Le festival Amply, un outil fédérateur au service des bibliothèques du Rhône

Fabien Ratz

Lors de la première édition du Festival Amply en 2015, 15 médiathèques avaient répondu à l’appel, programmant 19 concerts. Sept années et sept éditions plus tard, ce ne sont pas moins de 44 concerts répartis dans 40 médiathèques du Rhône qui ont pu être proposés. Ce n’est en aucun cas une apothéose ni un exploit mais nous n’en sommes pas moins fièr.es, car nous savons le cumul de petits efforts individuels et collectifs que représente cette nouvelle étape franchie.

Si aujourd’hui l’association est autonome et tisse son propre réseau, Amply doit sa création à une association régionale préexistante, VDL, qui se voulait un vecteur de rencontres et d’échanges de pratiques professionnelles entre vidéothécaires et discothécaires du Lyonnais. Cet objectif peut paraître modeste mais de tels espaces d’échanges entre collègues sont fondamentaux pour l’émergence de projets d’envergure tels que le nôtre. Historiquement, les professions du non-livre en médiathèque ont toujours suscité une certaine forme d’incompréhension, pour ne pas dire d’illégitimité, de la part de leurs tutelles, voire de leurs collègues. Les CD et les DVD étaient parfois considérés comme des « produits d’appel » destinés uniquement à faire venir ou revenir les usagers vers le véritable cœur de la bibliothèque : le livre. C’est pourquoi ces professionnels ont, plus que d’autres, ressenti le besoin de chercher des espaces de discussion hors de leurs équipes, vers des sphères déjà sensibilisées à leurs problématiques.

Amply.fr, un magazine en ligne créé pour valoriser la scène locale

En 2011, lors d’une discussion au sein de VDL à l’initiative de collègues de la médiathèque de Décines, nous avons constaté que plusieurs d’entre nous multipliaient les initiatives autour d’un même objet : la scène locale.

Les raisons de cet intérêt étaient multiples. Les budgets alloués aux animations musicales ne permettaient pas ou plus d’héberger ni de défrayer des artistes venus de loin (en l’absence de conventions collectives comme il en existe pour les auteurs ou les compagnies, le coût d’un concert dépend avant tout d’une négociation et il est difficile de l’évaluer à l’avance, donc de le budgétiser précisément). L’apparition de nouveaux modes de consommation de la musique rendait aussi impératif le besoin d’enrichir nos propositions et de jouer un rôle plus actif, notamment auprès des artistes, eux aussi touchés de plein fouet par le basculement vers le tout-streaming sur quelques plateformes toutes-puissantes qui ont largement participé à la précarisation de leur situation. Chacun d’entre nous s’est donc naturellement intéressé aux artistes de sa zone géographique.

Cette remise en question fut un mal pour un bien, car outre le fait que la valorisation du patrimoine local nous a semblé en totale adéquation avec nos missions et la logique de notre métier, cela nous a permis de mesurer la richesse impressionnante de la scène locale rhodanienne, que nous ne connaissions pas malgré notre proximité territoriale. Cette méconnaissance est due à l’absence de reconnaissance des artistes de « province », qui n’existent pas médiatiquement, y compris au niveau local. La France souffre encore aujourd’hui d’un parisiano-centrisme qui invisibilise les pratiques artistiques hors de la capitale. N’est-ce pas parce qu’elle est « montée à Paris », selon l’expression consacrée, que la chanteuse lyonnaise Pomme a pu accéder à un succès national ?

Partant de ce constat, notre premier angle d’attaque a été de partir à la conquête de cet espace médiatique en créant un magazine en ligne sous forme de « blog » pour partager nos découvertes et identifier les artistes locaux qui montent. Nous avions pour cela besoin d’un nom, comme les groupes que nous chroniquions : nous avons opté pour Amply, fusion d’ampli et de Lyon. Ce premier projet a permis de renforcer la relation entre collègues et de mieux définir les contours de notre champ d’action.

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Figure 1. Amply.fr, le site de publications de chroniques musicales sur la scène lyonnaise

La vingtaine de chroniques écrites chaque année sur amply.fr s’est ensuite enrichie d’un podcast de 2013 à 2016, toujours dans la même optique de médiatisation… mais aussi pour se faire plaisir. Nous-mêmes bercé·es par la radio, nous avions très envie d’essayer ce format. Il est important de souligner que si notre travail de bibliothécaire au quotidien peut parfois recouper nos activités au sein d’Amply, le plus gros du travail est effectué bénévolement, sur notre temps personnel. Il est donc primordial que nous trouvions en permanence une motivation pour continuer à produire ce travail.

Les médiathèques identifiées comme lieux potentiels de concerts

Si ces émissions sont restées assez confidentielles, elles nous ont permis de rencontrer les artistes dont nous parlions sur amply.fr et d’approfondir ce lien que nous avions commencé à créer avec les acteurs de la scène locale. À partir de cette période, le bouche-à-oreille entre musicien·nes a commencé à se développer autour de notre initiative et, par extension, de l’existence des médiathèques en tant que possibles lieux de concerts.

Notre profession était toujours confrontée à un problème récurrent, celui de l’image ringarde qu’ont les médiathèques dans la société, et particulièrement auprès des jeunes. Les évènements que nous proposions n’étaient que très rarement relayés par la presse, y compris celle pourtant spécialisée dans le relais événementiel. Ce constat frappe par son absurdité : les bibliothèques étaient collectivement l’un des plus gros acteurs locaux et nationaux du spectacle vivant gratuit mais n’existaient que dans les magazines municipaux.

