« Services à la recherche : comment s’organiser ? Comment se former ?

Retour sur la journée d’étude ADBU, 5 novembre 2019

Fanny Clain

Isabelle Gras

On entend souvent dire que les chercheurs ne viendraient plus à la bibliothèque. Celle-ci serait-elle uniquement devenue immatérielle pour eux avec la documentation électronique ? Rien n’est moins sûr car les bibliothécaires ont toujours tissé des liens privilégiés avec les chercheurs sur le modèle du rendez-vous individualisé, notamment. De plus, des collaborations fructueuses entre bibliothécaires et chercheurs ont vu le jour depuis de nombreuses années tant pour la réalisation d’expositions que pour des projets de numérisation de corpus. Cependant, comment faire des services aux chercheurs un levier de la politique d’établissement ? Comment s’organiser en interne et comment se positionner au sein de l’université ? Comment former les bibliothécaires pour aller plus loin dans l’offre de services offerts aux chercheurs ? Et jusqu’où faut-il chercher à développer des compétences ? C’est au cœur du campus moderne de Paris Saclay propice à des réflexions prospectives que toutes ces questions ont été débattues lors de la journée d’échanges ADBU du 5 novembre 2019 organisée conjointement par la commission « Recherche et documentation » pilotée par Marie-Madeleine Géroudet (SCD de l’Université de Lille) et par la commission « Évolution des métiers et compétences » pilotée par Johann Berti (SCD d’Aix-Marseille Université).

Des ateliers en groupe restreint suivis de temps de restitution en plénière 1

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Voir notamment le #JEADBUServicesRecherche

permettant de mutualiser les réflexions ont rythmé les débats. C’est une approche ciblée sur les publics qui a été privilégiée afin de tenir compte de la perception des chercheurs. Certains gardent parfois une vision traditionnelle des bibliothèques dont les missions ne se résumeraient qu’à la mise à disposition de documents. D’autres, au contraire, associent étroitement les bibliothécaires à leur gestion de projet en matière de numérique, par exemple, et reconnaissent aux bibliothécaires une expertise dans le domaine de la diffusion scientifique et technique.

Les projets (qui peuvent porter sur la numérisation, l’open access ou encore la gestion des données de recherche, à titre d’exemple) associent d’ailleurs généralement des chercheurs, des professionnels de l’IST et des juristes, triptyque dont le groupe de travail Dialogu’IST 2

met régulièrement en lumière l’importance pour leur bonne réussite. Les compétences des bibliothécaires en matière de référencement peuvent ainsi être mises à profit pour accompagner les chercheurs dans la création de leur identité numérique. Les bibliothécaires peuvent également aider ces derniers à valoriser et à assurer l’archivage pérenne de leurs publications dans une archive ouverte. Les échanges avec les participants de la journée montrent que les bibliothécaires sont de plus en plus sollicités par les chercheurs pour des conseils portant aussi bien sur l’édition, l’open access, la gestion des données 3, les questions juridiques et éthiques associées à ces thématiques ou encore la bibliométrie.

Comment répondre à ces nouvelles demandes ? Comment saisir les opportunités de renforcer le dialogue avec les chercheurs ? Les bibliothèques ont déjà commencé à y répondre de manière pragmatique : des profils de poste et des équipes dédiées aux « services à la recherche » se structurent au sein de nombreuses bibliothèques et sont parfois même visibles dans les organigrammes. Le développement de ces missions permet d’identifier clairement les bibliothèques en tant que service au sein de l’université. Les collaborations avec les autres services universitaires peuvent être multiples et créer de nouvelles synergies que ce soit avec la direction de la recherche, les ressources humaines, les services de communication ou de culture scientifique ou bien encore les presses universitaires, pour ne citer que quelques exemples. Ces collaborations permettent de développer des compétences transversales nécessaires au bon déploiement des projets portés par les chercheurs.

Les multiples retours d’expérience très concrets proposés à la fois par des bibliothèques et des établissements 4

, au titre desquels l’Enssib mais aussi plusieurs CRFCB et Urfist figuraient, ont permis de faire émerger des propositions méthodologiques mais aussi des bonnes pratiques et des points de vigilance dans le déploiement d’une démarche en matière de service aux chercheurs. Si ces perspectives sont enthousiasmantes, elles impliquent également un changement de posture pour les bibliothécaires chargés de ces services : en effet, au quotidien, l’enjeu est de collaborer avec d’autres services universitaires, de participer au pilotage de projets ou encore de sensibiliser les chercheurs (le terme de formation n’est pas forcément jugé adapté, comme le soulignent de nombreux participants à la journée). Le déploiement des services aux chercheurs repose donc sur un périmètre d’action variable qui fait la richesse de ces missions.

C’est pourquoi, si la question des services aux chercheurs est bien d’actualité 5

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Voir notamment le numéro 95 d’Arabesques : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1291

, c’est loin d’être un effet de mode et tout l’enjeu sera d’accompagner sur le long terme les bibliothécaires dans la construction et le renforcement de leurs compétences sur ces questions. Cela implique aussi un positionnement clair des bibliothèques dans leur volonté de structurer des équipes dédiées aux services aux chercheurs. Les besoins identifiés en matière d’organisation des services aux chercheurs se sont d’ailleurs traduits par des livrables portés par les deux commissions Recherche et Métiers : comptes rendus, fiches ateliers et sketchnotes sont disponibles sur le site de l’ADBU 6
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Voir aussi la liste de diffusion bibrecherche@groupes.renater.fr, créée par la commission Recherche de l’ADBU pour favoriser les échanges entre professionnels à la suite de la journée du 5 novembre 2019.

