« La bienveillance entre collègues devrait être la règle partout »

Entretien avec Fabienne Le Hein et Anne Mourand-Sarrazin

Véronique Heurtematte

Le 21 mai 2021, à l’Enssib, les élèves conservateurs promus proposaient à la promotion DCB 30 Gisèle Halimi une journée d’étude consacrée à la qualité de vie au travail. Une thématique particulièrement d’actualité dans le contexte actuel, sur laquelle le BBF revient dans cet entretien avec Fabienne Le Hein et Anne Mourand-Sarrazin.

BBF : Dans quel contexte a été organisée cette journée ?

Fabienne Le Hein : Nous devions initialement organiser une journée d’étude ouverte à tous mais le contexte sanitaire a fait qu’après une semaine de cours en présentiel en début d’année, la formation s’est poursuivie à distance jusqu’à fin avril. Nous nous sommes vite rendu compte que le format standard de la rencontre que nous avions élaborée ne conviendrait pas aux contraintes posées par la crise sanitaire. Nous avons donc proposé une journée organisée et animée par les promus mais à l’intention exclusive des collègues de notre promotion, sur une thématique très large, la qualité de vie au travail (QVT), qui permettait de partager nos différentes expériences.

Anne Mourand-Sarrazin : Organiser cette journée a également été une manière d’apporter de la cohésion entre les 31 personnes de notre promotion qui ne s’étaient croisées que brièvement en raison des conditions sanitaires. Cela a permis de nourrir des échanges très riches entre élèves conservateurs et promus.

BBF : Pourquoi avoir choisi la qualité de vie au travail comme thématique ?

Anne Mourand-Sarrazin : Cette thématique correspondait à une envie de l’équipe justement parce que nous travaillions à l’époque dans des conditions difficiles, où la qualité de vie au travail était mise à mal. Plusieurs promus avaient participé à des démarches QVT et pouvaient ainsi apporter leur expérience sur ce sujet.

Fabienne Le Hein : En ce qui me concerne, je travaille dans le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris où les agents sont sensibilisés déjà depuis plusieurs années à cette question. Dans le contexte où nous étions, c’était une thématique qu’il était judicieux d’aborder.

BBF : Comment se met en place une démarche QVT dans un établissement ?

Fabienne Le Hein : C’est une attention portée au quotidien au bien-être de ses collègues. Cela passe par des petites choses toutes simples comme organiser le nettoyage collaboratif de la tisanerie de la bibliothèque, prévoir régulièrement des moments conviviaux. J’essaie aussi de valoriser le parcours de mes collègues et de m’appuyer sur leurs compétences et appétences dans les profils de poste. Il ne s’agit pas de demander à un agent de catégorie C de faire le travail d’un B ou plus, mais cette forme de valorisation est appréciée car nous n’avons aucun moyen de récompenser l’investissement des collègues au moyen des primes. Pendant la journée d’étude, une de nos collègues a proposé un atelier pour rédiger une charte de qualité des conditions de travail dans laquelle je retrouve plusieurs points d’attention pour moi, tels qu’informer au mieux ses collègues au quotidien, essayer d’apporter une réponse, immédiate ou différée, aux demandes. Dans mon travail de responsable d’établissement, j’essaie de me rendre disponible. La porte de mon bureau est toujours ouverte, c’est un signe tangible qui est apprécié. J’essaie aussi de prendre régulièrement un temps d’échange avec mes collègues, pas seulement pendant l’entretien annuel. Quand on crée un cadre rassurant, agréable, respectueux de chacun, c’est plus facile d’atteindre les objectifs fixés.

Anne Mourand-Sarrazin : En tant que cheffe de service au sein d’un grand établissement, la Bibliothèque nationale de France, je ne suis pas personnellement engagée dans une démarche officielle QVT à ce jour, mais j’en ai une approche individuelle et pragmatique car en tant qu’encadrante, c’est important. Je rejoins Fabienne sur le souci du bien-être des équipes qui doit être une priorité et que je mets devant les objectifs chiffrés journaliers qui peuvent nous être fixés. Dans mon service au dépôt légal, le travail est passionnant mais il peut être lourd, au sens concret car il y a beaucoup de cartons à porter, de livres à traiter. Il est fondamental de donner du sens au travail que l’on fait, de rappeler son importance car, quand on est une petite partie de la chaîne, on a tendance à oublier la finalité de ce que l’on fait, c’est-à-dire le service rendu au public. La qualité de vie au travail, c’est aussi être au quotidien attentif à la propreté des lieux, c’est fournir des procédures claires, rendre le travail facile, se montrer à l’écoute des idées et suggestions de ses collègues. Que chacun se sente écouté, c’est une base essentielle qui motive mon action et qui est l’aspect qui m’intéresse le plus en tant qu’encadrante.

