Journée annuelle du réseau Carel

Quel écosystème pour le prêt de livres numériques ? – 13 octobre 2020

Julie Duprat

Le 13 octobre 2020 s’est tenue à la Bpi la journée annuelle de réseau Carel, « Quel écosystème pour le prêt de livres numériques ? », qui a permis à ses adhérents de se retrouver pour échanger entre eux ainsi qu’avec des exposants. La matinée a également été consacrée à une réflexion plus générale sur le livre numérique en bibliothèque, que nous nous proposons de retracer.

L’offre PNB et ses évolutions récentes

En premier lieu, c’est PNB (Prêt numérique en bibliothèque) qui a bénéficié d’une attention toute particulière : Guillaume de la Taille, président de réseau Carel, a ainsi fait un état des lieux de ce dispositif lancé en 2012.

Aujourd’hui implanté dans 260 établissements, PNB a connu une augmentation de son usage au cours de ces dernières années : l’enrichissement de son catalogue, qui se porte aujourd’hui à 70 000 ouvrages numériques, s’est doublé d’un nombre croissant d’emprunts de la part des usagers. Pour la seule année 2020, on dénombre déjà plus de 800 000 prêts (soit trois fois plus que cinq ans plus tôt). Malgré ce bilan positif, cette présentation a également été l’occasion de rappeler les freins au déploiement plus large de ce dispositif.

Le premier obstacle se situe du côté des bibliothécaires, notamment dans les petits établissements, qui n’ont parfois pas les budgets suffisants pour investir dans ce dispositif coûteux et complexe. La généralisation de la durée illimitée de la licence d’utilisation des livres PNB pourrait cependant contrer cette difficulté. Cela permettrait de plus de favoriser une plus grande diversité des catalogues en incitant les bibliothécaires à acheter des licences sur des livres aux taux d’emprunt moins importants que les best-sellers. Dilicom, opérateur du dispositif PNB, a bien conscience de ces freins dans la sphère professionnelle : son intervention a permis de souligner que la moitié des éditeurs font désormais le choix de l’absence d’une limitation de la durée de licence. Cette évolution se double d’un travail en interne pour améliorer l’interopérabilité et l’accessibilité de la plateforme afin de faciliter sa prise en main par tous les professionnels du livre.

L’autre frein, tout aussi important, se situe du côté des usagers qui se heurtent à plusieurs problèmes techniques, dont le plus important est sans conteste le DRM Adobe. Ce DRM, conçu pour protéger l’accès aux documents numériques sous droits, complique considérablement la lecture pour les usagers. C’est en partie pour résoudre cette difficulté que s’est formé l’EDRLab, laboratoire de développement présent en France et à l’international, soutenu entre autres par la BnF et Réseau Carel : son objectif est de faciliter la lecture numérique pour tous avec la mise en place de standards ouverts et accessibles, de logiciels libres et de systèmes de protection. Récemment, ces efforts se sont concrétisés avec le lancement du DRM LCP qui a vocation à proposer une solution alternative à celle d’Adobe : tout aussi sécuritaire, le DRM LCP est moins invasif et plus facile d’utilisation et a déjà été déployé au Canada.

L’avenir de PNB se jouera aussi sans doute dans la diversification des contenus proposés : ainsi, la BD numérique fait figure de nouveau venu. L’entrée de deux éditeurs importants aux catalogues de deux distributeurs (DC Comics chez Izneo et Sarbacane chez Madrigall) pourrait permettre à la BD numérique de trouver son public en Europe. La BD numérique peut également se targuer de bénéficier de modèles techniques adaptés : outre le DRM LCP, l’EDRLab travaille actuellement sur un modèle conçu pour les formats graphiques nativement numériques, appelé Divina.

D’autres modèles de lecture numérique

Toutes ces interventions ont permis de souligner la vitalité du livre numérique, en constante amélioration et évolution pour mieux rencontrer les besoins de ses lecteurs. Il est cependant important de noter que le dispositif PNB coexiste aujourd’hui avec d’autres modèles de lecture numérique, notamment la lecture en streaming, qui peuvent répondre en partie aux interrogations des professionnels. L’importance de ces modèles dans le paysage bibliothéconomique a notamment été récemment démontrée par deux enquêtes : la première, pilotée par la Bpi, s’est tenue en 2019 ; la seconde a été lancée en 2020 à l’initiative du ministère de la Culture.

L’enquête de la Bpi menée par Frédérique Laugrost auprès de 109 bibliothèques de réseau Carel a permis de montrer que PNB a été adopté par 42 % d’entre elles : les bibliothèques sont donc également intéressées par d’autres modèles, notamment dans les secteurs de l’autoformation, de la presse, de la musique et de la jeunesse. L’enquête menée en 2020 en deux temps par le Service du Livre et de la Lecture a permis de faire le même constat : le confinement a été, sans surprise, l’occasion de voir exploser les usages numériques des lecteurs. Les ressources les plus utilisées durant cette période ont été, dans l’ordre, les ressources en autoformation, en jeunesse, les livres en streaming, le PNB se classant donc en quatrième position.

Ces modèles de lecture en streaming ou de cours en ligne sont donc complémentaires de l’offre PNB : en effet, leurs contenus et l’absence de téléchargement remplissent certaines attentes des lecteurs même si leur ergonomie nécessite encore une amélioration.

