Lutter contre les différentes formes de précarités étudiantes : le rôle des bibliothèques d’enseignement supérieur

Romane Coutanson

Alors que la pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire qui en a résulté ont fragilisé de nombreux étudiants, notamment sur les plans psychologique et économique, les bibliothèques d’enseignement supérieur ont démontré leur rôle d’appui en matière de réussite étudiante et de soutien au quotidien dans leur formation initiale. Leur action se traduit en particulier par un recours notable à l’emploi étudiant, par leur adhésion à la politique ambitieuse d’extension des horaires d’ouverture menée au niveau national et par le portage de services novateurs adaptés aux spécificités de leurs différents publics.

Un contexte actuel marqué par un accroissement de la précarité étudiante

Par son caractère transitoire, la condition d’étudiant représente une certaine instabilité, liée à son autonomisation progressive de la sphère familiale et qui se traduit notamment par le suivi d’une formation visant à son insertion professionnelle et à l’indépendance financière corrélée. Au cours de ses années d’études, un étudiant peut donc être susceptible de se retrouver en situation de précarité, selon les capacités de son entourage familial à le soutenir financièrement. Ainsi, durant l’année universitaire 2020-2021, un quart des étudiants déclare avoir rencontré des difficultés financières importantes ou très importantes. Il s’agit notamment des étudiants étrangers, plus souvent éloignés géographiquement de leurs familles (52 % d’entre eux ont rencontré des difficultés financières importantes ou très importantes) et des étudiants les plus âgés (à partir de 26 ans). « L’origine sociale des étudiants a, dans une moindre mesure, une incidence sur les difficultés financières : si 15 % des étudiants dont les parents sont cadres et professions intellectuelles supérieures déclarent avoir rencontré des difficultés financières importantes ou très importantes en 2020-2021, c’est le cas de 28 % des étudiants dont les parents sont ouvriers et 32 % des étudiants dont les parents sont employés. » 1

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Feres BELGHITH, Marie-Paule COUTO, Odile FERRY, Yannick MORVAN et Théo PATROS. « Une année seuls ensemble. Enquête sur les effets de la crise sanitaire sur l’année universitaire 2020-2021 », OVE Infos. Novembre 2021, no 45. En ligne : https://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2021/11/OVE-INFOS-45-Une-annee-seuls-ensemble-.pdf [consulté le 22 juin 2023].

En effet, le système de protection sociale français est établi sur un appui financier aux familles assumant la charge des études des jeunes de moins de 25 ans : le montant des bourses étudiantes ou de l’aide personnalisée au logement (APL) est conditionné au revenu des parents qui occupent donc un rôle central dans les ressources dont disposent les étudiants.

Cependant, la notion de précarité reste complexe et difficile à appréhender chez la population estudiantine. Ceux-ci font l’objet de nombreuses ressources indirectes, qu’il est difficile de mesurer. Par exemple, deux étudiants peuvent avoir un même niveau de ressources, mais l’un peut habiter chez ses parents, domiciliés à proximité de l’université, tandis que l’autre peut devoir louer un logement, ses parents habitant loin de l’université la plus proche. Ainsi, comme l’indique l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), on ne peut « transposer directement aux étudiants la notion standard de précarité, qui désigne à l’origine la précarité de l’emploi et qui a fini par servir d’euphémisme pour pauvreté. Par précarité, il faut entendre dans leur cas l’accroissement des risques d’échec ou d’abandon qui résulte de la concurrence entre l’exercice d’une activité rémunérée et les exigences des études » 2

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Les étudiants en difficulté, pauvreté et précarité, rapport de l’Observatoire de la vie étudiante. 2005. p. 10. En ligne : https://www.vie-publique.fr/rapport/27476-les-etudiants-en-difficulte-pauvrete-et-precarite [consulté le 22 juin 2023].

