12es Rencontres Henri-Jean Martin

26 mars 2018 – Enssib

Livia Rapatel

Favoriser le dialogue entre créateurs contemporains et responsables de fonds patrimoniaux ou de médiation culturelle, tel était l’objectif des 12es Rencontres Henri-Jean Martin intitulées « Bibliothèques et artistes ». Car, comme l’a rappelé André-Pierre Syren, directeur de la Valorisation à l’Enssib et responsable scientifique de la journée : « Une bibliothèque ne donne pas seulement à lire, mais aussi à entendre et à voir. Elle “fabrique” du sens par la mise en œuvre de ses collections et par l’interaction qu’elle produit entre les créateurs et ses publics. »

Trois tables rondes ont rythmé la journée. La première a permis d’aborder le rôle des bibliothèques dans la sensibilisation des publics à l’art – une mission que le récent rapport Orsenna souhaite renforcer 1 –, la seconde traitait des relations entre artistes et bibliothécaires puis, l’après-midi, trois artistes contemporains ont témoigné de leur rapport à l’écrit.

L’art à la rencontre des publics

Claire Tangy, directrice de l’Artothèque Espaces d’art contemporain, a rappelé, à partir de l’exemple de Caen, les missions des artothèques, en particulier leurs actions en faveur de la diffusion de l’art contemporain et leur soutien à la création par les acquisitions nécessaires à la constitution d’un fonds de prêt, l’emprunt offrant à chacun la possibilité d’une expérience personnelle et intime de l’art. Parmi les projets de médiation expérimentés, elle a évoqué « Pénélope fait les magasins », une installation d’œuvres dans des cabines d’essayage, ou encore « Ce mur est à vous ! », un espace mural mis à la disposition des emprunteurs pour y accrocher leurs coups de cœur.

Isabelle Westeel a présenté des réalisations menées dans deux contextes très différents. Tout d’abord à Grenoble, première ville à avoir créé en 1976 une artothèque au sein de la Bibliothèque de Grand’Place (bibliothèque Kateb Yacine). Riche de plus 2 000 œuvres (estampes, gravures, sérigraphies) et d’un fonds important de photos, la collection a été déplacée en 2017 dans la bibliothèque d’étude et du patrimoine située en centre-ville. L’objectif est de réunir dans un même lieu le patrimoine d’hier et celui d’aujourd’hui, pour toucher un public plus large, en particulier les jeunes. Le second exemple cité est le partenariat noué en 2011 entre l’mniversité Lille 3 et le musée d’Art moderne de Villeneuve-d’Ascq. La convention a permis l’organisation de plusieurs manifestations artistiques à la BU. Ainsi, en 2014, la bibliothèque universitaire a accueilli une exposition sur l’univers des graphzines et, en 2016, Jean-Luc Parant a réalisé une installation autour des « fantômes » de la BU.

Lors de son intéressante intervention, Jocelyne Deschaux (réseau des médiathèques de l’Albigeois) a expliqué les raisons ayant conduit à l’arrêt de deux manifestations organisées dans les médiathèques d’Albi, la Foire internationale aux livres d’exception et le concours de livres d’artistes. Deux évènements accueillis dans les bibliothèques à l’initiative de la Ville et d’une association locale, mais sans travail de médiation ni lien véritable avec les collections et les publics des médiathèques.

Les relations entre artistes et bibliothécaires

La collaboration entre créateurs et bibliothécaires a été abordée à partir de plusieurs exemples. Florence Codet, responsable des « Rendez-vous des métiers du livre » à la bibliothèque de l’Arsenal, a exposé les objectifs de cette manifestation qui vise à lier livres anciens et création contemporaine et, ainsi, à créer des occasions de découverte, de débats et d’échanges entre les professionnels du livre et le public.

Pierre-Yves Cachard, inspecteur général des bibliothèques, a témoigné de son expérience havraise à travers l’implication de l’université et de sa bibliothèque dans la programmation d’« Une Saison Graphique », importante manifestation culturelle célébrant le design graphique contemporain au Havre. C’est au cœur de la BU – fleuron d’architecture contemporaine – pourvue d’un vaste atrium aux formes onduleuses que sont installées les expositions. Chaque installation nécessite un important travail scénographique pour réinventer l’espace. Une belle occasion de surprendre les étudiants et de leur faire comprendre que la bibliothèque est un lieu de constantes découvertes !

Lors de son intervention, André-Pierre Syren a présenté plusieurs opérations de médiations réalisées à Metz et à Dijon avec différents artistes, parmi lesquels Sarah Monnier pour célébrer Verlaine ou encore le plasticien Tommy Laszlo, qui a fait pousser des fleurs en papier à partir de reproductions de gravures du botaniste messin Pierre-Joseph Buc’hoz. Isaure de Larminat, dessinatrice, graveuse et peintre, dont le travail mêle l’écrit et les techniques d’estampes, a clôturé la table ronde. « Territoires », une installation/livres d’artistes à laquelle elle participe, est exposée à l’Enssib en juin et juillet 2018. Son intervention était une belle transition pour aborder la troisième partie de la journée, qui donnait la parole à trois artistes contemporains, invités à évoquer leur relation à l’écrit.

L’écrit vu par trois artistes contemporains

François Brindeau, relieur et professeur à l’École Estienne, a insisté sur l’importance de maîtriser parfaitement la technique, de faire ses gammes, pour être au service de la création artistique.

Joachim Bonnemaison, photographe, crée des machines optiques pour fabriquer de nouvelles images et composer d’étonnants corpus photographiques. Ses créations panoramiques et ses anamorphoses mêlent concave et convexe, envers et endroit, pour dérouter la perception du spectateur.

Le troisième artiste invité, le plasticien Marco Godinho, a expliqué revendiquer l’utilisation du texte comme un signifiant « flottant ». Pour illustrer ce concept, lors de la dernière Biennale d’art contemporain de Lyon, il a tamponné plus de deux millions de fois les mots Forever Immigrant à̀ l’encre noire et dessiné une forme irrégulière, fluide et vaporeuse sur l’intégralité́ de la façade et les murs intérieurs de la Sucrière. Il se plaît à créer des œuvres à trous, des cahiers déformés par l’eau (Written by water), des installations éphémères, jamais terminées. Il fait sienne la phrase de Jorge Luis Borges : « La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes. »

Xavier de la Selle, directeur des musées Gadagne et grand témoin des #RHJM2018, a clôturé cette journée en évoquant les trois points, essentiels selon lui, à un dialogue fructueux entre bibliothèques et artistes. Il a insisté tout d’abord sur l’importance du lieu et des contraintes liées à son fonctionnement pour les mettre au service de l’art, l’objectif étant de parvenir à faire coïncider le projet artistique avec les missions de la bibliothèque. Il a ensuite rappelé la nécessité de questionner le sens et la finalité de l’alliance à faire avec l’art contemporain. Enfin, il a conclu sur le besoin de réfléchir sur les modalités pour associer pleinement le public à la démarche de création.

Cette journée riche en échanges croisés entre professionnels des bibliothèques et artistes a montré la variété des interactions possibles et les liens forts à entretenir et à tisser entre le patrimoine d’hier et celui qui se fabrique.