Le développement du réseau Mir@bel pour le signalement et l’accès aux revues francophones en SHS
Un exemple d’adaptation aux transformations du numérique
Communication du 23 novembre 2015
Biennale du numérique (Enssib)
Le numérique change les pratiques de la communication scientifique en sciences humaines et sociales (SHS), notamment l’économie des revues et leurs modalités de diffusion et de signalement. La multiplication des accès électroniques aux publications périodiques 1 modifie le travail de valorisation 2 de leurs contenus auprès des publics universitaires, particulièrement dans les SHS où ces accès s’ajoutent aux collections imprimées sans toujours s’y substituer. Elle incite bibliothécaires et documentalistes à repenser leur « approche métier » tout en leur fournissant l’opportunité de développer de nouvelles médiations au bénéfice des utilisateurs.
Le réseau Mir@bel 3 s’est développé en France pour répondre dans la durée à ces enjeux. Parallèlement, il constitue un exemple d’évolution et d’internationalisation d’un réseau documentaire facilitées par l’environnement numérique.
Hypothèses
Aucun service de documentation ne peut faire face seul à la très grande quantité d’informations disponibles sur les revues ni au travail de sélection, de vérification et de signalement. Les problématiques sont multiples :
- Malgré l’existence de grands portails de revues en SHS, l’information demeure très dispersée sur le web, et beaucoup de revues continuent de proposer leurs contenus en ligne sans passer par ces portails.
- Avec le passage à l’électronique, des modèles économiques variés et évolutifs ont vu le jour pour l’accès aux revues et ont compliqué la lisibilité de l’offre. Le contenu fluctuant des bouquets est trop souvent décrit de manière imprécise par les fournisseurs et éditeurs. Les bibliothèques n’acquièrent souvent que des droits d’accès partiels, et leurs publics n’en comprennent pas toujours les contours.
- Le mouvement pour l’accès ouvert amène les bibliothèques à se repositionner sur les priorités de leurs politiques documentaires. Traditionnellement, la valorisation des collections était principalement liée aux acquisitions, lesquelles se réduisent en raison du coût parfois exorbitant des abonnements électroniques et de leurs augmentations annuelles sans comparaison avec l’évolution des budgets disponibles.
- Les bibliothèques veulent maîtriser les métadonnées et les applications face à des solutions commerciales de type « liste de revues » ou « résolveur de liens » qui, si elles rendent un service immédiat, ne répondent pas toujours de façon adaptée, en particulier pour la couverture des ressources francophones. Elles souhaitent pouvoir proposer à leurs publics des sélections de contenus au lieu d’une offre globale uniformisée qui pour une grande partie ne répond pas aux besoins ou spécificités de leurs domaines d’études.
- Des compétences nouvelles en information-documentation et une veille technologique ont aussi besoin d’être partagées pour produire un service évolutif.
La proposition de partager l’information sur les revues, dans une base de connaissance mutualisée 4, apparaît dès lors comme une réponse adaptée. Chaque partenaire peut asseoir les services offerts à ses usagers sur la construction de ce « socle commun », en particulier en intégrant les données de la base de connaissance dans son propre système d’information documentaire.
Une telle mutualisation, à l’initiative d’établissements, peut s’accompagner d’un modèle de fonctionnement relativement léger, qui diffère des grands réseaux documentaires organisés par l’État autour d’une agence spécialisée, comme par exemple le Système universitaire de documentation (SUDOC) avec l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES).
En France, l’expérience de la Base d’information mutualiste sur les périodiques électroniques (BIMPE) a servi de référence dès le début des années 2000 et pendant une décennie 5. Cette base, créée par Dominique Rouger, bibliothécaire au service commun de documentation (SCD) de l’université de Saint-Étienne, proposait aux collègues volontaires de partager le signalement des contenus des bouquets de périodiques souscrits par les bibliothèques 6.