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Face à cette difficulté, « on ne connaît pas [aujourd’hui] la proportion d’étudiants en situation de fragilité, on varie grosso modo entre 15 % et 5 % », comme l’a rappelé Férès Belghith, directeur de l’OVE lors de la journée d’étude Précarité étudiante, quel rôle pour les bibliothèques ? organisée le 12 septembre 2022 à la BULAC par l’Association des bibliothécaires de France (ABF) et l’Association française des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) 3

. L’OVE s’emploie donc à construire un indicateur qui couplera les ressources des étudiants et leur ressenti (se déclarent-ils en difficulté financière ?). Plus étonnant a priori, les enquêtes successives de l’OVE tendent à montrer que la précarité étudiante a diminué depuis 2010, du moins dans les déclarations des étudiants sur leur ressenti (donc subjectif). La pandémie de Covid-19 y a toutefois mis un frein, entraînant une nette baisse de l’activité rémunérée des étudiants (arrêt pendant le premier confinement, reprise difficile ensuite). Cette baisse de l’activité a parfois également touché leurs parents, qui ont pu avoir des difficultés à maintenir l’aide financière apportée à leurs enfants.

Par ailleurs, l’enquête « La vie d’étudiant confiné » administrée en juin et juillet 2020 par l’OVE démontre un lien chez les étudiants entre les situations de précarité et les problèmes de santé mentale : la dégradation de la santé des étudiants est fortement liée à la fragilité économique et aux effets psychologiques du confinement. L’enquête conclut que « la pandémie a par ailleurs accentué certaines inégalités en dégradant en premier lieu la situation des jeunes et des travailleurs précaires. Elle a ainsi aggravé la précarité étudiante et a fait de ce sujet un enjeu central du débat public » 4

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Feres BELGHITH, Odile FERRY, Théo PATROS et Élise TENRET. « La vie étudiante au temps de la pandémie de COVID-19. Incertitudes, transformations et fragilités », OVE Infos. Septembre 2020, no 42. En ligne : https://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2020/09/OVE-INFOS-42-La-vie-etudiante-au-temps-du-COVID-19.pdf • « La vie étudiante en temps de pandémie ». Site de l’OVE. En ligne : https://www.ove-national.education.fr/enquete/la-vie-etudiante-en-temps-de-pandemie/ [consulté le 22 juin 2023].

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Depuis, cet enjeu n’a cessé de croître, en lien avec l’inflation qu’a connue la France, notamment dans les domaines de l’énergie et de l’alimentation en 2022. Une question écrite concernant les « solutions que le Gouvernement compte mettre en place face à cette inquiétante situation [relative à la précarité étudiante] » a été adressée à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau 5

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Question écrite no 03894 formulée par M. le sénateur Didier Mandelli le 24 novembre 2022. En ligne : https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221103894.html [consulté le 22 juin 2023].

. Dans sa réponse, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) réaffirme que « la lutte contre la précarité étudiante, renforcée depuis la crise sanitaire, est une priorité » 6
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Réponse du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche apportée en séance publique le 19 avril 2023 à la question écrite no 03894 formulée par M. le sénateur Didier Mandelli le 24 novembre 2022. En ligne : https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221103894.html [consulté le 22 juin 2023].

et liste les dispositifs de soutien financier destinés à préserver le pouvoir d’achat des étudiants, dont le gel du loyer des résidences universitaires CROUS et des frais d’inscription universitaire, l’indemnité inflation, l’offre de repas à 1 € au bénéfice des étudiants boursiers et des étudiants précaires qui en font la demande, dispositif financé à hauteur de 51 millions d’euros pour l’année universitaire 2022-2023 (PLF 2023, programme 231 « Vie étudiante »), ou encore le dispositif « Santé psy étudiant » qui permet aux étudiants de consulter un psychologue gratuitement (huit séances) 7
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https://santepsy.etudiant.gouv.fr/ [consulté le 22 juin 2023].

