la petite enfance. Karine de Fenoyl souligne la nécessité de tenir compte de la spécificité des territoires et la difficulté de trouver une place dans une offre culturelle dense. Cette situation, tout comme l’obligation de prévoir sur le long terme, ne facilite pas l’implication des équipes. Mais la question la plus importante est celle du public, qui parfois ne se retrouve pas dans les animations proposées : le réseau a déjà réorienté certaines actions, modifié les horaires pour tenir compte des usages. Un renforcement de la coordination semble nécessaire avec la création d’un poste dédié à la programmation culturelle.
Romain Madoyan, conservateur à la médiathèque départementale en Haute-Garonne, a présenté l’exemple de son établissement. Le fonctionnement en réseau s’est concrétisé par petites touches, car jusqu’à présent la légitimité restait plutôt au niveau communal. Avec la définition en 2013 de nouvelles modalités pour le subventionnement des communes, la structuration du réseau s’est appuyée sur la normalisation des projets. De plus, le schéma d’intercommunalité n’est pas encore complètement arrêté, et ce n’est qu’en 2015 que le contrat de territoire a été signé. Actuellement, 150 établissements sont subventionnés avec un maillage à trois niveaux, 40 points de desserte par bus et 200 lieux de dépôts. Le bassin territorial, la plus petite unité géographique pour accéder à des services, est désormais prise en compte. Concrètement, la médiathèque départementale a renforcé le suivi des projets avec la mise en place de référents territoriaux et la mise en place de missions décentralisées. Des actions de sensibilisation des élus cantonaux ont été lancées et des réunions de secteur se tiennent deux fois par an. L’ouverture de la nouvelle médiathèque départementale à Labège a favorisé le développement de nouveaux services qui, à leur tour, favorisent les échanges professionnels. L’enjeu majeur reste celui des contrats de territoire et un travail est actuellement en cours avec la métropole toulousaine pour déterminer la manière de travailler en synergie, sans doublon ni scission. Une logique d’animation numérique se met en place et la réflexion se poursuit pour un subventionnement plus efficient. Parallèlement, la médiathèque se réoriente vers un accompagnement du travail en réseau, ce qu’on pourrait appeler le réseau des réseaux avec une présence accrue sur le territoire.
A la lumière de ces expériences et en conclusion, il semble possible de répondre à la question initiale par l’affirmative : malgré certaines difficultés, la bibliothèque est soluble dans le réseau. Par cette forme d’organisation assez naturelle pour la profession, obligatoire ou choisie, l’action de la bibliothèque se diffuse et irrigue un territoire ou une institution pour répondre aux missions qui lui sont confiées.