D’autres tentatives de recensement des périodiques électroniques se sont soldées par des échecs, notamment l’application Accès aux périodiques électroniques (APE) de l’ABES « condamnée » par ses « déficiences conceptuelles » 7 ou le projet ERMS (Electronic Resource Management Systems) du consortium Couperin, trop complexe et arrêté en juin 2011 8. Nicolas Morin, conservateur au SCD de l’université des Antilles-Guyane et témoin de l’époque, souligne que le succès relatif de la BIMPE n’est pas sans rapport avec le fait qu’il s’agissait finalement du « projet le moins institutionnel et le plus “pirate” » 9.
Origine du projet
Le projet Mir@bel présenté dans cet article est une réalisation concrète de professionnels de l’information. Sans être un projet de recherche, il présente un réel aspect expérimental avec une méthode essentiellement empirique, inspirée de l’approche Agile 10.
Mir@bel s’inscrit dans la continuité de l’expérience des documentalistes de Sciences Po Lyon avec la réalisation de produits documentaires informatisés et mutualisés 11, initiée dès 1983, avec la création d’une base de référence bibliographique réalisée en réseau, Fripes, puis avec Somrev, base de sommaires sans indexation permettant de couvrir davantage de revues. Fripes et Somrev ont été fusionnés en 2011 dans Sign@l, une application toujours librement accessible sur Internet.
En 2008, l’École normale supérieure lettres et sciences humaines (ENS-LSH) 12, Sciences Po Grenoble et Sciences Po Lyon, trois des partenaires du réseau Somrev, ont proposé une journée d’études autour du signalement des contenus de revues.
L’objectif de cette journée d’études 13 était de mettre en relation les acteurs concernés (bibliothécaires et documentalistes, éditeurs, diffuseurs) afin de faire connaître les expériences de partage et de mise en commun des productions documentaires et de poser la question des nouveaux partenariats possibles. Cette rencontre répondait notamment aux questionnements des partenaires de Somrev sur le référencement des revues francophones en SHS, besoin encore mal pris en compte ou satisfait de façon trop partielle. En complément des présentations de plusieurs bases documentaires anglaise, espagnole et françaises, une table ronde a réuni des acteurs de l’ABES, du consortium Couperin, de l’Institut national de l’information scientifique et technique (INIST), et des portails Cairn.info, Persée et Revues.org pour proposer des pistes de coopération 14.
Lors de cette journée, les trois partenaires ont aussi présenté un prototype de Mir@bel. Le réseau est formellement né six mois plus tard, en juin 2009.
Similaire au projet de la BIMPE, Mir@bel s’en distingue notamment par son attachement à l’objet « revue ». La BIMPE était en effet focalisée sur le bouquet d’éditeur et ne traitait pas de revues isolées, au contraire de Mir@bel qui présente chaque revue individuellement, qu’elle soit ou non présente dans un portail plus large.
De plus, la BIMPE n’avait vocation qu’à servir une communauté professionnelle là où Mir@bel propose également un site web public.
L’autre choix important de Mir@bel, tiré de l’expérience de la BIMPE et du manque de relais institutionnel qu’a connu ce réseau, a été de rechercher un meilleur équilibre entre portage par les établissements et engagement volontaire des professionnels dans le projet. Ainsi a-t-il été décidé de formaliser l’appui des établissements par une convention de partenariat signée avec Sciences Po Lyon qui assure l’hébergement de la plate-forme.
Le paysage des revues francophones en SHS
À l’origine du projet, le périmètre envisagé pour constituer la base de données Mir@bel était celui des revues francophones en SHS, quel que soit leur support de diffusion, y compris les revues non disponibles en version électronique ou disponibles mais en dehors des principaux portails.
Une limite du projet est pourtant de n’avoir jamais cherché à définir précisément ce périmètre. Il n’existe d’ailleurs pas, à notre connaissance, d’étude sur le sujet des revues francophones en SHS, même si quelques rapports donnent des indications utiles pour la France. En 2009, à l’appui d’un constat « d’extrême morcellement de l’offre de revues SHS en France », le Groupement français de l’industrie de l’information (GFII) dénombrait 2010 revues en SHS et estimait à 1,34 le nombre de revues par laboratoire de recherche, sans toutefois préciser l’origine de ces chiffres ni donner la liste des revues 15.