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On constatera qu’aucune de ces mesures n’est relative au champ d’action des bibliothèques universitaires. On peut toutefois signaler que le maintien des droits de bibliothèque au même montant depuis 2013 a contribué à la préservation du pouvoir d’achat des étudiants. Nous pouvons donc nous demander si les BU jouent un rôle en matière de lutte contre la précarité étudiante, celle-ci relevant prioritairement des services sociaux de l’université. Sur ce sujet, les BU œuvrent de manière indirecte mais importante, avec les leviers à leur disposition : l’emploi étudiant et le cadre de travail, via les extensions d’horaires d’ouverture.

Les bibliothèques universitaires, premières pourvoyeuses d’emplois étudiants au sein des universités

En 2019, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) a publié un rapport sur l’emploi étudiant. Il indique que « les études disponibles montrent que le fait de combiner ses études avec l’occupation, régulière ou temporaire, d’un emploi rémunéré non seulement n’est plus une situation marginale au sein de l’enseignement supérieur mais concerne même une part largement majoritaire des étudiants : que ce soit en France, en Europe ou dans la plupart des pays occidentaux, il apparaît que ce sont environ trois étudiants sur quatre qui connaissent une activité salariée (hors vacances d’été) durant au moins une partie de leur parcours universitaire » 8

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IGAENR. Rapport no 2019-075 sur l’emploi étudiant [rédigé par Amine Amar, Olivier Rey, Laure Vagner-Shaw, Pierre Valla]. Septembre 2019. p. 5. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/publication-du-rapport-ndeg2019-075-relatif-l-emploi-etudiant-46978 [consulté le 22 juin 2023].

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Par ailleurs, l’emploi étudiant est encadré par l’article L. 811-2 du code de l’éducation. En 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) a précisé les modalités de participation des étudiants aux activités mentionnées. Le premier des deux alinéas ajoutés autorise les chefs d’établissement à « recruter, dans des conditions fixées par décret, tout étudiant, notamment pour des activités de tutorat ou de service en bibliothèque » 9

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Article L. 811-2 du code de l’éducation.

en précisant que ces recrutements sont effectués « sous réserve que l’étudiant soit inscrit en formation initiale dans un établissement d’enseignement supérieur ». L’alinéa suivant mentionne que ce recrutement « s’opère prioritairement sur des critères académiques et sociaux ». Travailler en bibliothèque universitaire peut donc représenter une perspective intéressante pour les étudiants, notamment boursiers ou, plus généralement, en situation de précarité, recherchant un financement partiel de leurs études. Le rapport de l’IGAENR montre que « les services des bibliothèques, premières structures d’accueil en termes de nombre de journées de travail, sont aussi les premiers en termes de volume horaire par contrat ». En 2021, 3 279 étudiants ont été recrutés pour y travailler 10
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Enquête statistique en ligne sur l’activité des bibliothèques universitaires et des services documentaires des organismes de l’enseignement supérieur et de la recherche (données 2021). En ligne : https://esgbu.esr.gouv.fr/broadcast/key-figures [consulté le 22 juin 2023].

. Il mentionne également que « la perception positive de l’emploi étudiant est bien partagée par les étudiants eux-mêmes ainsi qu’en témoigne le nombre souvent élevé de candidatures pour la plupart des missions proposées dans le cadre des emplois étudiants. Les fonctions d’accueil dans les bibliothèques sont traditionnellement attractives (accélération de l’apprentissage de recherche documentaire, travail studieux personnel en parallèle) » 11
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Rapport n° 2019-075 sur l’emploi étudiant, op. cit. p. 14.

. En plus de présenter une source d’emploi, et donc de revenu aux étudiants, le travail en bibliothèque leur offre ainsi également un cadre propice à leur poursuite d’études ainsi qu’une expérience valorisable dans la suite de leur parcours.

