Vers de nouveaux catalogues

par Delphine Merrien
Sous la direction d’Emmanuelle Bermès
Éditions du Cercle de la Librairie, 2016, 171 p.
ISBN 978-2-7654-1513-8 : 35 €

Comme une promesse, Emmanuelle Bermès – conservateur des bibliothèques actuellement adjointe pour les questions scientifiques et techniques auprès du directeur des services et réseaux de la BnF – ainsi qu’une équipe de douze contributeurs professionnels, représentatifs d’une vaste pluralité de missions et d’établissements documentaires, nous présentent les caractéristiques, défis et perspectives des accès à la connaissance et aux savoirs, que ceux-ci portent – ou non – à terme le nom de « catalogues ».

Cet ouvrage compact et efficace, parfaitement construit, revient sur les changements induits en la matière par les standards issus des moteurs de recherche, la révolution du signalement des ressources numériques et le processus de transition bibliographique, dans un environnement où les données s’exposent et permettent de multiples (ré)utilisations.

La structuration intellectuelle de l’ensemble, présentant des chapitres pouvant être consultés indépendamment tout en organisant des liens conceptuels forts entre les différentes notions abordées, multiplie les possibilités d’entrées dans le texte tout en en renforçant l’aspect didactique.

La préoccupation constante des auteurs de retracer fidèlement les évolutions des différents aspects du sujet se matérialise par de nombreuses présentations chronologiques – des origines aux pistes prospectives – qui rendent cet ouvrage précieux au novice comme à l’expert.

La qualité et la précision de l’expression sont remarquables, et ce, d’autant plus que le propos – souvent dense et développé avec art, voire inventivité – reste clair.

Dans une forme accessible et agréable, tout en étant parfaitement documentée, les enjeux des données ouvertes sont ainsi mis en contexte de manière large, tant en termes de périmètre d’activités que de chronologie. Aucune thématique, de l’échange de données aux nouveaux usages, en passant par les formats, n’est oubliée. Le propos est synthétique, apte à alimenter un argumentaire d’aide à la décision, ou une révision de la montée en puissance de ces enjeux, notamment depuis 2010.

L’historique du réseau documentaire de Saint-Étienne permet par ailleurs de livrer un exemple de la façon dont la mise en place collaborative d’un SIGB libre à un échelon régional a permis de déployer des modalités ergonomiques de recherche et de navigation dans le catalogue BRISE ES+, en étendant continuellement le nombre et la nature des ressources signalées.

La question des entités et de leur rôle dans le catalogue est traitée de manière limpide, en revenant aux sources du modèle FRBR. Les pistes concrètes de mise en œuvre du modèle figurent de plus en bonne place, permettant au lecteur de se projeter raisonnablement dans un nouveau mode de catalogage, sans négliger les défis que représente cet authentique « changement de paradigme ».

Cette question est d’ailleurs étendue et prolongée grâce à une présentation précise du processus de Transition bibliographique, depuis ses prémices. Les derniers développements, permettant l’exposition des données bibliographiques sur le web, y sont parfaitement présentés, tout comme les étapes de l’évolution en cours des catalogues actuels et du paysage français de l’information bibliographique.

Le catalogage particulier des archives et manuscrits y est également abordé, présentant l’émergence et la diffusion encore inégale du format EAD (Encoded Archival Description) et traçant plusieurs pistes d’évolutions autour de la notion essentielle d’interopérabilité.

Concernant les données proprement dites, la qualité et la fiabilité restent des critères essentiels. Les récentes possibilités d’enrichissement des données bibliographiques et d’extension des types de documents signalés dans les catalogues ouvrent la voie à de nouveaux services.

Au niveau national, le format ONIX (ONline Information eXchange), initialement créé pour faciliter les échanges de données dans le secteur commercial du livre, permet aujourd’hui d’enrichir les données du Catalogue général de la BnF et de renforcer les collaborations entre les différentes professions.