En 2015, dans une étude sur le libre accès et l’audience des revues de recherche SHS en France, Maya Bacache-Beauvallet, Françoise Benhamou et Marc Bourreau 16 ont constitué une base de données sur l’ensemble des revues françaises en SHS classées par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), soit 936 revues. Leur rapport relève que seulement 299 revues, soit 31,9 %, sont présentes sur Cairn.info ou Revues.org. L’étude met en évidence une grande hétérogénéité des choix de présence numérique des revues selon les disciplines.
1. Une base d’information, porte d’entrée sur les revues
Mir@bel est aujourd’hui un site web public, librement accessible, porte d’entrée vers les revues 17. Pour chacune des revues recensées, Mir@bel repère et signale les numéros disponibles en ligne et les conditions d’accès. Chaque fois que possible, des liens profonds sont proposés vers le texte intégral des articles, les sommaires des numéros, les résumés ou l’indexation des articles (figure 1).
Mir@bel agrège automatiquement les informations sur la disponibilité des revues dans les quatre principaux portails francophones (Cairn.info, Érudit, Persée, Revues.org) ainsi que dans la base de sommaires et d’indexation Sign@l.
Les professionnels de la documentation du réseau contrôlent les flux de données automatisés et, parallèlement, mettent à jour toutes les informations que l’on ne peut pas automatiser, en se répartissant un travail régulier de veille sur les revues.
Le modèle de Mir@bel étant centré sur la revue, il ne fait pas de distinguo entre les revues disponibles dans un bouquet commercial et les revues isolées chacune sur son site web. En intégrant ces revues dispersées sur le web dans sa liste de revues, Mir@bel leur donne autant de visibilité que les revues intégrées aux grands portails existants.
La prise en compte des bouquets commerciaux
De plus, Mir@bel ne considère pas a priori le modèle économique de la revue comme critère de sélection et se limite, en première intention, à décrire si l’accès en ligne est « restreint » ou « libre ». Là réside certainement la plus grande originalité de Mir@bel dans le paysage bibliothéconomique actuel : ne pas s’être intéressé, pas directement en tout cas, à la principale préoccupation de tout bibliothécaire quand on évoque les périodiques électroniques, à savoir le modèle imposé des bouquets et le coût des abonnements. C’est à cette condition que Mir@bel a pu se focaliser sur la problématique du signalement de ce qui nous intéresse au fond, c’est-à-dire la revue elle-même et non pas son package commercial.
En pratique, les partenaires de Mir@bel ont constitué la base avec une sélection titre à titre établie essentiellement à partir de leurs listes de revues imprimées, y compris les revues éditées dans une autre langue que le français.
Les partenaires de Mir@bel ont toutefois besoin eux aussi de gérer leurs abonnements à des bouquets. Son modèle original désormais bien établi, le réseau a initié en 2015 une nouvelle phase de développement et prépare de nouveaux services pour améliorer la gestion des collections de revues et personnaliser les listes de revues selon les abonnements du partenaire.
La valorisation du libre accès
Le modèle de signalement bâti par Mir@bel conduit assez naturellement à mettre en évidence les accès libres aux revues :
- en présentant en priorité l’accès libre à une revue, puisqu’il est disponible pour tous les utilisateurs ;
- en distinguant l’accès libre de l’accès restreint pour une même revue, lorsqu’ils coexistent, par exemple sur Cairn.info, ou lorsqu’ils se complètent d’une plate-forme à l’autre, par exemple entre Cairn.info, Revues.org et Persée ;
- en répertoriant des sources non académiques, très utiles dans plusieurs domaines spécialisés (éducation, sciences politiques, informations économiques, etc.), le plus souvent en libre accès.
