Deux ans après la signature de la plateforme de recommandations pour le prêt numérique en bibliothèque, où en est-on avec PNB ?

L’expérimentation PNB n’en est plus une depuis plusieurs mois désormais. Elle est entrée dans sa phase industrielle. A-t-elle pour autant fait l’objet d’une évaluation ?

Des chiffres sont régulièrement publiés, des enquêtes sur les usages observés autour du service PNB ont été effectuées, telle celle, très complète, menée par l’ENSSIB, autour du service Bibook de Grenoble par exemple et publiée en octobre et novembre 2015. Mais il ne s’agissait pas à proprement parler d’une évaluation qualitative.

C’est ce qui avait motivé l’ABF, en octobre 2015, à demander très officiellement par le biais d’un communiqué de presse qu’ « une véritable étude indépendante […] puisse faire le point de cette année d'évaluation. ».

En réponse à cette requête le ministère publiait en mars 2016 un rapport d’évaluation, qui se présentait comme un « premier bilan ».La dizaine de pages qui le constituent reste dans une approche essentiellement quantitative, même s’il y est fait mention de certaines des 12 recommandations de décembre 2014 (la première, la deuxième et la neuvième). Dans le même temps l’association « réseau CAREL » organisait une journée consacrée à PNB, le 8 mars 2016.

Quelques mois plus tard, les questions demeurent dans la communauté des bibliothécaires. Malgré l’adhésion d’un nombre important de bibliothèques et de librairies au service PNB, malgré l’enrichissement du catalogue sur lequel s’appuie le hub Dilicom, force est de constater que la perplexité, voire la franche défiance se manifestent encore régulièrement tant sur les réseaux sociaux que lors des rencontres entre professionnels. En tant que consultant spécialiste du secteur je le constate moi-même auprès de mes clients de lecture publique.

La pérennisation de cette situation d’entre deux ne me semble pas souhaitable. Si l’on veut que les résultats d’une évaluation soient acceptés par tous et partagés, elle doit faire consensus tant sur ses objectifs que sur la méthode. Or nous disposons déjà de la grille d’évaluation qualitative. Elle est constituée des 12 critères qui ont fait l’objet d’une plateforme d’accord (ou plutôt d’intentions), signée en décembre 2014, par 8 organisations professionnelles (dont l’ABF et le SNE, mais également des associations d’auteurs et de libraires). Deux ans plus tard, ne serait-il pas enfin le moment de vérifier si le dispositif PNB se conforme bien aux intentions communes affichées par les organisations professionnelles ? Ou alors faudrait-il considérer que ce texte consensuel a été signé pour être aussi vite oublié, d’autant qu’il n’était assorti d’aucune obligation d’exécution ?  

Le dispositif PNB étant un service destiné aux usagers des bibliothèques publiques, il me semble que c’est aux bibliothécaires de s’emparer du sujet et de vérifier dans quelle mesure PNB répond ou ne répond pas aux 12 marqueurs que la principale organisation professionnelle qui les représente a reconnus comme nécessaires à un service de prêt numérique. Certes, ces 12 points n’ont pas été adoptés pour servir de cahier des charges de PNB :  le dispositif existait déjà et était déjà en phase expérimentale. Cependant nul ne peut douter que s’ils avaient une portée plus générale, c’est bien PNB qui était en ligne de mire des signataires.

  1. Avec PNB, les bibliothèques publiques ont-elles accès à l’intégralité de la production éditoriale numérique, c'est-à-dire à l’ensemble de ce qui est proposé aux particuliers ? Dans la négative, est-on en mesure d’établir une feuille de route qui permettrait d’atteindre cet objectif ?
     
  2. Tous les libraires connaissent-ils cette offre, ses conditions tarifaires et d’usages et disposent-ils des métadonnées des catalogues des éditeurs qui leur permettent de les présenter aux bibliothèques ?
     
  3. Ces mêmes métadonnées sont-elles bien récupérées par les bibliothèques afin qu’elles puissent les présenter à leurs usagers et les utiliser pour la médiation de la lecture numérique ?
     
  4. Plus globalement, constate-t-on une pleine interopérabilité des catalogues d’éditeurs proposés aux bibliothèques ; autrement dit, le Fichier exhaustif du livre, sur lequel s’appuie le hub Dilicom, est-il bien interopérable pour les catalogues des bibliothèques et l’effort de fédération qui a été fait pour les libraires a-t-il été décliné pour les bibliothèques ?
     
  5. Cette offre est-elle bien accessible aux usagers inscrits dans une bibliothèque, quel que soit leur mode de connexion (depuis un poste de la bibliothèque comme depuis chez eux ou depuis leur smartphone ou leur tablette) ?
     
  6. PNB permet-il une régulation des accès garantissant un équilibre entre l’emprunt en bibliothèque et l’achat en librairie ? Permet-il aux collectivités de conserver la maîtrise de leur politique d’acquisition et de prêt (périmètre du public inscrit bénéficiant du service, durée de prêt, nombre d’emprunts par personne…), dans la limite des offres commerciales définies par les éditeurs ?
     