En parallèle, le gouvernement a fait du développement de l’emploi étudiant un objectif permanent des établissements de l’ESR et des CROUS, impliquant un pilotage par évaluation qualitative et quantitative des contrats conclus annuellement en matière d’emplois étudiants. Les chefs d’établissement et les équipes de gouvernance plébiscitent également le dispositif emploi étudiant. Le rapport énonce ainsi les vertus qu’ils lui reconnaissent comme celle d’assurer « une bonne articulation temporelle entre les exigences liées à la formation et l’activité rémunérée, condition sine qua non de la poursuite d’études pour une part non négligeable de la population étudiante ». À noter, que le décret déjà mentionné précise que la durée du contrat de l’étudiant ne peut pas excéder un mi-temps entre le 1er septembre et le 30 juin et un temps plein entre le 1er juillet et le 31 août (soit respectivement 670 heures et 3 000 heures), que l’établissement a interdiction de faire travailler les étudiants pendant leurs enseignements obligatoires et leurs examens, et que le montant de leur rémunération est au moins égal au SMIC horaire. Par ailleurs, la durée maximale de leur contrat est de douze mois, entre le 1er septembre et le 31 août, avec reconduction possible dans la limite maximale de six ans.

Le rapport indique également que « l’emploi sur le campus minimi[sant] le temps perdu en déplacements et le plafonnement de son volume horaire limi[tant] le risque d’effets négatifs sur la réussite dans les études », « la possibilité de développer ainsi des services nouveaux ou complémentaires au bénéfice de l’établissement et de ses usagers, services permis par ce type de recrutements et qui ne pourraient être assurés, en raison de leurs caractéristiques, par des emplois permanents : une part de ces emplois est réalisée à des horaires atypiques (ouverture élargie des bibliothèques universitaires) ou suppose d’être exercé par des étudiants (tutorat par les pairs) ». Enfin, « comme d’autres activités, rémunérées ou bénévoles, les emplois étudiants apportent des compétences, relationnelles ou techniques, utiles pour la future activité professionnelle des étudiants qui les réalisent. Un effet bénéfique complémentaire de l’emploi étudiant est aussi de faciliter l’intégration des étudiants concernés dans la communauté universitaire au sens large (enseignants, administratifs) ».

Pour ces différentes externalités positives, l’emploi étudiant au sein des universités, et notamment en bibliothèque universitaire, rencontre un large consensus, tant de la part de l’administration que des gouvernances d’établissement et des étudiants eux-mêmes. Cependant, son fonctionnement rencontre également des critiques, des points d’amélioration restant possibles.

Tout d’abord, rappelons que « l’emploi étudiant en établissement représente une fraction très modeste des activités rémunérées des étudiants » : en 2019, environ 1,4 % des étudiants bénéficiaient d’un emploi étudiant, hors vacations (missions plus ponctuelles), missions de service civique 12

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Leur durée hebdomadaire doit se situer entre 24 et 48 heures sur une période de huit mois en moyenne. Ces missions relèvent du segment « activités très concurrentes des études ».

, entreprenariat étudiant dans le cadre du dispositif PEPITE 13
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Il ne s’agit pas d’un contrat mais d’un statut permettant à un étudiant d’élaborer et de développer un projet entrepreneurial en bénéficiant d’un accompagnement. Il ne donne pas lieu à rémunération par l’établissement d’enseignement.

et stage rémunéré ou activité en alternance dans le cadre de leur parcours de formation.

En outre, les délais de rémunération sont également « jugés trop longs et peu adaptés aux réalités économiques difficiles qu[’ils] connaissent ». Le processus de rémunération des emplois étudiants est, en effet, identique à celui de l’ensemble des agents titulaires et non titulaires des établissements : la convention qui les lient aux directions régionales des finances publiques (DRFIP) « impose des procédures exigeantes et des délais contraints peu adaptés à la situation des emplois étudiants payés dans la quasi-totalité des cas sur une base horaire ou à la vacation. La certification du service fait ne peut dès lors intervenir qu’en fin de mois (alors que les éléments de paye du mois en cours sont déjà transmis par l’établissement à la DRFIP) et le paiement n’intervient, dans la meilleure des hypothèses, que deux mois plus tard. Ces délais sont perçus comme d’autant plus excessifs que pour beaucoup d’étudiants cette rémunération est indispensable à l’équilibre de leur budget ».