Mir@bel n’a pour autant pas pour ambition de devenir une base experte sur le modèle de diffusion en accès ouvert : d’autres bases davantage exhaustives et renommées existent pour cela, telles Directory of Open Access Journals (DOAJ) et SHERPA/RoMEO. La stratégie de Mir@bel est davantage de lier le contenu de ces bases 18.
Un portail de rebonds
Les informations de la base Mir@bel ont évolué parallèlement à la présence numérique des revues. L’inclusion d’information et liens complémentaires en provenance d’autres bases fait progressivement évoluer l’outil qui devient un portail de rebonds, une porte d’entrée pour accéder à l’univers en ligne d’une revue. Axé au départ uniquement sur les accès aux contenus de la revue (articles, sommaires, résumés), Mir@bel propose désormais des liens sur tous les sites qui peuvent apporter de l’information complémentaire sur la revue (catalogues, sites web, pages Facebook et Twitter, sites de description bibliométrique ou de présentation de la politique éditoriale, politique de l’éditeur sur le libre accès, etc.).
Production, diffusion et usage
Le travail des professionnels est au cœur de la production de la base de données. Mir@bel est une base centralisée : tous les contributeurs travaillent dans le même système ce qui a nécessité une harmonisation des pratiques et la définition d’un modèle et de formats de données partagés.
Mir@bel a été conçu dès le départ pour permettre des utilisations multiples correspondant à des profils très variés et des priorités différentes des partenaires du réseau. Là ou certains renvoient leurs publics sur l’interface web, personnalisée pour leur établissement, d’autres automatisent l’affichage de ces données dans leur propre catalogue. Ainsi, les informations de la base sont disséminées à travers différents canaux documentaires (figure 2).
Le développement et l’organisation
d’un nouveau réseau documentaire
De trois établissements pilotes en 2009, Mir@bel est passé à seize partenaires début 2011 et à trente en septembre 2015. Les partenaires sont répartis à travers la France et l’Afrique, même si l’on peut noter deux concentrations en Rhône-Alpes et Ile-de-France 19.
L’entrée dans Mir@bel est gratuite et nécessite de s’engager à suivre une sélection de revues et/ou de ressources 20 ; cet engagement peut être très modeste, le réseau n’ayant volontairement pas fixé de minima. La formalisation du partenariat par le système de convention mis en place a permis de structurer l’organisation, et de pérenniser l’engagement en faisant en sorte que les missions dédiées à Mir@bel puissent être inscrites dans les profils de poste des membres du réseau, sans évidemment empêcher aucun partenaire de quitter le réseau, ce qui s’est déjà produit. Néanmoins le nombre de partenaires est encore largement insuffisant pour couvrir les besoins de veille, et c’est une des problématiques permanentes du réseau. Parallèlement, la question d’une participation financière ou d’une institutionnalisation plus forte a été plusieurs fois soulevée, sans que le réseau souhaite aller dans ce sens pour l’instant.
Le réseau regroupe aujourd’hui majoritairement des centres de documentation de laboratoires de recherche, de grandes écoles ou de petites structures, aux côtés de plus rares grandes bibliothèques. Les bibliothèques universitaires françaises notamment, dubitatives ou prises par d’autres problématiques, se sont peu engagées. À l’inverse, le réseau s’appuie sur des communautés d’intérêt disciplinaires, autour des Instituts d’études politiques (IEP) ou de laboratoires du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en anthropologie, linguistique ou sur la thématique transversale du Sud, et plus récemment du réseau des écoles d’architecture. L’intérêt dans cette mutualisation est tout autant la mise en commun et la valorisation de l’information sur les ressources que le partage du travail.
Un environnement numérique favorable à l’organisation du réseau
et à son ouverture internationale
Mir@bel a connu de nombreuses évolutions depuis 2009 mais a dès le départ bénéficié d’un environnement de travail numérique privilégié pour la constitution d’un réseau documentaire : plate-forme web en libre accès utilisable par tous en temps réel, extranet, listes de diffusion dédiées, etc.
