Cécile Swiatek

Une conservatrice engagée dans l’ouverture des savoirs

Christophe Catanese

BBF : Comment voyez-vous la collaboration avec le BBF en tant que correspondante LIBER ?

Cécile Swiatek : Une revue comme le BBF est fondamentale pour nos métiers : afin de renouer le lien entre la revue et les enjeux de l’IST, le BBF doit se nourrir de remontées de terrain. Le déploiement d’un réseau de correspondants permet d’assurer une circulation rapide et sélective de l’information professionnelle, et pour prendre en compte les sujets politiques, économiques et de société dans lesquels se positionnent les structures et services documentaires.

Je suis correspondante LIBER auprès du BBF. Ma responsabilité, c’est assurer le lien entre les questions européennes et nationales à travers des informations associatives et de réseau. Je prends cette collaboration sous deux aspects complémentaires : transmettre de l’information rapide et chaude y compris des signaux faibles à la rédaction pour leur assurer de ne pas manquer une information majeure à venir ; envoyer plus ponctuellement de l’information secondaire, écrite, thématisée, sous forme de retour d’expérience ou de sujet plus fondamental.

Ce réseau est une expérimentation en cours : cela me plaît, car les limites sont à définir ensemble. J’apprends beaucoup sur la vie d’une revue. Cela m’apporte aussi des confrontations de regards et de rencontrer des étonnements sur des sujets qui parfois me semblent être des évidences, car je suis plongée dedans. Je dois faire l’effort de contextualiser. C’est stimulant, et cela fait réfléchir !

BBF : Quels sont vos principaux projets pour le SCD de l’université Paris-Nanterre ?

Cécile Swiatek : Le SCD de l’université Paris-Nanterre poursuit une orientation claire vers l’ouverture des savoirs. Cette perspective se décline selon trois axes de travail :

  • recherche, science ouverte dans l’université et vers la société ;
  • pédagogie, étudiants et citoyenneté ;
  • numérique sans frontières.

Nous avons en effet aujourd’hui un rendez-vous à ne pas manquer, celui de la diffusion des savoirs dans une ère numérique, marquée par une distance qui révèle les barrières d’accès aux savoirs et à la connaissance académique.

L’inscription des savoirs académiques ouverts et de la culture numérique dans les espaces du SCD est un premier volet, qui s’engage pour les années qui viennent. L’année 2021 commence au SCD de l’université Paris-Nanterre par la finalisation d’un très beau projet porté par la direction précédente et les équipes du SCD. Il s’agit d’un lieu qui vient compléter les espaces documentaires et les dispositifs de services de la BU : mais je ne peux pas vous en dire plus à ce jour. Cette échappée belle sur les ressources et la culture numériques n’a pas encore dévoilé son nom. Suivez les informations pour repérer, aux beaux jours, l’annonce de son ouverture !

L’ouverture des savoirs est une opportunité à saisir aussi bien dans le champ de la recherche que sur le terrain des apprentissages, de la pédagogie, de la formation. Dans son domaine d’expertise, le SCD a toute sa place pour soutenir, accompagner et participer à la réinvention des modèles académiques. La grande université essentiellement tournée vers les SHS qu’est Paris-Nanterre peut s’appuyer sur son SCD. C’est dans un esprit de dialogue que nous assurons la réussite des projets documentaires et de services collaboratifs liés à la science ouverte. C’est dans le cadre d’une démarche résolument citoyenne que nous abordons les enjeux de diffusion de l’esprit critique et des valeurs humanistes, de formation aux compétences informationnelles et aux outils numériques, et de la favorisation de l’insertion professionnelle étudiante. Paris-Nanterre est une université de partage : nous envisageons d’apporter à moyen terme notre soutien aux efforts fournis par les infrastructures nationales et internationales en matière d’ouverture et de diffusion des savoirs académiques.

BBF : Vous êtes secrétaire générale de l’ADBU : pour vous, quels sont les sujets prioritaires pour la profession aujourd’hui ?