Aussi, il allait falloir ruser. Cette ruse prit le nom de « Festival Amply », un véritable cheval de Troie médiatique. Nous sommes littéralement partis d’un existant – les concerts de scène locale que proposaient déjà plusieurs médiathèques du bassin lyonnais – pour monter de toutes pièces un événement global, en incitant simplement les collègues intéressés par notre initiative à se coordonner pour programmer un ou plusieurs concerts entre septembre et octobre. La stratégie a fonctionné puisque dès sa première édition en 2015, le festival a eu droit à un article dans l’un des titres de presse gratuite les plus diffusés sur notre territoire (Le Petit Bulletin).

Comme auparavant pour la création de notre site internet, puis celle de notre podcast, nous avons eu la chance de bénéficier au sein de l’équipe d’Amply du matériel et des compétences nécessaires pour réaliser un livret de présentation du festival de niveau professionnel. Ce livret, diffusé en ligne et distribué au-delà de nos établissements, a pour objet d’aller chercher les non-usagers pour leur faire franchir les portes des médiathèques, mais aussi d’inciter les usagers à circuler d’une médiathèque à l’autre. Il représente symboliquement le festival et en matérialise l’existence.

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Figure 2. Livrets de présentation du Festival Amply. La chanteuse Pomme était au programme de la première édition en 2015.

Les bibliothèques autonomes dans leur programmation

La petite ingérence d’Amply s’arrête à ce travail de coordination : pour le reste, ce sont les médiathèques participantes qui gèrent leur propre programmation pour le festival, gage que chacune trouve une satisfaction à participer à l’évènement et ne le voie pas comme quelque chose d’imposé. La liberté de programmation des médiathèques participantes garantit l’éclectisme du festival, un postulat qui s’est vérifié au fil des différentes éditions qui se sont déroulées jusqu’à présent. La participation au Festival Amply est toutefois soumise à deux exigences : la gratuité pour le public et la valorisation de la création artistique locale. Les nombreu.ses interprètes de reprises n’ont pas besoin des médiathèques pour exister, au contraire des auteur·es et compositeurices.

Cette logique de confiance envers les médiathèques participantes a aussi un autre objectif : permettre à chaque structure de se sentir légitime à participer, de s’emparer de cette opportunité pour proposer un concert dans sa commune, petite ou grande ; ceci afin d’éviter que les plus grandes villes du département « vampirisent » malgré elles l’événement par leur simple participation. En cela, les liens tissés d’année en année avec le Pôle Métropole de la Bibliothèque municipale de Lyon ainsi qu’avec la Médiathèque départementale du Rhône se sont révélés extrêmement précieux. Ces partenaires ont joué le jeu du Festival Amply en proposant aux bibliothèques des communes relevant de leurs compétences des concerts « clés en main » ou des enveloppes budgétaires dédiées.

Un rôle de conseil, dans les limites d’une action reposant sur le bénévolat

Pour autant, tout bibliothécaire, titulaire, contractuel, ou même bénévole, ne se sent pas forcément capable d’assurer le rôle de programmateur, ni ne maîtrise le cadre légal propre aux concerts. Aussi, l’équipe d’Amply assure également le rôle de conseil et de support administratif auprès des collègues en s’appuyant sur l’expérience et les connaissances acquises empiriquement.

Cependant, si Amply, devenue depuis 2017 une association à part entière, est capable de financer son hébergement web ainsi que la conception graphique, désormais confiée à un professionnel extérieur, et l’impression du livret de présentation du festival, elle se confronte à plusieurs problématiques. Sur le plan financier, l’association propose aux médiathèques et aux particuliers une adhésion annuelle de soutien à un tarif très bas. Par souci d’ouverture, cette adhésion reste facultative, y compris pour participer au festival. La seule subvention annuelle que perçoit l’association provient de fonds privés, en l’occurrence du Crédit Mutuel, et permet de couvrir les frais d’impression du livret. La capacité de travail des bénévoles de l’association, forcément limitée, ne permet pas toujours de répondre aux nombreuses sollicitations dont elle fait l’objet.

De même, comme dans nombre d’associations, l’organisation et la coordination de l’ensemble ne reposent que sur quelques têtes, toutes bibliothécaires de la région. Or, les mobilités, les changements professionnels, personnels, ou les problèmes de santé peuvent retentir sur l’organisation d’une équipe au point de la faire vaciller. Et, tandis que le mot « mutualisation » – qui officiellement ouvre la perspective de « créer des synergies », mais qui officieusement est souvent synonyme de réduction des effectifs et des budgets – fait briller les yeux de nos tutelles jusqu’au sommet de l’État, l’impact de ce mouvement de fond de baisse des moyens humains et financiers dans les établissements, parfois couplé à certaines résistances managériales, ne permet plus aux bonnes volontés de donner de leur temps de travail, si minime soit-il, pour travailler à la mutualisation et aux partenariats qui ont du sens sur leur territoire. Reste le temps personnel, que nous ne sommes qu’une poignée – et c’est bien normal – à pouvoir, ou vouloir, consacrer à des projets professionnels.

Notre existence est fragile, tout comme l’est la place de la musique en médiathèque, jadis protégée par la logique des collections. Alors que ces collections commencent à disparaître des rayons, avec elles disparaissent les bibliothécaires qui en étaient responsables. Le Festival Amply et toutes les initiatives similaires participent, nous l’espérons, sinon à la pérennisation, du moins au maintien sous perfusion de la présence de la musique en médiathèque. Une autre tendance salutaire voit le jour avec le prêt d’instruments ou de matériel de musique assistée par ordinateur (MAO). Par elle, la médiathèque incarne également une démocratisation de la pratique musicale d’un bout du spectre – l’apprentissage de la musique – à l’autre – son interprétation en public. Comme l’affirme l’Acim, l’Association pour la coopération des professionnels de l’information musicale : « La musique a toute sa place en médiathèque. » Qu’on se le dise.