Innover dans la formation aux usagers

Une évidence pour les bibliothécaires ?

Sophie Ientile

Les bibliothécaires sont incités à innover dans la formation à la maîtrise de l’information, dans un contexte de transformation pédagogique de l’enseignement supérieur. Cet article, fondé sur des entretiens auprès de bibliothécaires et d’enseignants spécialistes de la pédagogie, apporte un éclairage sur le ressenti et le positionnement des bibliothécaires-formateurs par rapport à l’innovation pédagogique.

Librarians are encouraged to develop innovative training methods in accessing information as higher education itself undergoes a radical shift in teaching methodologies. The article draws on interviews with librarians and educationalists specialising in teaching methods to explore how librarians with training responsibilities see their role in terms of innovation.

L’innovation pédagogique a le vent en poupe. Depuis plusieurs années, l’État promeut une transformation de la pédagogie, face à un phénomène de massification de l’enseignement supérieur et à un constat d’échec de la pédagogie classique. Les bibliothèques universitaires, dont la formation des usagers est une des missions, s’insèrent, elles aussi, dans ce mouvement, d’autant que les rapports parus récemment sur le sujet appellent à l’intégration des bibliothécaires dans le processus pédagogique, par le prisme notamment de l’acquisition de compétences transversales telles que les « compétences informationnelles ». Mais au-delà de l’effet d’annonce, comment les bibliothécaires se positionnent-ils par rapport à l’innovation pédagogique et comment la mettent-ils en œuvre concrètement ?

En tant que bibliothécaires, nous sommes tous confrontés à la question de l’innovation dans la formation aux usagers, que ce soit parce qu’il s’agit d’une demande de l’université, ou parce que nous nous rendons compte que nos formations « classiques » à la maîtrise de l’information ne fonctionnent pas toujours aussi bien que nous le souhaiterions. Si l’innovation dans la pédagogie est un sujet à la mode, le ressenti des bibliothécaires-formateurs et leur positionnement par rapport à l’innovation pédagogique ont finalement été assez peu explorés, et c’est pourquoi j’ai souhaité travailler en 2016, dans le cadre de mon mémoire d’étude de conservateur d’État, sur la question de l’appropriation des pédagogies innovantes par les formateurs en bibliothèques universitaires  1. C’est sur une partie de ce travail et sur des entretiens menés auprès de bibliothécaires-formateurs et d’enseignants spécialistes de la pédagogie de l’enseignement supérieur que s’appuie cet article. Une vingtaine d’entretiens ont été menés, dans le but non pas de faire un panorama exhaustif de l’innovation pédagogique en bibliothèque, mais plutôt d’apporter un éclairage, forcément partiel, sur les questionnements que soulève la mise en place de pédagogies innovantes en bibliothèque, le ressenti des bibliothécaires face à cette incitation à l’innovation, mais aussi les atouts et les freins que les bibliothécaires-formateurs peuvent rencontrer dans la mise en œuvre au quotidien de ce type de pédagogie.

L’innovation pédagogique, une réponse à quelque chose qui ne fonctionne pas

La notion d’innovation pédagogique n’est pas simple, et recouvre une grande diversité de concepts et de pratiques pour les bibliothécaires. S’il y a bien évidemment des points de convergence, l’hétérogénéité des réponses recueillies lors des entretiens montre combien cette question est complexe et relève aussi de la sensibilité de chacun. Cependant, pour toutes les personnes interrogées, l’innovation pédagogique a été une réponse à un problème rencontré dans une situation de formation (masse trop importante d’étudiants à gérer, inefficacité de la pédagogie dite « classique », manque d’intérêt de la part des étudiants…). Les bibliothécaires français ne sont d’ailleurs pas les seuls à faire ce constat : dans de nombreux ouvrages de littérature professionnelle anglo-saxonne sur les pédagogies actives, les bibliothécaires évoquent le manque d’intérêt des étudiants face à une pédagogie trop classique et qui se veut souvent trop exhaustive. C’est donc généralement une définition par la négative qui ressort : une pédagogie innovante, c’est « ce qui n’est pas un cours magistral ». En effet, la plupart des bibliothécaires ont mis en place un nouveau type de pédagogie, que nous appelons ici « pédagogies innovantes », car le modèle classique, fondé sur le modèle transmissif traditionnel, ne correspondait plus aux attentes des apprenants. Pour la plupart donc, c’est en réaction à une méthode de formation jugée désormais inadaptée et inefficace, que les bibliothécaires se sont tournés vers d’autres modèles pédagogiques.