Les principaux enjeux techniques et organisationnels du Sudoc – et, plus largement, du hub de métadonnées de l’ABES, présentés dans un glossaire – sont exposés avec acuité au travers des échanges de (méta)données avec les éditeurs et les réseaux (réseau de catalogueurs, web de données et outils de découverte notamment). Cette forme attrayante ne cède cependant rien à une vision fine des problématiques évolutives du signalement toujours plus précis des ressources de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que des problématiques d’enrichissement, de qualité et d’exposition des données afférentes.

Le projet SGBm (Système de gestion de bibliothèque mutualisé), qui vise à renforcer la collaboration des établissements membres du réseau Sudoc, offre la possibilité de partager des données non seulement catalographiques mais aussi de gestion des collections. Par ailleurs, la plus fine granularité des items catalogués et l’utilisation désormais répandue d’un index central au cœur des outils de découverte disponibles permettent de proposer à l’utilisateur des résultats qui excèdent les collections d’un établissement documentaire donné, via des interfaces en phase avec les évolutions du web. Souhaitons que le rôle central tenu par l’ABES dans ce projet permette d’éviter à l’avenir que les éditeurs de SIGB, mutualisant leurs réseaux d’utilisateurs, ne déploient de multiples circuits parallèles impliquant directement les éditeurs et dans lesquels la qualité et les échanges normalisés entre données ne seraient pas garantis.

La visualisation des données, quant à elle, apparaît non comme une option technique mais comme un véritable prolongement de leur appréhension, dans une logique d’ouverture toujours plus large, qui « structure […] les interactions des usagers avec la bibliothèque ».

En bibliothèque publique, la tension entre les attentes (toujours plus grandes) et les moyens (sans cesse réduits) reste étrangère à l’usager, pour lequel le catalogue apparaît avant tout comme un ensemble de (nombreux) services et le point d’accès aux ressources proposées, dans toute leur diversité.

Les utilisations du catalogue sont néanmoins mineures par rapport à l’attractivité et à la visibilité des sites marchands du web, alors que l’exposition des données des bibliothèques de lecture publique est jugée non prioritaire. Dans ce contexte, le rôle du catalogueur se développe dans la mise en valeur sélective des contenus et la production de services de médiation documentaire à forte valeur ajoutée.

Un continuum de points d’accès se met alors en place dans les réseaux de lecture publique, selon les collections et les moyens disponibles, afin de proposer à l’utilisateur la meilleure expérience possible. À Grenoble, le choix a ainsi été fait de créer un portail web uniquement dédié aux ressources numériques, pour garantir une ergonomie et une accessibilité optimales, avec un lien proposé vers le catalogue des documents physiques pour étendre la recherche si souhaité.

Aujourd’hui, la fine granularité des informations à signaler et échanger questionne la notion même de notice au sein des catalogues, au regard des différentes natures et flux de données disponibles. De la même façon, le concept de document est revisité au prisme des données bibliographiques, des données d’autorité et des données d’usage. Les services qui en découlent sont alors en prise directe avec la navigation fluide et par rebonds du web lui-même.

Si le modèle RDF peut sembler prometteur, l’hétérogénéité des modèles disponibles et l’optimisation des fonctions vitales de la donnée (production, stockage, exploitation et exposition) poussent aujourd’hui les bibliothèques à interagir avec de multiples autres parties, dont les modes de partage et de collaboration sont très divers. Ce nouveau positionnement conditionne la mise en place d’infrastructures techniques dimensionnées à l’aune de ce paysage composite, des données comme des acteurs.

Dans cet ouvrage, le lecteur, quel que soit son niveau de maîtrise des enjeux des catalogues, trouvera une matière factuelle précieuse, mais aussi une projection lucide des services possibles et évolutions à moyen terme, exposée de manière aussi réaliste que volontaire, par de multiples experts. Promesse tenue.