La bibliothèque éditrice

Nathalie Nosny

Le BBF s’entretient avec Nathalie Nosny, chargée d’édition puis responsable du Webzine « Balises » à la Bpi, sur les activités éditoriales des bibliothèques en lien avec la médiation des connaissances et leur adaptation à l’évolution des modalités de partage de l’information.

BBF interviews Nathalie Nosny, publishing manager and director of the Bibliothèque Publique d'Information's webzine Balises, on how publishing in libraries fits into their knowledge transfer remit and adapting to changes in how information is shared.

Le BBF s’entretient avec Nathalie Nosny, responsable du service Webmagazine – Bpi.

BBF • L’activité éditoriale devient-elle aujourd’hui incontournable pour les bibliothèques ?

Nathalie Nosny • Comme les éditeurs, les bibliothèques ont pour mission de porter la connaissance à la disposition du public. L’éditeur le fait dans le cadre d’une ligne éditoriale bien définie, thématique et ciblée vers un public spécifique. Son rôle est de promouvoir la création ou la réflexion, de la faire connaître, mais aussi de l’aider à se construire.

La bibliothèque, elle, se doit de refléter l’ensemble des connaissances disponibles et des points de vue, dans une position de neutralité et d’expertise combinées. Elle n’a pas la fonction « d’accouchement » qu’ont les éditeurs. En revanche, elle rejoint l’éditeur dans son rôle de médiation entre la connaissance et le public.

Alors que les bibliothèques se positionnaient plutôt, il y a quelques décennies, comme des réservoirs d’information et que leur rôle était d’organiser ce réservoir, pour que l’accès soit le plus simple possible, et de l’alimenter au fur et à mesure des publications, le contexte de la diffusion de l’information a beaucoup changé depuis une dizaine d’années. Les bibliothèques doivent aujourd’hui se positionner dans un environnement de surinformation et de désinformation où retrouver son chemin demande au public de nouvelles compétences qui sont encore peu maîtrisées par le public. La collecte et la mise à disposition des informations et de la création ne suffisent plus : il faut désormais inventer de nouveaux outils de médiation qui permettent de montrer le chemin au public vers les ressources adaptées à ses besoins et, par là même, de le former à des méthodes de repérage dans la masse d’informations dont il dispose désormais.

L’activité de la bibliothèque ne devient donc pas à proprement parler « éditoriale » : elle utilise plutôt des compétences éditoriales comme la sélection, la hiérarchisation de l’information, sa contextualisation, sa mise en forme et sa validation, et elle contribue de manière plus engagée à sa diffusion.

BBF • Faut-il y voir un nouveau service, prolongement des missions traditionnelles de médiation et d’organisation des connaissances portées par les bibliothèques ?

N. N. • Il me semble qu’il s’agit effectivement d’un prolongement naturel des missions de médiation et d’organisation des connaissances. Le volume de ces connaissances et l’instantanéité des moyens de circulation des informations induisent de nouveaux usages et de nouveaux besoins. La bibliothèque, comme beaucoup d’autres institutions culturelles et sociales, ne fait que s’adapter à la société dans laquelle elle s’inscrit en adoptant des compétences qui étaient autrefois plus spécifiquement l’apanage des éditeurs. Lorsque la bibliothèque entreprend une politique active de publication – ce qui peut paraître paradoxal pour une bibliothèque qui, traditionnellement, collecte et organise l’accès aux publications des éditeurs –, elle met à disposition du public sa connaissance des différentes sources d’information dans un cadre accessible au public, dans un format que le public peut reconnaître et comprendre. Les activités d’animation culturelle que les bibliothèques proposent depuis déjà de nombreuses années sont un autre exemple de ces formats que les bibliothèques peuvent utiliser pour aller au-devant du public, lui tendre de nouveaux outils pour qu’il ne se perde pas dans la masse informationnelle.

Ces publications ne sont pas des œuvres originales de création, mais plutôt des œuvres de synthèse, des repères destinés à montrer le chemin vers les publications originales (les documents sources). On se rapproche dans cette démarche autant de l’édition que des activités traditionnelles des documentalistes. Les produits « éditoriaux » qui seront réalisés par les bibliothèques auront bien le même objectif que les médiations traditionnelles, mais, au regard de l’importance des connaissances à mettre à disposition, ils aborderont de manière systématiquement ciblée ces connaissances pour qu’elles rencontrent leur public.

Les bibliothèques universitaires ont depuis longtemps intégré cette activité à leurs missions à travers les presses universitaires qui permettent de diffuser les connaissances des universitaires pour un public expert. Ce qui est plus nouveau, c’est la démarche des bibliothèques de lecture publique qui s’adressent pour leur part au « grand public » et sont donc plutôt dans une logique de vulgarisation, de pédagogie, comme peuvent également le faire certains médias. L’édition en bibliothèque est une autre forme de la valorisation des collections et, à travers elle, de la connaissance.

BBF • À quelles limites se heurtent les bibliothécaires dans une activité éditoriale qui ne relève pas de leur expertise métier ?