Cécile Swiatek : Les axes prioritaires sont pour moi l’identification et l’appropriation, par les pouvoirs publics et par la société, des apports que proposent nos services et métiers. Les bibliothèques et structures documentaires évoluent sans cesse. Elles sont de formidables leviers de progression, d’innovation, mais aussi d’approfondissement et de fiabilisation des savoirs. Nous pouvons agir de diverses manières : sur la documentation bien sûr, en questionnant et en renforçant nos politiques et nos pratiques, mais aussi en poursuivant notre inscription dans les activités, voire la co-création, en pédagogie, à travers le soutien à la recherche, l’accompagnement dans le numérique, le développement de la formation continue pour soutenir le développement de compétences professionnelles et accompagner les évolutions des métiers.

À côté des priorités figurent les sujets urgents. Ce sont ceux qui recoupent les défis auxquels fait face notre société marquée par les mues des canaux, des sources et des modalités de traitement de l’information.

Sur le volet de la recherche universitaire, cela recouvre pour les bibliothèques la réinvention des modèles de publications et le champ abyssal de la donnée. Les bibliothèques doivent non seulement faciliter activement certaines évolutions, mais aussi agir – et peser. C’est le cas, à mon sens, pour ce qui concerne l’accompagnement des chercheurs dans les démarches de FAIRisation des données 1

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[Ndlr] Les principes FAIR (Findability, Accessibility, Interoperability and Reusability) définissent un ensemble minimal de principes qui permettent aux machines et aux humains de trouver, d’accéder, d’interopérer et de réutiliser les données et métadonnées de recherche. Les principes FAIR doivent être considérés comme des bonnes pratiques destinées à faciliter la réutilisation des données et des résultats de la recherche. Disponible sur https://gapn.hypotheses.org/1533.

, et d’en assurer la gestion et la diffusion.

Sur le volet de la pédagogie et de la formation, l’enjeu est d’une part la formation aux compétences informationnelles et au développement de l’esprit critique, d’autre part le défi de la transformation pédagogique : ouverture et signalement des savoirs, enjeux d’inclusion, co-création et ouverture des contenus, exploitation des méthodes numériques là où elles font sens.

Enfin, sur le volet de l’innovation, il revient manifestement aux bibliothèques et aux structures documentaires de favoriser l’émergence de méthodes collaboratives et ouvertes. Les bibliothèques sont de véritables machines à projets, des catalyseurs d’énergie, des facilitatrices de partages. Elles savent gérer le courant, mettre en place de nouveaux dispositifs, et mener des expérimentations diverses. Les bibliothèques sont très fortes pour mettre en relation différents acteurs des institutions et savent capitaliser sur leur culture de réseau, et elles sont collaboratives. Elles ont l’habitude de travailler sur des standards et des normes, elles se transmettent entre elles leurs méthodes, et savent construire à partir de l’expérience partagée par les autres. Je les admire !

Shelby Foote écrivait, sur un ton provocateur, quelque chose de finalement assez vrai : « A university is just a group of buildings gathered around a library. » Au titre de l’ADBU, je n’ai qu’un unique conseil à adresser à tous les décideurs et à toutes les gouvernances en matière de bibliothèques : voyez leur valeur, leur richesse, leur dynamisme – et emparez-vous en !

BBF : Pouvez-vous nous parler de vos engagements dans les associations européennes et au niveau international ?