Une définition protéiforme de l’« innovation pédagogique »

Cette définition par la négative – « pas un cours magistral » – implique un changement de paradigme : on passe d’une formation centrée sur l’enseignement d’une discipline à une formation centrée sur l’apprentissage, et d’un modèle où l’enseignant transmet son savoir de manière descendante à un modèle où l’apprenant construit son savoir avec l’enseignant. La participation active des étudiants lors d’une formation est perçue comme un élément essentiel des « nouvelles » pédagogies, car elle permet de mieux retenir ce qui a été vu. L’ensemble des personnes interrogées s’accordent également sur le fait qu’une formation efficace à la maîtrise de l’information doit correspondre aux besoins réels des étudiants, et doit pouvoir être immédiatement applicable dans le cadre de leur cursus. Enfin, plusieurs personnes ont souligné que les étudiants constituent désormais une population de plus en plus hétérogène avec des acquis, des attentes et des rapports au savoir très différents les uns des autres, et qu’il est donc nécessaire d’adapter les formations dans ce sens. Il ne s’agit pas bien sûr de prévoir un enseignement différencié pour chacun – ce qui dans les faits serait impossible à gérer –, mais plutôt de prendre en compte l’hétérogénéité des étudiants et de proposer une formation qui alterne les modes d’apprentissage. Par conséquent, on retrouve une grande diversité d’approches des « pédagogies innovantes » : jeux en réalité alternée, pédagogie par projet, formation hybride ou blended learning, pédagogies actives, bibliothécaire intégré, jeux sérieux… Cette variété est d’autant plus importante que l’innovation est une notion soumise à une grande relativité : comme l’indique un des bibliothécaires interrogés, « ce qui est innovant pour moi ne le sera pas forcément pour un autre [parce qu’il le fait déjà] ». Le contexte est donc important : c’est l’introduction d’une nouveauté dans un milieu donné qui fait qu’une pédagogie est innovante ou pas. Ceci implique aussi que l’innovation n’est pas le fait du hasard, mais bien le résultat de la politique volontariste d’un établissement.

Une efficacité questionnée

Si le bien-fondé de l’innovation pédagogique semble être largement admis par les bibliothécaires, il est intéressant de noter qu’à la question « pensez-vous que les pédagogies innovantes s’adressent à tout le monde ? », les réponses recueillies ont été très différentes d’une personne à l’autre. Pour certains, les pédagogies innovantes peuvent s’adresser à tout type de public, quels que soient leur âge ou leur niveau d’études (adultes, adolescents, licences, doctorants, enseignants…), dans la mesure où la formation s’adapte vraiment aux besoins des apprenants. Pour d’autres, les pédagogies qui s’éloignent du modèle magistral ne peuvent pas convenir à tout le monde : elles sont surtout efficaces tantôt auprès des étudiants de licence, tantôt auprès de personnes plus matures qui font preuve d’une plus grande autonomie. À travers ces divergences, on voit là encore combien la formation relève du ressenti de chaque formateur. Cela montre aussi que le poids des représentations est encore fort en matière d’éducation : en France, l’université et la pédagogie sont considérées comme des « choses sérieuses », auxquelles le cours magistral semble correspondre dans l’imaginaire collectif. Ce poids des représentations est d’autant plus manifeste quand on aborde la question des pédagogies ludiques, et c’est sans doute l’aspect sur lequel les avis divergent le plus : si certains sont convaincus de la pertinence de la ludification de la formation, quel que soit le public, d’autres sont plus réticents à son égard, souvent par crainte de ne plus être crédible vis-à-vis d’étudiants pour qui l’enseignement est généralement perçu comme quelque chose de sérieux. Cette réflexion fait émerger la question de l’acculturation des apprenants eux-mêmes aux nouvelles méthodes pédagogiques. En effet, le changement qui est en train de s’opérer dans l’enseignement supérieur implique aussi bien les enseignants que les étudiants, et ce nouveau type de pédagogie exige de la part des étudiants une autonomie qui n’est pas innée et qu’ils doivent acquérir  2.