Face à cette contrainte, le rapport de l’IGAENR formulait deux recommandations : « inviter les établissements à identifier les difficultés internes de gestion des contrats emploi étudiant et à procéder à un examen des processus opérationnels en vue de leur simplification et d’une plus grande efficacité, notamment en termes de délais de traitement » et « réduire les délais externes de paiement des emplois étudiants – et des vacataires – liés aux contraintes pesant sur la chaîne de la paie des établissements en instaurant dans ceux dont le volume des emplois étudiants et des vacations le justifie, une régie d’avances dédiée au paiement des salaires des emplois étudiants et, le cas échéant, des vacataires ».

Les bibliothèques universitaires se sont également penchées, à leur niveau, sur cet enjeu comme l’indiquait Josué-Steeve Dunon dans son article publié dans le Bulletin des bibliothèques de France en 2021 :  14

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Josué-Steeve DUNON. « Pourquoi les moniteurs-étudiants sont-ils payés tardivement ? Analyse et pistes d’action pour les bibliothèques universitaires », Bulletin des bibliothèques de France (BBF). 2021-2. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2021-00-0000-060 [consulté le 22 juin 2023].

Ainsi, l’université Toulouse-2-Jean-Jaurès et l’université de Tours ont opté pour une mensualisation partielle de la paie des moniteurs pour limiter au maximum les ordres de reversement, « elle peut se faire sous la forme d’un avenant au contrat de travail précisant que le moniteur percevra chaque mois une rémunération égale à 30 heures de service en bibliothèque ». L’université Lyon-3-Jean-Moulin a, quant à elle, adopté une mensualisation totale de la rémunération des moniteurs, ce qui implique l’élaboration d’un planning fixe avec des plages de service attribuées aux étudiants, ce qui peut présenter une limite organisationnelle pour certains établissements. Ces pistes d’amélioration méritent d’être diffusées et discutées. Ce sujet pourrait utilement donner lieu à l’adoption d’une position commune des universités, via France Universités, en coordination avec l’association des agents comptables d’universités et d’établissements.

Offrir un cadre de travail favorable : la politique nationale d’extension des horaires d’ouverture des BU

Sur les campus universitaires, les bibliothèques représentent l’un des lieux d’accueil les plus fréquentés. Elles ont connu plus de 55,5 millions d’entrées en 2022. Elles s’inscrivent par ailleurs pleinement dans la politique d’action des établissements en faveur de la réussite étudiante, par les ressources documentaires qu’elles proposent, par les services qu’elles mettent à disposition (appui à la recherche, à la formation…), par le cadre de travail adapté qu’elles offrent (accès à internet, prises électriques, places de travail individuelle ou en groupe, espaces de détente ou de convivialité notamment), mais également par l’amplitude de leurs horaires d’accueil.

En effet, face à la forte fréquentation que connaissent les BU et la capacité d’accueil nécessairement limitée des bâtiments, une des solutions retenues pour accueillir plus largement les étudiants a été de travailler à l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques présentant un nombre conséquent de places de travail. Ainsi, le ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche a lancé en 2016 le plan « Bibliothèques ouvertes + » (PB0+) afin de participer au financement des heures supplémentaires d’ouverture des bibliothèques des universités et écoles, c’est-à-dire des heures qui leur permettent d’aller au-delà de leurs horaires habituels d’ouverture.

Entre 2016 et 2023, 49 établissements ont émargé au plan « Bibliothèques ouvertes + » : 33 établissements ont répondu au premier appel à projets. Les dispositifs qu’ils ont mis en place ont été pérennisés en 2019 et 34 établissements ont participé au deuxième appel à projets, dont 16 établissements n’ont émargé que sur le deuxième appel à projets. Ainsi, entre 2016 et 2021, le dispositif PBO+ a permis d’assurer 258 342 heures supplémentaires d’ouverture des bibliothèques dans l’enseignement supérieur.