  7. Les systèmes de gestion des droits numériques sont-ils pris en compte par PNB ? Et si oui dans quelles conditions, selon quelles modalités pour l’usager ? Sont-elles de nature à entraver l’appropriation du service  et l’accès aux œuvres ? Il faut noter, car cela a son importance, que cette recommandation précise que « les mesures techniques de protection ne sont pas l’unique système de gestion et de protection des droits numériques. D’autres types de dispositifs que ceux qui sont communément utilisés aujourd’hui dans les offres aux collectivités  peuvent être adoptés s’ils garantissent un service de qualité ou permettent de l’améliorer, dans le respect du droit d’auteur ». Cela signifie que même si la gestion des DRM s’améliore sur le plan ergonomique (cf le projet Lightweight Content Protection du consortium READIUM) cela ne dispense pas les acteurs d’imaginer encore d’autres solutions de protection.
     
  8. PNB est-il bien adapté aux déficients visuels ?
     
  9. Les données statistiques sur les usages sont-elles bien accessibles à tous les professionnels impliqués dans le dispositif ?
     
  10. Les auteurs sont-ils rémunérés de façon équitable au titre du prêt numérique ? En cela la décision récente, le 10 novembre dernier, de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a son importance.
     
  11. PNB permet-il de vendre aux bibliothèques les livres numériques aussi bien à l’unité que par bouquets ? Permet-il de proposer d’autres modes de commercialisation ?
     
  12. Dans le cadre de PNB, les clauses des contrats d’achat de livres numériques sont-elles stables ?

Il n’est évidemment pas certain que l’énoncé des questions doit être celui présenté ci-dessus. Si certaines de ces questions sont plus techniques que d’autres et  trouveront une réponse rapidement car elles ne présentent pas matière à discussion, d’autres en revanche sont plus délicates et devront faire l’objet d’un consensus sur la façon dont elles doivent être posées, a minima au sein de la communauté des bibliothécaires.

Il est probable que le dispositif PNB, en l’état, ne répond pas complètement à toutes ces questions : l’objectif de cet exercice n’est évidemment pas de constater la non pertinence du service, mais, pour les bibliothécaires, de poser un constat partagé et de disposer d’un outil leur permettant de proposer une feuille de route d’amélioration et d’évolution.

Ce programme d’amélioration doit nécessairement être engageant, c’est-à-dire obtenir l’appui de l’ensemble des signataires de décembre 2014, dans le cadre d’un accord opérationnel.  Et il suppose également une évolution en conséquence du mode de gouvernance du dispositif PNB.

Cependant, compte tenu des intérêts économiques en jeu, ce nouveau consensus interprofessionnel risque d’être difficile à obtenir et c’est la raison pour laquelle je reste persuadé qu’une loi sur le prêt numérique, ou l’adaptation de la loi du 18 juin 2003 concernant la rémunération des auteurs au titre du prêt en bibliothèque, est nécessaire. Un levier législatif permettrait de dépasser les divergences de vue et de pérenniser la mission historique des bibliothèques en matière de prêts d’ouvrages. Cette loi s’impose d’autant plus que la CJUE vient, le 10 novembre dernier, de confirmer par un arrêt, la nécessité d’une rémunération équitable des auteurs au titre du prêt numérique, au même titre que le prêt physique. Il faut cependant rester prudent sur ce sujet : cette décision est à double tranchant, d’un côté elle valide le principe de l’exception des bibliothèques au titre du prêt, de l’autre elle conforte un modèle ancien, purement calqué sur le physique, alors même que dans PNB la possibilité, pour certaines offres, de proposer du prêt simultané est déjà présente…

Il est donc urgent, dans un contexte où le ministère de la Culture a par ailleurs lancé une réflexion participative dans le but de dégager les lignes directrices d’une loi générale sur les bibliothèques publiques à l’ère numérique, que les bibliothécaires s’emparent du sujet et proposent, sur le sujet particulier du prêt numérique, les points structurants qui pourraient faire l’objet d’une disposition législative. Il s’agit de pérenniser et d’améliorer le dispositif PNB, de promouvoir de nouveaux modèles et de perpétuer la mission historique des bibliothèques.

Pour aller plus loin :

  1. Les 12 recommandations de décembre 2014 ;
     
  2. Etude de l’ENSSIB sur Bibook (le service PNB de Grenoble) ;
     
  3. Communiqué de l’ABF du 16 octobre 2015 ;
     
  4. Evaluation effectuée par le ministère, publiée en mars 2016 ;
     
  5. Programme de la journée du 8 mars organisée par le réseau CAREL ;
     
  6. Synthèse de la journée CAREL, publiée le 11 avril 2016 ;
     
  7. Commentaires sur la journée CAREL, publiés le 9 mars 2016 ;
     
  8. Sur Readium LCP ;
     
  9. Sur l’arrêt de la CJUE le 10 novembre 2016 ;
     
  10. Sur les réflexions en vue d’une loi générale sur les bibliothèques.