L’organisation du réseau est très souple. Un comité de pilotage a lieu en moyenne cinq fois par an. Il est organisé et encadré par les trois établissements pilotes et tous ceux qui souhaitent y participer sont les bienvenus, sur place ou par visioconférence.
L’environnement numérique a facilité l’extension du réseau à l’international, tout autant que l’accent mis sur le libre accès puisque les pays du Sud ont tout intérêt à utiliser les données partagées et mises à disposition par Mir@bel.
L’ouverture sur la francophonie a dès lors paru être un axe de développement, tant sur le contenu de la base que sur la recherche de nouveaux partenaires. La dynamique avec les pays du Sud aurait probablement été meilleure si le projet déposé en 2011 auprès du Fonds francophone des inforoutes avait abouti 21.
Malgré cela, Mir@bel a poursuivi ses efforts en étant présent en 2014 au Congrès de l’Association internationale francophone des bibliothécaires et documentalistes (AIFBD) à Limoges et au Congrès des milieux documentaires du Québec à Montréal. Parallèlement aux contacts pris, une retombée significative de cet investissement est, selon nous, d’avoir perçu la nécessité de décentrer notre regard quand on conçoit un service documentaire sur Internet, utilisable du monde entier. Cela à commencer par de simples choix de terminologie, par exemple en prenant garde à expliciter la signification du lien « SUDOC » ou à ne pas nommer dans Mir@bel une collection de revues « licence nationale », mais bien « licence nationale (France) ».
Des types de partenariats diversifiés :
documentalistes, ressources, éditeurs, formateurs
Mir@bel a été réfléchi par des documentalistes, dans l’idée d’instaurer des partenariats avec d’autres documentalistes : il s’agissait d’un projet de collaboration documentaire entre bibliothèques. Cependant, dès le lancement, des partenariats complémentaires essentiels ont été mis en œuvre avec les principaux portails francophones, et les échanges continuent à être fructueux et bénéfiques de part et d’autre.
Puis, petit à petit, de nouvelles interconnexions ont vu le jour. Les possibilités données aux internautes utilisateurs de proposer des mises à jour 22 ont très souvent été utilisées par les éditeurs qui nous ont sollicité pour signaler ou mettre à jour leur(s) revues(s) dans Mir@bel. Le Groupe d’études et de recherches pour le français langue internationale (Gerflint) a d’ailleurs choisi d’être partenaire veilleur pour signaler lui-même ses trente revues.
Un même interlocuteur peut donc être partenaire à plusieurs titres. Ainsi encore, Indexpresse a signé la convention de partenariat mi-2015, à la fois en tant que service de documentation en charge de la veille sur plusieurs revues, et en tant que ressource intégrée de manière automatisée (pour Delphes et Généralis).
Des échanges ont également été initiés avec trois écoles de formation des bibliothécaires et documentalistes 23, mais ils demandent à être encore développés et concrétisés.
L’implication dans le réseau
L’implication dans le réseau est très différente d’un partenaire à l’autre : de moins d’une heure par mois pour une seule personne jusqu’à un demi ou un « équivalent temps plein » réparti sur plusieurs personnes pour les établissements pilotes. Le temps investi reflète le nombre de revues suivies mais aussi la place plus ou moins centrale de Mir@bel dans le dispositif de signalement du service de documentation.
À un autre niveau, la participation au comité de pilotage représente un degré d’engagement plus important que la seule contribution à la veille dans Mir@bel.
Tous les partenaires sont invités à participer à l’assemblée générale du réseau, qui a évolué au fil des années. Tous les dix-huit mois au départ, elle est maintenant annuelle et peut accueillir des collègues d’institutions non partenaires. En 2014, une journée d’études publique avait ainsi été adjointe à l’assemblée générale, qui ce faisant, répond aussi à un objectif de communication.