BBF : Pendant la journée d’étude ont été abordés les séminaires et journées de cohésion. Quelle place occupent-ils dans la gestion d’une équipe ?

Anne Mourand-Sarrazin : Je n’ai pas organisé jusqu’à présent de journées de cohésion pour mon équipe car dans mon service, ce n’est pas évident de bloquer toute une journée, mais il nous est arrivé de faire des visites d’établissements, des petits déplacements en groupe qui permettent d’ouvrir les perspectives et de créer des souvenirs communs. Notre journée d’étude à l’Enssib m’a cependant montré l’intérêt de ce type d’événements dans la vie d’une équipe et je pense en organiser dès que ce sera possible. La période que nous venons de vivre a fait apparaître un grand besoin de convivialité, de moments collectifs dont nous avons été privés. Par ailleurs, je participe régulièrement à des séminaires dans mon institution, notamment pour élaborer des projets sur le mode participatif. Ces démarches sont intéressantes mais elles présentent deux écueils, le risque de laisser de côté les personnes un peu introverties, et le travers du faux participatif.

Fabienne Le Hein : À Paris, nous travaillons sur des projets d’établissement de 3 ans. Je ferme la bibliothèque un jour par an pour y travailler, chaque établissement ayant latitude pour adapter le projet global du réseau à son territoire. Au-delà de ce séminaire annuel, j’organise des temps de travail participatif car les bonnes idées ne sont pas l’apanage des encadrants, loin de là, et il est important de trouver des moments pour associer les collègues à la réflexion.

BBF : Les démarches QVT, dont vous montrez bien l’importance dans la gestion d’une équipe, sont-elles suffisamment abordées dans les formations des encadrants ou futurs encadrants ?

Anne Mourand-Sarrazin : Le besoin de formation à la QVT est certain. Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir eu déjà un certain nombre de formations sur le sujet, notamment lors de ma prise de poste en tant qu’encadrante à la BnF. À l’Enssib, la formation de management que nous avons eue était assez axée sur ces aspects et cela a été une agréable surprise. J’ai été très contente que l’Enssib choisisse Nathalie Clot comme responsable de ce module qui a été élaboré de manière sensible et intelligente et dont j’ai énormément retiré. C’était important d’entendre en formation qu’être encadrant, ça peut être difficile parfois, et qu’il est important d’être sincère dans sa manière d’accomplir cette fonction.

Fabienne Le Hein : À la Ville de Paris, nous sommes aussi effectivement sensibilisés aux questions de QVT. J’ai participé à plusieurs formations qui rassemblent des encadrants de différentes directions et c’est extrêmement intéressant car on constate que les enjeux sont les mêmes pour un responsable administratif comme pour un responsable de bibliothèque. Ceci étant, j’ai l’impression que ce sont plutôt mes pratiques professionnelles et mon expérience dans différents types de bibliothèques qui ont nourri mon expérience et rendue attentive à toutes ces questions. Je trouve aussi que le module management que nous avons eu pendant ces six mois de formation à l’Enssib a été une bonne surprise. Nous avons eu différents intervenants, beaucoup de travaux en sous-groupes qui mélangeaient les internes, les externes, les promus. Il y avait aussi des témoignages de collègues très intéressants sous forme de capsules vidéo. Cela permettait de prendre du recul sur ses pratiques professionnelles. Le point que souligne Anne est important. On fait avec ce que l’on est, on ne se métamorphose pas en une autre personne en devenant encadrant.

BBF : Un mot pour conclure ?

Fabienne Le Hein : J’ai travaillé dans différentes structures, bibliothèques territoriales, Bibliothèque nationale de France, Ville de Paris depuis 2009. Ce que je retiens de toutes ces années, c’est l’importance de la bienveillance envers ses collègues, de l’écoute, de l’attention qu’on leur porte et qui devrait être le cas partout.

Anne Mourand-Sarrazin : Je rejoins complètement Fabienne. J’ajouterais qu’il faut faire attention à ne pas utiliser les démarches de qualité de vie au travail comme pansement artificiel à des situations managériales dégradées. Mal utilisée, la QVT peut faire plus de mal que de bien. Je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait qu’en tant qu’encadrant, il faut rester vigilant à sa propre qualité de vie au travail, être disponible mais en respectant sa propre résistance. Il faut trouver un équilibre, être encadrant n’est pas un rôle sacrificiel.