N. N. • Cette utilisation des compétences éditoriales, de l’approche éditoriale, pour mieux mener à bien leur mission de mise à disposition des connaissances, n’est pas forcément évidente pour les bibliothécaires que leur formation, leur vocation, leur sensibilité amènent souvent à préférer le rôle d’éminence grise, à rester modestement cachés derrière les connaissances qu’ils souhaitent partager. Ces compétences demandent une implication personnelle plus forte puisqu’il s’agit de privilégier certaines connaissances au détriment d’autres pour avoir une chance de les faire connaître. Mais les expertises des bibliothèques en matière de sélection de l’information les ont déjà préparés à cette activité. Les bibliothécaires savent reconnaître la fiabilité des sources, mettre en équilibre les différents courants de pensée pour conserver une neutralité attendue. Ce qui est plus difficile, c’est de renoncer à l’exhaustivité pour privilégier quelques ressources, quelques sujets, sans être dans une personnalisation excessive de ces choix. Le bibliothécaire n’est ni un éditeur, ni un journaliste : il n’est pas le premier à divulguer une information, il ne prend pas parti, il ne fait pas de travail d’investigation et, bien sûr, il ne commercialise pas ses informations pour en tirer un bénéfice. Son rôle est une mission de service public : il doit donner accès à une connaissance encyclopédique, actualisée, fiable. Pour s’adapter aux codes de la société de l’information, il se contente finalement d’utiliser les codes que le journalisme ou l’édition ont rendus lisibles au grand public pour lui apporter sa contribution. C’est pour cela que je parlerais plus volontiers d’éditorialisation plutôt que d’édition : éditorialiser, c’est contextualiser un sujet, donner les clés nécessaires à sa compréhension, expliciter les choix. Les compétences qui sont aujourd’hui demandées aux bibliothécaires pour remplir cette nouvelle forme de médiation sont donc des compétences d’éditorialisation plutôt que des compétences éditoriales.

La Bpi éditrice

1981 : naissance des éditions de la Bibliothèque publique d’information. Elles ont vocation à publier des ouvrages dont le double objectif est de diffuser les savoir-faire de la Bibliothèque et de faire valoir les activités de l’établissement.

1996-2012 : difficultés de diffusion des titres, difficultés à trouver de nouveaux auteurs, concurrence de nouvelles collections chez d’autres éditeurs (pour les langues et la bibliothéconomie en particulier).

1999 : circulaire de l’édition publique et création d’un médiateur de l’édition publique. Les éditions se professionnalisent (comptabilité analytique, compétences métiers renforcées, etc.).

1999 : publication de l’article de Robert Darnton « Le nouvel âge du livre » (traduction de cet article dans la revue Le débat, n° 105 de mai-août 1999, p. 176-187) : crise de l’édition de sciences humaines et sociales.

Les éditions sont articulées autour de plusieurs collections :

– « En actes » (34 titres) : actes de colloques et rencontres organisés par la Bpi ;

– « Pratique » (12 titres) : bibliothéconomie ;

– « Études et recherche » (47 titres) : sociologie de la culture et en particulier de la lecture ;

– « En débat » (1 titre) : débats dans la profession ;

– « Bonjour / Salut » (8 titres) : langues rares, laboratoire de langues ;

– « Paroles en réseau » (37 titres) : actes ou comptes rendus publiés uniquement en ligne et gratuitement ;

– Livres catalogues (23 titres) : catalogues liés aux expositions de la Bpi ;

– Expositions sur affiches (1) : Regards documentaires (2006).

2012 : suppression du service et début de la démarche de clôture de l’activité éditoriale traditionnelle.

2012 : partenariat avec OpenEdition Books pour la publication exclusivement électronique de la collection « Paroles en réseau » et de la collection « Études et recherche » (http://books.openedition.org/bibpompidou/).

2013-2018 : renégociation des droits d’auteur pour la publication électronique gratuite des titres publiés et parution de 5 nouveaux titres, commercialisés, dans la collection « Études et recherche » (http://books.openedition.org/bibpompidou/92).

2016 : convention avec l’Enssib pour la publication annuelle d’un volume d’enquête dans la collection « Papiers-Bpi » des Presses de l’enssib.

    Le webmagazine Balises

    Balises est le webmagazine de la Bibliothèque publique d’information. Son objectif est de donner des repères au grand public sur des sujets d’actualité traités par la Bpi dans le cadre de ses actions culturelles et de médiation. Chaque contenu pose donc les grands enjeux et renvoie sur une sélection de ressources pertinentes et fiables afin d’aider les internautes à se repérer dans la masse d’informations décontextualisées et non vérifiées que le Net leur fournit chaque jour.

    Dossiers, interviews, portraits, sélections, images, vidéos, infographies : le format est choisi en fonction du type d’information à traiter et se veut attrayant et viral. La technologie s’appuie également sur une sémantisation des contenus afin de permettre leur interopérabilité et donc une plus large diffusion.

    Le webmagazine a réorienté son organisation interne et sa ligne éditoriale fin 2017 afin de parvenir à être mieux identifié du grand public. Son audience est en progression régulière, mais majoritairement constituée de nouveaux visiteurs et donc basée sur un bon référencement.

    D’abord réalisé grâce à une contribution collaborative impliquant l’ensemble des bibliothécaires, il est aujourd’hui porté par une équipe plus restreinte et dont les compétences multimédias sont renforcées.

    En 2016, Balises a lancé trois pages Facebook thématiques qui complètent cette offre de médiation :

    – une page dédiée à la littérature contemporaine, Tu vas voir ce que tu vas lire, qui se décline désormais sur Instagram ;

    – Pour une poignée de docs, consacrée au cinéma documentaire ;

    – Sitting Bulles, la toute dernière, est pour sa part centrée sur la bande dessinée et prend la suite de À l’ombre des geeks en fleurs qui restait trop générale dans sa ligne éditoriale

    Ce projet permet de toucher des communautés d’intérêt que la vocation encyclopédique de Balises peine à atteindre. Cela offre par ailleurs de nouveaux canaux de diffusion vers des publics différents de ceux du site web.

    Les contenus produits tournent beaucoup autour de la recommandation et de la veille. Ils sont donc complémentaires de ceux de Balises qui sont plus analytiques.