L’évolution des pratiques professionnelles
À travers Mir@bel, notre identité professionnelle de bibliothécaire ou documentaliste conserve des constantes (faciliter l’usage de la documentation, repérer, signaler, capitaliser de l’information, etc.) tout en développant de nouvelles approches et compétences (automatisation, technicité, communication, mutualisation, etc.).
Le traitement documentaire se rapproche de la veille
S’organiser en réseau permet de traiter des volumes importants d’information, et d’information évolutive qui plus est. Dans Mir@bel, l’organisation de ce travail en commun est encadrée par la répartition des rôles mise en place en fonction des engagements de suivi de chacun des partenaires. Néanmoins, les fonctions collaboratives et d’assistance de la plate-forme (systèmes d’alertes par courriel en cas de proposition de modification, vérificateur automatique de liens…) ne suffisent pas toujours et les pilotes et administrateurs interviennent parfois pour faire le lien avec les partenaires concernés.
La répartition du suivi des ressources les plus importantes est similaire à ce que pratiquait la BIMPE : un membre du réseau suit une ou plusieurs ressources sur la durée. Il est intéressant d’observer que ce mode de suivi des ressources, associant mise à jour automatisée des métadonnées fournies par l’éditeur et valeur ajoutée par les bibliothécaires, est actuellement celui testé par l’ABES dans le cadre de l’expérimentation CERCLES (Correction et enrichissement par le réseau de corpus de l’enseignement supérieur) qui vise à améliorer la qualité du signalement de certains corpus dans le SUDOC 24.
Outre la question du volume et du mode de suivi, réaliser le travail de veille sur les revues pour Mir@bel représente aussi une évolution de la nature même de l’activité de signalement. Ainsi, dans une base de connaissance, le repérage des accès et la qualité des liens proposés deviennent tout aussi importants, sinon plus, que la qualité de la description formelle des revues dans les notices bibliographiques.
L’importance des compétences en informatique documentaire
Parmi les autres compétences nécessaires dont l’importance croît à l’ère du numérique, l’informatique documentaire est un point primordial. Dès le départ, et autant que cela était possible, nous avons privilégié l’automatisation :
- Par les partenariats mis en place avec Cairn.info, Érudit, Persée et Revues.org. Pour ces portails, nous avons fait le choix de faire corriger les informations à la source, et des procédures de mises à jour automatiques et contrôlées sont activées. Elles évoluent en fonction de l’avancée des normes et standards.
- Par l’intégration des données de Mir@bel dans les catalogues de bibliothèque (via Koha pour l’instant).
Les trois établissements pilotes assurent des développements continus, et des montées de version mensuelles sont réalisées par le prestataire informatique 25. Ces développements sont traités au quotidien, via un outil de suivi de tâches, et sont grandement facilités par nos compétences en informatique.
Une veille technologique et concurrentielle est nécessaire pour que le projet puisse continuer à avancer en prenant en compte les nouveaux « possibles ». On peut citer pour exemple la compatibilité au format KBART (Knowledge Bases And Related Tools) ou l’utilisation, pour exploiter les possibilités du web sémantique, des notices RDF (Ressource Description Framework) du SUDOC afin de lier les notices et de récupérer automatiquement certaines données : années et langues des revues, indexation sujets. Nous suivons aussi attentivement l’actualité internationale autour du projet GOKb (Global Open Knowledgebase) 26.
Un des enjeux est bien le partage de cette culture technique avec une majorité de collègues bibliothécaires au risque, sinon, de conduire un projet mal compris et de brider une évolution plus large des métiers.
De nouvelles compétences en gestion de projet et en communication
L’organisation du travail en réseau nécessite aussi de développer des compétences spécifiques en gestion de projet et en communication.