Pour le bibliothécaire-formateur,
un changement de positionnement…

Si les pédagogies innovantes impliquent un changement dans la façon d’apprendre des étudiants, elles modifient également le positionnement du formateur : on passe du modèle du magister, qui transmet de manière descendante son savoir, à une posture d’animateur ou de facilitateur, qui construit le savoir avec les apprenants. Les pédagogies innovantes font donc appel à des qualités différentes de celles appréciées dans une formation traditionnelle : par exemple, savoir animer un groupe, faire une synthèse, ou se servir du matériau fourni par les étudiants pour faire ressortir certains points importants. De fait, certains formateurs, qui sont souvent mal à l’aise avec la formation, peuvent être gênés par une modification de leur pédagogie et ne pas se sentir prêts à enclencher ce changement. D’autres, qui font de la formation de manière « traditionnelle » depuis des années, ne souhaitent pas modifier leur manière de former. Les avis divergent, là encore, en fonction des personnes interrogées : tantôt les pédagogies innovantes fragiliseraient la posture du formateur, tantôt elles simplifieraient l’acte de formation. De toute façon, s’engager dans les pédagogies dites « innovantes » n’implique pas pour autant de ne plus faire de formations sous des formes plus classiques. Il s’agit plutôt d’alterner au sein de sa formation différents types de pédagogie, comme l’indique un des bibliothécaires interrogés : « Le cours magistral, tu continues à le faire dans une formation non classique. Il y a bien des moments où tu parles, d’ailleurs ça fait du bien, ça laisse un petit temps de passivité pour les apprenants (ils ne peuvent pas être tout le temps à faire des choses sans arrêt), et toi, ça te permet d’apporter un peu de théorie. » Au-delà de ces appréciations différentes, toutes les personnes consultées soulignent la curiosité et l’intérêt de la plupart des formateurs à l’égard des pédagogies innovantes. Elles remarquent aussi que les réticences viennent souvent d’un manque de formation, et non d’une réelle défiance vis-à-vis de la nouveauté. Les bibliothécaires ont d’ailleurs de solides atouts : un sens appuyé du service public et de la nécessité de former les étudiants à la maîtrise de l’information, une habitude du travail en équipe et du partage d’expériences. Des qualités qui sont particulièrement appréciées lorsqu’il s’agit de collaborer avec d’autres services de l’université (ingénierie pédagogique, cellule TICE…) ou avec des professionnels extérieurs.

Pédagogie et formation – Le point de vue des bibliothécaires-formateurs *

Deux visions du positionnement du formateur
vis-à-vis des pédagogies innovantes

A • « Certains formateurs ne sont pas à l’aise avec la formation, et les pousser à utiliser d’autres pédagogies, ça peut les bloquer davantage. Le mode transmissif est plus rassurant pour le formateur, alors qu’avec la méthode active on change de positionnement. Vous êtes en accompagnement d’un groupe et le formateur ne sait pas où il va. Cela change de la position du “je sais” et vous ne savez pas ce que les étudiants vont apporter, donc il faut davantage cadrer. Il faut une aisance et une liberté que tout le monde n’a peut-être pas. »

B • « Du côté des formateurs, on se rend compte que dans la pédagogie active, tu lances une balle et elle doit te revenir mais tu ne sais pas vraiment ce qui va revenir, alors que quand tu as fait ton support PowerPoint, c’est fini. Donc il faut se lancer, et puis parfois ça ne prend pas, mais ça, c’est pareil pour tous les enseignants. Mais c’est finalement beaucoup de confort. Car tu n’es pas seul, c’est une coproduction du travail. On se rend compte que la formation classique ne marche pas : on a un tel sentiment de frustration quand on sort de ces séances de PowerPoint où on ne nous a pas écoutés, qu’on se dit qu’il faut trouver autre chose. C’est plus confortable, même si en même temps, il faut gérer l’imprévu, maîtriser son sujet. C’est dur de se lancer, on angoisse à l’idée d’y passer, mais une fois que la première formation a eu lieu, c’est plus confortable. La formation, c’est un sujet de tension pour beaucoup de collègues, donc que [les pédagogies actives] leur aient donné du confort et qu’ils appréhendent moins la formation, c’est super. »

Deux visions qui s’affrontent sur la formation
dans l’identité du bibliothécaire

A • « Imposer la formation à quelqu’un qui n’en veut pas, c’est nier la compétence, c’est dire que tout le monde peut former. Or, un bibliothécaire-formateur n’est pas un simple bibliothécaire. »

B • « C’est tout un métier qui change, ce n’est pas juste une spécialisation, mais bien une évolution du métier. »

    … Et un impact sur son identité professionnelle ?