Comment faire la médiation du livre numérique ?

Une fois que les droits de lecture de ces divers contenus numériques ont été achetés par les bibliothèques, une médiation autour de ces dispositifs est essentielle pour permettre une bonne appropriation par les usagers et les bibliothécaires eux-mêmes. L’enquête menée par la Bpi en 2019 a ainsi permis de mettre en valeur plusieurs projets de communication afin de promouvoir les collections numériques des bibliothèques grâce à des affichages ou des matérialisations.

Les efforts des professionnels des bibliothèques se portent en parallèle de plus en plus sur l’utilisabilité de leurs sites web dédiés aux collections numériques. Fabien Vandamme-Schlimpert a ainsi présenté le projet Limédia Mosaïque mené pour le Sillon Lorrain (intercommunalités de Metz, Nancy, Épinal, Thionville) pour lequel il a été décidé d’adapter les sites de collections numériques de la bibliothèque aux différents parcours usagers. Limédia Mosaïque, médiathèque numérique uniquement accessible aux lecteurs du Sillon Lorrain, a ainsi été conçue avec un souci particulier de l’éditorialisation. En plus des sélections des bibliothécaires, l’accent a été mis sur les visuels pour attirer les lecteurs : les métadonnées détaillées cèdent la place aux couvertures des romans et journaux, plus accrocheurs. Cette stratégie leur permet ainsi de valoriser les 9 000 titres présents dans leur catalogue numérique.

La même politique a été adoptée dans le département de la Vienne : dans ce département rural, la gestion du PNB et son déploiement sur le territoire viennois sont pris en charge par la bibliothèque départementale. Cette dernière s’est inspirée des plateformes de VOD pour concevoir « Lire en Vienne » avec deux grands principes : faire simple et donner envie. L’accent a aussi été mis sur l’accompagnement des lecteurs : des ateliers tests sont régulièrement organisés et une aide à distance a été mise en place. Aujourd’hui, la plateforme enregistre 28 000 lecteurs inscrits, un nombre que la bibliothèque départementale souhaiterait voir augmenter.

Ces efforts faits par les bibliothécaires pour améliorer l’ergonomie de leur site et l’accompagnement des lecteurs se doublent aussi d’autres initiatives. Dilicom et l’EDRLab ont ainsi conçu des applications pour faciliter la lecture numérique via PNB : Dilicom a créé une application smartphone, Baobab, aujourd’hui uniquement utilisable sous Android, tandis que l’EDRLab a créé une application de lecture à utiliser sur les ordinateurs, Thorium Reader.

Le livre numérique comme projet structurant pour les établissements

Tout au long de la matinée, les différentes interventions ont enfin permis de rappeler que le livre numérique en bibliothèque est un projet de territoire. De manière structurelle tout d’abord : les abonnements sont en grande partie gérés par les bibliothèques départementales pour leur territoire comme l’a montrée l’enquête menée par Frédérique Laugrost. L’exemple du Sillon Lorrain a également permis de rappeler la place des intercommunalités dans ce paysage : à Metz, Nancy, Thionville et Épinal, les collections numériques permettent d’avoir une réelle cohésion entre les quatre villes. En effet, les équipes coopèrent à tour de rôle sur cette question documentaire, le volume de travail étant cependant adapté à la taille de ces différentes bibliothèques.

Les collègues présents ont également rappelé l’importance des enjeux de formation en interne autour de la constitution de fonds numériques, afin de pouvoir par la suite accompagner efficacement les usagers. La bibliothèque départementale de la Vienne a ainsi fait le choix de mettre en place une formation obligatoire de 3 heures pour toutes les bibliothèques rejoignant le réseau « Lire en Vienne ». L’animation des ateliers pour les lecteurs par la bibliothèque départementale permet également une formation des bibliothécaires à la médiation. De manière générale, l’importance de cette formation a été rappelée dans l’enquête sur le réseau Carel. D’autres ressources que celles des bibliothèques peuvent d’ailleurs être mobilisées pour l’organisation de ces formations : l’opérateur Dilicom organise ainsi des formations gratuites pour accompagner les bibliothèques au sein du dispositif PNB.

Conclusion

Malgré toutes ces avancées et améliorations, le paysage du livre numérique questionne encore les bibliothécaires. Un de leurs objectifs est ainsi de pouvoir évaluer l’impact de cette offre numérique auprès de la population. Cela pose aussi la question du public non-usager et éloigné de la lecture numérique pour diverses raisons (illectronisme, handicap visuel…). En plus de ces questionnements professionnels récurrents, des nouvelles questions d’ordre éthique surgissent désormais dans le débat, souvent portées par les lecteurs eux-mêmes : quel est le coût écologique du numérique ? Faut-il vraiment promouvoir l’usage du numérique auprès du jeune public ?

Toutes ces interrogations prouvent que la question du livre numérique sort peu à peu de la seule sphère des bibliothécaires : l’enrichissement des contenus, l’évolution des techniques et les modifications des usages face à la crise sanitaire sont tout autant de facteurs qui permettent l’arrivée de nouveaux lecteurs, avec leurs propres besoins. Dès lors, le dialogue entre les éditeurs et les bibliothèques, mené notamment par Réseau Carel, est plus que jamais essentiel afin d’adapter l’offre numérique aux demandes des lecteurs et ainsi d’irriguer l’ensemble du territoire.