Ces ouvertures ont pu être réalisées grâce au financement de 496 046 heures de monitorat étudiants (une heure d’ouverture financée représentant généralement plusieurs emplois étudiants). En effet, l’élargissement des horaires d’ouverture des BU s’effectue en horaire atypique : en soirée, le week-end, pendant les vacances universitaires ou les périodes de révision. Au total, 13 709 291 € ont été dépensés par les établissements de l’ESR et le MESR sur cette période, dont 7 769 055 € ont été attribués aux établissements par le ministère : 5 679 818 € spécifiquement attribués pour les horaires d’ouverture et 2 millions restants pour aménager les espaces et permettre leur adaptation à l’extension des horaires d’ouverture. Le soutien aux extensions réalisées dans le cadre des deux appels à projets a été pérennisé, avec les crédits afférents par la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle.

Illustration
Évolution de PBO+ en nombre d’heures

Expérimenter des services novateurs

Nous l’avons vu, les bibliothèques universitaires représentent l’un des lieux d’accueil les plus fréquentés. Ce rôle d’accueil a été d’autant plus important lors de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 qu’elles ont constitué l’un des seuls – sinon le seul – lieu recevant du public lors du deuxième confinement (décret no 2020-1310 du 29 octobre 2020), avec mise en œuvre d’un protocole sanitaire strict. Si le rôle des BU dans la lutte contre l’isolement des étudiants a été important, elles ont également offert et développé d’autres services d’aide matérielle utiles à ces derniers comme l’accès à internet (avec une connexion de qualité), le prêt de matériel informatique en lien avec le service informatique de l’université, ou encore accéléré l’aménagement d’espaces connectés permettant des usages multiples. Par exemple, l’espace du Pixel, au sein de la BU de l’université Paris-Nanterre, représente un lieu de travail collaboratif compartimenté en différents espaces aux fonctionnalités différenciées (salles de formation, espace de conférence, salles de travail en groupe, places de travail individuelles, avec un équipement numérique permettant la tenue de web conférences, de projection et de captation de vidéos) 15

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https://pixel.parisnanterre.fr/ [consulté le 22 juin 2023].

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D’autres services novateurs ont également été expérimentés par certaines bibliothèques universitaires. Cela a pu prendre la forme d’actions ponctuelles, renouvelées ensuite, comme le vide-dressing solidaire de la BU organisé par le SCD de l’université Claude-Bernard-Lyon-1 en 2022 et réédité en 2023, organisé en partenariat avec le Secours Populaire : les étudiants peuvent déposer des vêtements, accessoires de mode, petits objets et articles de papeterie en bon état à la BU et venir se servir gratuitement le jour de l’événement 16

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Ces actions peuvent également être pérennisées pour constituer un service à part entière proposé par le SCD. C’est le cas des bibliothèques de prêt d’objets qui constituent une collection d’objets du quotidien (de cuisine et de bricolage notamment) empruntables gratuitement par les utilisateurs de la BU comme en témoignent le service BOBUN (Bibliothèque d’objets des bibliothèques universitaires de Nantes), proposé à la BU de la Roche-sur-Yon 17

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https://polelrsy.univ-nantes.fr/la-bibliotheque-universitaire/bobun-pret-dobjets-a-la-bu-de-la-roche-sur-yon [consulté le 22 juin 2023]. [NDLR] Voir également, dans ce dossier thématique du BBF, l’article de Yann Marchand, « La bibliothèque d’objets BOBUN : une réponse au rôle sociétal des bibliothèques universitaires ».