    Refondre sa pédagogie et adapter ses formations à de nouveaux modèles pédagogiques, cela prend du temps, et implique aussi de disposer de moments pour s’approprier ce changement de méthodologie : il faut veiller, élaborer, tester, corriger… Or, il est rare qu’il y ait une équipe entièrement dédiée à la formation des usagers dans les BU, et la formation n’est souvent qu’une partie de la fiche de poste des bibliothécaires. Il s’agit donc la plupart du temps d’une activité ponctuelle, qui ne se pratique souvent que sur un temps contraint – entre septembre et décembre –, et qui ne prend corps que par l’acte de formation. Or, « il faudrait aussi prévoir un temps pour faire un feed-back et travailler sur le long terme sur la formation et les supports », comme le déplore une des personnes interrogées. Ceci explique sans doute aussi la grande diversité des perceptions des pédagogies innovantes par les formateurs en BU : contrairement aux enseignants, la formation n’est qu’un aspect – parfois mineur – de leurs pratiques professionnelles. Dans ce contexte, le bibliothécaire a besoin d’une formule clé en main, car il n’a pas vraiment le temps de se plonger pleinement dans la conception de la formation, ni d’avoir un véritable recul sur ses pratiques pédagogiques. Or, une innovation n’est pas transférable telle quelle, elle nécessite une adaptation à son contexte et peut ne pas fonctionner. La mise en œuvre de formations innovantes implique un vrai travail pédagogique, auquel les bibliothécaires sont peu formés et surtout pour lequel ils manquent souvent de temps. La méconnaissance de leur public est un frein supplémentaire. La formation à la maîtrise de l’information est souvent un « one shot » (le bibliothécaire ne voit les étudiants que deux heures et ne les reverra généralement plus), et il n’a, en quelque sorte, pas le droit à l’erreur (là où un enseignant peut tester, rectifier, recadrer sa pédagogie au fur et à mesure de ses cours).

    « Je vois des étudiants de master ou de doctorat, voire des actifs en formation professionnelle, la plupart du temps pour une session unique (quoique, c’est en train de changer, j’y travaille…), pendant laquelle j’ai pour mission de les rendre parfaitement autonomes pour tout ce qui entoure leurs recherches documentaires. C’est ambitieux. Il y a vraiment beaucoup à leur apprendre en quelques heures grappillées sur le cours d’un professeur bienveillant  3. »

    C’est aussi la question de la professionnalisation des bibliothécaires-formateurs, et donc de la reconnaissance de leurs compétences pédagogiques, qui se joue autour de l’innovation pédagogique, jusqu’à présent essentiellement considérée comme une prérogative des enseignants  4. En effet, au-delà du manque de légitimité parfois ressenti, certains bibliothécaires estiment que la formation est une vraie compétence que tout un chacun ne maîtrise pas. Pour d’autres, au contraire, il s’agit de l’évolution naturelle du métier et de l’identité du bibliothécaire. La question du « tous formateurs ? » est d’autant plus sensible en bibliothèque qu’il y a une masse importante d’étudiants à former, et que les ressources humaines ne sont pas toujours suffisantes pour répondre à cette demande. Ainsi, dire que certains personnels ont le droit de ne pas faire de formation, ou n’ont pas les compétences nécessaires pour cela, c’est aussi risquer d’être dans l’impossibilité de remplir la mission de formation que se sont donnée les bibliothèques.

    Une certification nationale pour les bibliothécaires-formateurs

    Dans un contexte de fort développement de l’offre des services de documentation en matière de formation des usagers d’une part, et de transformation pédagogique d’autre part, se pose de façon plus insistante la question des compétences nécessaires aux bibliothécaires pour former les publics. Il s’agit de conforter à la fois le rôle des services de documentation dans la réussite étudiante, et la légitimité des bibliothécaires auprès des enseignants dans cette activité de formation.

    Le réseau des CRFCB, l’Enssib et le réseau des Urfist se sont associés pour proposer, depuis 2018, un parcours complet de formation à destination des bibliothécaires-formateurs, débutants ou non. Une certification pourra ensuite être demandée par les stagiaires.

    Le parcours de formation s’appuie sur un référentiel, une liste de compétences-cibles du bibliothécaire-formateur ; ces compétences touchent aussi bien à l’animation qu’aux aspects pédagogiques, et sont réparties en deux niveaux, selon la complexité des formations que le bibliothécaire sera amené à animer. C’est sur le fondement de cette liste que se construit le parcours de formation. Il ne s’agit pas d’un ensemble de stages, fixe et répété chaque année ; chaque organisme de formation précise en revanche quelles sont les compétences-cibles couvertes par les stages qu’il organise dans l’année. Au niveau national, Enssib, CRFCB et Urfist se coordonnent pour que chacune des compétences du référentiel soit couverte, au moins une fois dans l’année, en au moins un point du territoire national.