Cécile Swiatek : J’ai le plaisir d’entretenir une activité associative très forte, très intense et très riche, sur le plan personnel comme professionnel. C’est un engagement moral à la fois liant et structurant : cela demande beaucoup de discipline – et parfois, aussi un peu d’abnégation. Pourtant, quelle richesse est au rendez-vous : quelles rencontres, quelles découvertes… J’ai ouvert la fenêtre de la curiosité tout d’abord grâce à l’IFLA où l’Enssib m’a permis de me rendre durant ma scolarité, et ensuite grâce au Cfibd que j’ai rejoint en 2006 sur la base d’une activité de traductions scientifiques de l’IFLA. J’ai été élue à l’IFLA dans la section Library buildings & Equipement et c’est par la pratique internationale que j’ai pu ouvrir mes horizons. Grâce aux bourses du Comité français international bibliothèques et documentation (Cfibd), grâce à la commission « International » de l’ABF puis à l’appui de l’ADBU, j’ai obtenu des soutiens sur la durée. Membre puis responsable de groupe à LIBER, j’en ai rejoint l’Executive Board en 2020, après dix ans d’expérience. Mon intérêt pour les questions de pédagogie et de formation m’a ouvert les portes du réseau des bibliothèques académiques travaillant sur l’Open Education et les ressources éducatives libres (REL) de SPARC Europe. La confiance de collègues d’autres professions m’a permis d’entrer dans la délégation française d’EDUCAUSE. Je suis également membre du CoSO, Collège Europe et international… c’est un tout. On y met un orteil, et puis on tombe dedans. Je fourmille d’ailleurs de projets liés à l’Open Education, aux REL et aux compétences informationnelles au niveau européen – peut-être que certains verront le jour en 2021. J’ai récemment mis en ligne pour l’association des universités européennes (EUA) une vidéo en ligne à ce sujet.

Attention toutefois au temps et à l’énergie que réclame une action associative intensive ! Cela se construit progressivement avec le temps, et exige de connaître ses priorités, ses objectifs. Pour ma part, je me demande toujours si mes actions ont un sens pour notre communauté. Là où je vais, c’est pour être active : produire, échanger, faciliter. Je ne suis pas un cavalier solitaire, ni un passager inerte. C’est en faisant que l’on apprend, j’en suis convaincue. Au contact des autres, j’ai beaucoup appris ; maintenant c’est à mon tour de faire, et de transmettre.

BBF : Vous êtes coauteure du livre Figures de bibliothécaires paru aux Presses de l’Enssib en 2020. Quel est l’objectif de ce type d’ouvrage historique ?

Cécile Swiatek : J’ai collaboré à plusieurs ouvrages ces récentes années, dont Figures de bibliothécaires. Ce type d’ouvrage historique vise à éclairer, au-delà de l’histoire d’une profession, les mouvements et les phénomènes politiques, culturels, populaires et académiques que traversent nos sociétés. Les bibliothécaires sont à la fois des observateurs et des acteurs de la société. Ils observent, collectent, conservent et diffusent les faits, mais ils agissent également. Ils prennent parti, s’engagent, œuvrent à la transformation de l’humanité. Dans Figures de bibliothécaires, la composition du comité scientifique était excellente, car elle rassemblait autour d’Isabelle Antonutti des bibliothécaires issus de la lecture publique, de la lecture universitaire, de la bibliothèque nationale et un historien, maître de conférences : quatre personnes qui reflètent justement l’esprit de diversité qui anime notre communauté.

Les objectifs de cet ouvrage en particulier sont parfaitement décrits par la coordinatrice scientifique de l’ouvrage, Isabelle Antonutti, dans un entretien avec les Presses de l’Enssib accessible en ligne, mais aussi dans l’introduction qu’elle a rédigée pour l’ouvrage.

La préface écrite par Jean-Yves Mollier jette sur l’ouvrage un éclairage extrêmement intéressant.

Dans le cadre de la création de cet ouvrage je me suis chargée, au sein du comité scientifique, outre des activités partagées de suivi, de coordination et de relecture, de la tâche bien spécifique de la bibliographie. Une bibliographie, c’est une œuvre de l’esprit, et un travail extrêmement ouvragé. Point de bonne bibliographie sans aller chercher et vérifier une à une chaque source, y réfléchir, en proposer. J’ai travaillé sur les apports des contributeurs, bien entendu, qui sont les experts de cet ouvrage. Faire une bibliographie dans un ouvrage comme celui-ci, qui compte une centaine de notices et a rassemblé une soixantaine d’auteurs, c’est réaliser un maillage transversal. Le travail de bibliographie me plaît car il reprend deux aspects qui me font vibrer dans l’existence : apprendre au contact des autres, et faire l’effort de construire un objet pour partager ces savoirs 2

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Vous pouvez également découvrir la bibliographie de Cécile Swiatek sur : https://orcid.org/0000-0003-1066-4559.

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