, ou le service BIBOB (Bibliothèque de prêt d’objets) disponible à la bibliothèque des L1 de Sorbonne Université. Ce service vise à la fois à « lutter contre la précarité étudiante, en mettant à disposition des objets du quotidien parfois coûteux [et à] limiter les achats neufs et donc [agir] activement face aux défis environnementaux » 18. Ces projets peuvent donc être réalisés en collaboration avec d’autres composantes de l’université comme la mission relative au développement durable et à la transition environnementale.

En creux, ces différentes actions révèlent l’importance de la bibliothèque comme lieu d’accueil sur les campus, comme lieu de ressources et comme cadre qualitatif d’étude ou de détente. Cela est d’autant plus important en période de crise, qu’elle soit sanitaire (pandémie de Covid-19), énergétique (l’hiver 2022 a connu une forte hausse du prix de l’énergie) ou environnementale (les BU peuvent être un lieu d’accueil en cas de canicule, si la conception du bâtiment intègre un rafraîchissement des espaces).

Cette vocation d’accueil des BU passe bien entendu par la relation établie entre l’équipe du personnel et les publics la fréquentant, ce qui induit des enjeux de formation et de relation de confiance. En effet, il peut être plus délicat d’accueillir des publics en situation de fragilité, liée à une situation de précarité économique ou de détresse psychologique. La hausse des demandes en formation dans ce domaine, du type premiers secours en santé mentale 19

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PSSM France est une association à but non lucratif fondée en 2018 par l’Infipp, Santé Mentale France et l’Unafam. Elle a adapté au contexte français le programme de formation MHFA (Mental Health First Aid) dont elle détient une licence pour l’ensemble du territoire. Cf. https://pssmfrance.fr/ [consulté le 22 juin 2023].

, témoigne de l’intérêt et de la volonté des professionnels des bibliothèques pour se former et être ainsi capables de mieux accompagner les étudiants en difficulté, en les dirigeant le cas échéant vers les services sociaux des universités, en agissant comme un relais efficace dans leur prise en charge.

Enfin, les actions des bibliothèques universitaires en matière de précarité étudiante peuvent également s’effectuer à distance, par la fourniture de documents et de formations à des publics éloignés. À cet égard, le statut des étudiants sous main de justice détenus représente un enjeu certain, étant donné que le suivi d’une formation ne peut pas passer par un dispositif en distanciel nécessitant un accès internet (via une plateforme Moodle par exemple). La fourniture de documents physiques mais également de ressources électroniques en est rendue plus complexe. À cet égard, le dispositif « Supbox » proposé par l’université Rennes-2, en collaboration avec Rennes Métropole, innove en permettant aux étudiants en détention la possibilité de suivre une formation via un micro-serveur fonctionnant sans recours à internet et d’avoir accès à une grande partie des ressources de la BU 20

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Le contexte actuel, marqué par un accroissement de la précarité étudiante, tant économique que psychique, dans le sillage de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, a fait de ce sujet un enjeu de société, et de la lutte contre les différentes formes de précarité étudiante une priorité des politiques publiques en matière d’enseignement supérieur. Ainsi, plusieurs mesures en faveur du pouvoir d’achat estudiantin ont été instituées mais aucune ne concerne à première vue les bibliothèques de l’ESR. Cependant, si les BU sont partenaires des dispositifs d’aides mis en place par les services compétents, sans volonté de s’y substituer, elles ont démontré leur rôle d’appui en matière de réussite étudiante et de soutien au quotidien dans leur formation. Leur action se traduit en particulier par un recours notable à l’emploi étudiant, par leur adhésion à la politique ambitieuse d’extension des horaires d’ouverture menée au niveau national, qui offre aux étudiants un cadre d’accueil propice à leurs études, et par le portage de services novateurs adaptés aux spécificités de leurs différents publics. Une journée d’étude permettra de dresser un bilan du dispositif PBO+ et d’évoquer les perspectives de ce dispositif, porté par le ministère, en matière de réussite étudiante et de lutte contre la précarité 21

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La journée d’étude « OuvertureS », prévue le 7 décembre 2023, est proposée par le MESR dans cette optique.

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Bibliographie