7e Journée sur le livre électronique (Couperin) – 2/2

Le livre numérique : quels enjeux pour la diffusion des savoirs ? – 3 juin 2014, Paris

Benjamin Caraco

En introduction de cette journée d’études, Pierre Mounier, directeur adjoint d’OpenEdition et coauteur avec Marin Dacos d’un Repères – La Découverte sur L’édition électronique (2010), s’est efforcé de mettre en perspective la question du livre numérique au sein de la problématique plus large de la diffusion des savoirs. La place du livre numérique dans les débats sur le libre accès reste encore réduite à portion congrue alors que le livre demeure l’un des principaux vecteurs de la communication académique pour les sciences humaines et sociales (SHS). Libre accès ou pas, le livre semble depuis quelques années être une espèce éditoriale menacée, en témoigne la prise de conscience consécutive à la publication du rapport de Sophie Barluet, Édition de sciences humaines et sociales : le cœur en danger (PUF, 2004), il y a dix ans déjà. Cette forme d’édition se trouvait déjà en difficulté au début des années 2000 mais la décennie 2004-2014 n’a fait que confirmer cette baisse tendancielle et soutenue des ventes d’ouvrages en SHS.

Est-ce seulement un problème économique ? Pour Pierre Mounier, la crise des usages du livre, observée par les enquêtes pluriannuelles du ministère de la Culture, représente une menace encore plus grande puisque la diminution des pratiques de lecture touche aussi bien les nouvelles générations (parfois désignées sous le nom de « digital natives » ou de « génération Y ») que les générations antérieures. Pis encore, alors que nous n’avons sûrement jamais autant lu (sur écrans), la lecture approfondie perdrait du terrain au profit du feuilletage comme l’a dénoncé – entre autres – un Nicholas Carr   1.

Ce « tableau noir » de l’état de la lecture peut malheureusement être complété par l’indigence de l’offre éditoriale numérique à destination des bibliothèques. Démonstration à l’appui, Pierre Mounier a rappelé que ces offres ne facilitent pas la vie du potentiel client/lecteur en multipliant authentifications et restrictions d’usages via les DRM.

L’oublié du libre accès

Comment alors envisager la relation entre libre accès et livre numérique : comme une menace, un ensemble d’opportunités, ou comme un phénomène marqué par l’indifférence ? Les archives ouvertes sont à l’heure actuelle principalement remplies d’articles, alors que le rapport britannique Finch parle surtout de revues et non de livres à propos de la nécessité de publier en libre accès. L’Europe semble plutôt aveugle dans ses recommandations sur le libre accès puisqu’elle ne différencie pas les différentes formes éditoriales. Le débat est davantage focalisé sur les data alors que la question du livre est encore loin d’être résolue…

Un objet d’expérimentations

Les acteurs s’intéressant au livre numérique en libre accès ne manquent pourtant pas et cela depuis les débuts de l’internet : de l’Américain Michael Hart, fondateur du Gutenberg Project, aux Classiques des sciences sociales du Québécois Jean-Marie Tremblay, en passant par l’éditeur Michel Valensi (L’éclat), inventeur du concept de « lyber », qui a montré qu’il était possible pour un éditeur privé de publier directement en libre accès . L’historien et directeur de la bibliothèque universitaire (BU) d’Harvard, Robert Darnton, a joué un rôle très important sur la question notamment via ses tribunes dans la New York Review of Books qui ont inspiré nombre d’acteurs importants du libre accès  2. Des éditeurs, comme CNRS Éditions, ont rejoint le mouvement en adoptant une politique forte en matière de libre accès, tout comme certaines BU ; citons ainsi celle de Göttingen qui a créé une maison d’édition adossée à la bibliothèque.

Certains collectifs de chercheurs se prennent à publier directement comme OpenBooks Publishers alors que ce type d’initiatives émerge aussi dans le reste du monde, de l’Allemagne à sdvig press à Prague. D’autres expérimentations tirent parti des potentialités du web, ainsi le dernier livre du sociologue des sciences Bruno Latour 3 autour de son enquête sur les modes d’existence. Dans cet état des lieux foisonnant, Pierre Mounier mentionne les plateformes (OpenEdition Books et OAPEN), les modèles économiques en cours d’invention : Knowledge Unlatched, Unglue.it (qui pratique une forme de crowdfunding), les outils techniques (Open Monograph Press) mais aussi les rencontres qui permettent de prendre conscience des enjeux.

Il existe depuis peu, et ce fut une découverte pour la majorité de l’assistance, un catalogue commun référençant les livres numériques en libre accès : le Directory of Open Access Books (DOAB) sur le modèle du DOAJ (J pour Journals) qui concerne les revues. Il donne à la fois une visibilité à cette offre tout comme il valide l’information puisque, pour être référencés, les éditeurs doivent répondre à un certain nombre de critères notamment en termes d’évaluation des contenus. Ce dernier point mérite d’être mentionné car le libre accès a rapidement été envahi (et parfois décribilisé) par des éditeurs prédateurs. Il devient alors nécessaire d’avoir sous la main un certain nombre d’outils, comme le DOAB, pour sélectionner.

Enfin, des chartes de bonnes pratiques ont également vu le jour : le « Code of Conduit » de l’Open Access Scholarly Publishers Association (OASPA) ou encore la « Charte des bonnes pratiques de l’édition scientifique numérique » de BSN7   4.

Tout reste encore à inventer autour du livre numérique en libre accès pour Pierre Mounier (modèles, technologies, pratiques), mais c’est avant tout la nécessaire prise de conscience de la place qu’il reste encore à faire au livre dans le libre accès qui devrait aujourd’hui retenir notre attention !