Mir@bel est un produit encore nouveau, qui entre difficilement dans les catégories existantes et qui s’avère peu simple à présenter… d’autant que le réseau est constitué de documentalistes et de bibliothécaires dont la communication n’est pas le métier. Nous avons fait appel, fin 2014, à une agence de communication 27 pour nous aider dans cette démarche, et faire connaître Mir@bel en fonction des publics sollicités :
- les enseignants et étudiants, utilisateurs du site web ;
- les éditeurs pour la valorisation de leurs revues ;
- les professionnels de l’information-documentation pour la veille à partager.
Parallèlement, nous nous adaptons progressivement à l’hybridation des fonctions devenue permanente avec le numérique. Par exemple, le signalement d’une revue dans Mir@bel peut être accompagné d’un courriel à l’éditeur, d’un message sur Twitter, etc. Présents sur le web, nous ne sommes plus uniquement en face-à-face avec nos usagers, et ce décloisonnement nous oblige à explorer de nouveaux lieux et outils (réseaux sociaux, encyclopédie Wikipedia, blogs professionnels, etc.) au-delà de ceux déjà pratiqués.
L’appel à des prestataires pour le développement et/ou la communication supposent des moyens financiers qu’il a fallu rechercher. Mir@bel n’aurait pas dépassé le stade du prototype sans le financement continu de la région Rhône-Alpes obtenu suite à un appel à projets dans le cadre du schéma régional pluriannuel de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR). La définition d’un modèle économique pérenne reste une question ouverte.
Les interactions nombreuses générées par le réseau Mir@bel entretiennent sa dynamique de développement et un encadrement même informel est indispensable. Le réseau est conscient des étapes qu’il doit continuer à franchir, sans mettre de côté la prospection qui a été un des moteurs de son évolution. De fait les hypothèses discutées pour l’évolution de Mir@bel sont nombreuses, et font l’objet de documents d’orientation. Ces orientations, discutées en comité de pilotage et soumises à l’ensemble du réseau, n’en demeurent pas moins majoritairement proposées et portées par les trois établissements fondateurs du réseau. Leur concrétisation est en outre soumise à de nombreux aléas et adaptations au fil de l’eau, même si les décisions restent le plus collégiales possible. Loin de se limiter aux seuls développements informatiques, cette approche, faite d’interactions et d’itérations, est étendue à toutes les dimensions du réseau.
Le projet Mir@bel a réussi à s’inscrire dans la durée – même s’il est encore difficile de dire son avenir – grâce à un exercice permanent d’inventivité et d’adaptabilité aussi bien techniquement que dans la conduite du projet au fur et à mesure des étapes de développement du réseau et de la base de données.
Redocumentariser les revues
pour accompagner leur évolution numérique
Mir@bel s’est positionné progressivement dans le paysage complexe des solutions documentaires de l’ESR français. Si la BIMPE a joué un rôle évident de précurseur, l’expérience propre de Mir@bel peut s’avérer utile pour des projets nationaux d’envergure tels ceux de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN) et plus particulièrement la Base de connaissance nationale (BACON) portée par l’ABES 28.
Au-delà des accès immédiats aux articles en ligne, ce qui est en jeu avec les bases de connaissance est la capacité des bibliothécaires et des documentalistes à sélectionner les revues pour leur pertinence dans un champ donné – sélection raisonnée et articulée aux collections de la bibliothèque mais aussi pensée de façon autonome – et la capacité à valoriser cette sélection par de nouveaux modes de description, de découverte et d’accès.
Ainsi, un enjeu essentiel pour les bibliothèques dans le domaine des SHS est, selon nous, de participer à redocumentariser 29 les revues, pour une meilleure connaissance de ces revues et pour une meilleure diffusion de cette connaissance. En reliant les métadonnées documentaires et de disponibilité en ligne à d’autres jeux de métadonnées qui contribuent tout autant, si ce n’est davantage, à définir ce qu’est une revue : métadonnées éditoriales 30 ou bibliométriques 31, politique d’accès, etc., les bibliothèques pourraient contribuer à bâtir dans le web de données un référentiel commun aux différents acteurs de l’édition SHS, propice à une meilleure compréhension de ce secteur de l’édition et de ses évolutions en cours 32.