    Ainsi, l’on peut proposer des stages entrant dans le parcours de formation, mais adaptés aux besoins des services de documentation des différents territoires. Et chaque agent peut construire un parcours individualisé de formation en fonction de ses besoins, de ses disponibilités.

    La certification est en cours d’élaboration, et fera l’objet, courant 2019, d’une demande d’inscription à l’inventaire complémentaire au répertoire national des certifications professionnelles. Elle permettra ainsi à tous ceux qui ont acquis, par la formation ou par l’expérience, les compétences visées, de les faire valoir et reconnaître.

    Mathilde Barthe

    Médial (CRFCB Grand Est) – Université de Lorraine

      Ancrer la formation à la maîtrise de l’information
      dans un ensemble cohérent d’enseignements

      L’efficacité d’une formation à la maîtrise de l’information repose aussi sur son adéquation avec les enseignements disciplinaires, dans une logique de syncrétisme des apprentissages. Proposer une formation qui corresponde aux besoins réels des étudiants et qui intervienne dans un calendrier logique serait un prérequis indispensable pour les bibliothécaires, qu’ils ont pourtant souvent du mal à obtenir. En effet, les créneaux laissés aux formations à la maîtrise de l’information ont tendance à être déconnectés du reste du cursus des étudiants (par exemple en début d’année universitaire, alors que les étudiants n’ont pas encore de vrais sujets de recherche). Or, comme l’explique Christelle Lison, la notion de « compétences circonstancielles », c’est-à-dire « pouvoir utiliser ce que j’apprends ici et maintenant », est désormais primordiale pour un étudiant qui a une vision quelque peu consumériste de l’apprentissage  5. Dans cette perspective, la collaboration effective entre bibliothécaires et enseignants (c’est-à-dire lorsqu’il ne s’agit pas d’une simple délégation de classe pour deux heures sans réelle concertation préalable, mais d’une véritable co-construction de la formation) constitue l’élément essentiel d’une formation innovante. C’est d’ailleurs ce qui a été souligné par l’ensemble des bibliothécaires interrogés dans le cadre de cette enquête, et qui rejoint les réflexions des spécialistes de la pédagogie de l’enseignement supérieur, pour qui une pédagogie innovante s’appuie sur la collégialité entre les professeurs, réduit le cloisonnement disciplinaire et contextualise les apprentissages  6. Or, si des exemples de collaboration efficace existent, ce processus d’enseignement où les acteurs ne se limitent pas à l’enseignant disciplinaire et à l’étudiant, mais englobent également des services « supports » de l’université (bibliothèques, service de pédagogie, service TICE…), et où la formation à la maîtrise de l’information est considérée comme un jalon du parcours d’apprentissage de l’étudiant, reste encore trop souvent un vœu pieux ou le fait de relations interpersonnelles. Il n’existe d’ailleurs pas de leviers formalisés au sein de l’université pour favoriser ces rencontres entre enseignants et bibliothécaires, et nouer des collaborations solides et durables avec les équipes pédagogiques. Pour les bibliothécaires, l’enjeu est donc de créer des opportunités de rencontre avec les enseignants afin de favoriser une meilleure connaissance mutuelle et une collaboration plus évidente.

      C’est cette transformation majeure que soulignait déjà en 2016 un rapport de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) 7 : « Quand on évoque le lien pédagogie-documentation avec un directeur de bibliothèque, celui-ci peut commencer par y voir une occasion d’améliorer, avec de nouvelles pédagogies, les formations documentaires que son service propose aux étudiants. Mais les enjeux de la collaboration sont d’une plus grande envergure. Il s’agit, pour les enseignants et les personnels de documentation, de travailler ensemble à la définition d’objectifs communs sur ce que l’université peut apporter aux étudiants en termes de formation et d’apprentissage. »

      L’innovation pédagogique, c’est donc un changement plus global, qui doit toucher l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur, et dans lequel doivent s’intégrer les bibliothécaires. Ce n’est probablement qu’à cette condition que les formations à la maîtrise de l’information auront une réelle portée et obtiendront une meilleure reconnaissance de la part des étudiants et des enseignants. C’est une démarche sur le temps long, et si nous, bibliothécaires, sommes bien conscients que nous avons un rôle d’appui et de soutien à la pédagogie, nous en sommes encore au tâtonnement et à l’expérimentation.