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Une fois clarifié l’écosystème des acteurs des services à la recherche, dont le périmètre et les relations internes peuvent varier d’un établissement à l’autre, la question qui survient naturellement est la suivante : sommes-nous prêts d’ores et déjà dans nos établissements à délivrer des services à la recherche qui soient à la hauteur des attentes et besoins des communautés scientifiques, jusque dans leurs évolutions les plus récentes ?

La question des compétences des professionnels de l’IST a semblé alors se présenter sous l’angle de la lacune : si les compétences techniques « cœur de métier », par exemple celles utiles au signalement (mission « classique » par ailleurs indispensable au soutien à la recherche) sont acquises, celles, techniques et juridiques, utiles entre autres à la structuration des données produites et manipulées par les chercheurs, celles pour lesquelles l’expertise du bibliothécaire est de plus en plus requise, celles-là nous feraient encore défaut, du moins en partie.

L’enjeu du développement des services à la recherche interroge donc l’identité du métier de bibliothécaire et les compétences qui le sous-tendent. Les discussions de la journée ont beaucoup fait mention de « nouvelles » compétences à acquérir et développer, mais les identifier et les lister dans une fiche de poste se révèle un exercice ardu. Trois écueils peuvent actuellement guetter la rédaction de la fiche de poste d’un responsable des services à la recherche : celui d’être trop « généraliste » ou « traditionnelle » quand les compétences attendues ne le sont pas ; celui d’être « édulcorée » pour ne pas effrayer l’éventuel candidat à un recrutement ; celui de donner l’impression que l’on recherche le « mouton à cinq pattes », qui devra coordonner ce qui existe de façon fragmentée et créer ce qui ne l’est pas encore.

Où trouver ces « nouvelles » compétences dont on estime qu’elles sont désormais incontournables ? Il y a bien sûr le recours à la formation initiale et continue dont les acteurs, Enssib, Urfist, CRFCB, s’adaptent extrêmement vite. Mais pour des établissements qui se retrouvent dans la nécessité parfois urgente, car émanant d’une demande politique, de structurer des services à la recherche, la tentation peut être grande d’aller chercher de « nouveaux profils » en se tournant vers la filière ITRF. Dans les faits, les postes de « responsable datalab », « datalibrarian », « project management officer » (PMO) semblent plutôt occupés à l’heure actuelle par des IGE plutôt que par des professionnels issus de la filière bibliothèque.

On aurait pu en tirer la conclusion que la filière bibliothèque trouvait là sa limite. Cependant l’ensemble des professionnels présents ont pu s’accorder sur le rapprochement des compétences déjà à l’œuvre entre les deux filières ou, pour le dire autrement, sur l’enrichissement mutuel qui résulte de leur coopération dans de nombreux établissements. Les ateliers et restitutions ont par ailleurs solidement insisté sur l’importance des soft skills pour tous ceux qui œuvrent au service des chercheurs. Outre les nécessaires compétences techniques et juridiques, il s’agit aussi de savoir faire la promotion de nos services : communiquer, convaincre, faire du relationnel. Des bibliothécaires s’y emploient déjà et y réussissent, même si au démarrage ils peuvent eux-mêmes considérer qu’ils ne réunissent pas les hard skills nécessaires à leur mission. La capacité à créer de l’échange, y compris informel, avec les chercheurs, est une condition de l’appropriation des services que nous leur proposons. En outre leurs modes de sociabilité sont facilement intelligibles pour peu qu’on s’y intéresse, ne serait-ce qu’en étant attentifs à leurs pratiques sur les réseaux sociaux.

La question des soft skills concerne tous les profils quel que soit leur niveau de compétences, elle permet ne pas renvoyer dos à dos une filière à l’autre, enfin elle met au jour chez celui qui en est pourvu une aptitude qui se révèle toujours payante quand il s’agit de développer des services à la recherche. L’intérêt d’une telle journée d’étude, outre le partage d’expérience et la production de nouveaux contenus directement utiles à la formation continue, est qu’elle agit comme un révélateur des compétences que nous avons déjà – sans masquer l’existence d’une marge de progression – et des complémentarités à développer entre métiers pour mieux les valoriser.

Une fois constituée une équipe dédiée, l’enjeu à plus long terme sera celui de l’acculturation : celle des « nouveaux » profils tout d’abord, dont il ne faut pas sous-estimer, lorsqu’ils sont issus d’une filière autre que celle des bibliothèques, la différence de culture professionnelle et la nécessité de les accompagner pour une bonne intégration dans nos services documentaires. Arrivés dans un monde qui a ses codes et son vocabulaire propres, ces nouveaux profils sont immédiatement confrontés à la question de « savoir ce qu’ils doivent savoir » pour mener à bien leur mission. La fiche de poste pose certes les contours, mais elle est souvent largement à construire par l’intéressé. Là encore, l’aptitude – à créer du lien et à s’intégrer dans un réseau, interne avant que d’être externe – se révèle tout aussi importante que la compétence.

On ne négligera pas, enfin, l’acculturation de ceux qui, dans l’organigramme, ne font pas directement partie des services à la recherche une fois ceux-ci constitués. Pour eux, il sera important de s’en approprier les enjeux afin de porter un discours commun et de se sentir partie prenante. Il faut donc veiller à ménager des passerelles entre la « presqu’île » des services à la recherche et les autres missions documentaires dans l’organisation. C’est seulement ainsi que peut se mettre en œuvre dans la bibliothèque la transversalité théoriquement inhérente aux services à la recherche, et qui est aussi leur condition de réussite.