Portrait métier # 4 : bibliothécaire-formatrice

Maud Puaud

Portrait métier : le BBF s’entretient avec des acteurs des bibliothèques sur l’évolution de leur métier, témoignant de la diversité des profils et des fonctions.

Professional profile: a series of profiles in which librarians discuss changes in how they work, reflecting the wide variety of experiences in professional librarianship.

BBF • Au quotidien, comment définir la fonction de bibliothécaire-formateur ?

Maud Puaud • Je pense que cette fonction va bien au-delà de « celui qui maîtrise les outils et montre comment les utiliser ». Au quotidien, être bibliothécaire-formateur, c’est d’abord être polyvalent : il faut être à la fois pédagogue, mais aussi gestionnaire de plannings, manager (notamment si l’équipe comprend des moniteurs étudiants). La formation, ça ne se limite pas au moment où l’on se trouve devant les étudiants : la préparation (évaluation préalable des besoins et usages, collaboration avec les enseignants, recherches en amont) et la logistique (plannings, collaboration avec les scolarités) prennent bien plus de temps que les heures effectuées face au public.
Pour ma part, je ne conçois pas la formation comme une formation aux outils. Les étudiants n’ont pas besoin de formation qui leur montrerait « où cliquer », mais plutôt d’acquérir des compétences informationnelles beaucoup plus larges : rechercher l’information, l’évaluer de manière critique, être capable de la gérer efficacement. Les outils, dont nous avons parfois tendance à nous gargariser en tant que bibliothécaires, changent régulièrement, et ce n’est pas parce qu’on cherche quelques secondes de plus le bouton « Valider » qui est passé de gauche à droite que l’on mènera une mauvaise recherche. Par contre, si l’on ne dispose pas des critères qui permettent d’évaluer la pertinence et la fiabilité d’une information, on va au-devant de difficultés certaines…
Quant aux contenus, si l’on part des besoins de l’usager, ils ne peuvent être définis selon un schéma préétabli : ils vont varier selon les acquis et les besoins des personnes que l’on va former. Ce qui rend absolument cruciale l’évaluation préalable des besoins et usages, non seulement sur ce que les gens disent, mais sur ce qu’ils font. Savoir que l’on ne sait pas, c’est un premier pas vers la connaissance que tous les étudiants n’ont pas encore franchi, et il va falloir, pour intégrer ces compétences informationnelles, passer de l’incompétence inconsciente à l’incompétence consciente. L’idée, c’est de faire ce chemin avec l’usager, d’être là pour l’aider à définir son besoin et pour y répondre par lui-même, de manière autonome. C’est pour cela que les méthodes actives et participatives apparaissent comme les plus efficaces. On n’est pas en position de détenteur du savoir. On est juste là pour organiser et favoriser les échanges, mais les étudiants font tout le travail : ils apprennent eux-mêmes, et les uns des autres. Ça joue aussi dans le positionnement professionnel : je ne me considère pas comme une enseignante au sens strict (même si je l’ai pourtant été à un autre moment de ma vie), mais plutôt dans une relation de service, d’accompagnement.

Quelque part, on est juste une bonne sage-femme : celle qui tient la main pendant l’accouchement, guide et accompagne, mais sans faire « à la place de ».

BBF • Quelle est l’inscription de cette fonction dans les missions de la bibliothèque ?

M. P. • À Angers, la formation des usagers a pris une importance croissante ces dernières années dans les missions de la bibliothèque. Le fait d’avoir une directrice convaincue du rôle pédagogique que peut jouer la bibliothèque, qui a fait elle-même de la formation à de nombreuses reprises, a certainement joué dans la visibilité de cette fonction auprès des instances de l’université. Ça a aussi été le fruit d’un patient travail de conviction à tous les niveaux, auprès des collègues, des enseignants, des tutelles, pour être là où on a besoin de nous et répondre aux besoins, exprimés ou non. L’équipe des formateurs est une petite équipe (7 à 8 personnes, auxquelles s’ajoutent des moniteurs étudiants), mais très motivée, et qui partage une vision et une philosophie de service communes, que nous avons définies ensemble. Nous avons fait le choix du volontariat : je pense qu’on n’est pas forcément un bon formateur si on nous a forcé la main. Devenir formateur, c’est aussi un chemin personnel.
C’est une mission qui ne peut que prendre de l’importance dans les BU : nous ne sommes plus à l’époque où l’information était rare et sélectionnée. La multiplication des sources et des canaux d’information, l’abondance d’informations, disponibles partout et tout le temps, y compris les fake news, rendent la maîtrise de l’évaluation de l’information absolument essentielle. C’est peut-être un peu grandiloquent, mais il y a un rôle citoyen à jouer…
L’enjeu stratégique, pour moi, c’est, si on se place dans une logique de services, et donc de design de services, de faire des formations utiles (qui viennent au bon moment, qui répondent aux besoins), utilisables (qui sont faciles à comprendre et qui permettent d’apprendre facilement) et désirables (grâce aux techniques participatives, qui ne sont pas un gadget, mais un moyen de mieux servir les apprentissages en impliquant les étudiants). Ça passe par une démarche essai/erreur : on permet aux étudiants d’apprendre en se trompant ; nous nous permettons aussi nous-même de procéder par ajustements successifs pour faire évoluer nos formations.

BBF • Qu’apporte l’expertise du bibliothécaire à la compétence du formateur ?

M. P. • Être formateur, c’est à la fois posséder une expertise de la recherche et de l’évaluation de l’information et des compétences d’animation pédagogique. Je dirais que l’enjeu c’est que l’expertise du bibliothécaire ne prenne pas le dessus sur la transmission et la pédagogie : tentation de vouloir tout dire, tout transmettre, d’être trop pointu par rapport aux besoins identifiés, de se mettre au centre comme détenteur du savoir…
Pour moi, la qualité essentielle que nous devons posséder est avant tout l’adaptabilité : être capable de rebondir rapidement, d’utiliser une incompréhension, une erreur pour avancer, de revoir le programme prévu en fonction du groupe que l’on a en face de soi…
Ces qualités peuvent être remises en jeu dans d’autres situations professionnelles : la formation professionnelle, bien sûr, mais aussi les situations de renseignement (entretien de référence), les situations de management ou d’animation d’équipes. C’est en travaillant sur ma manière de former que j’ai aussi fait évoluer ma manière de travailler avec les petites équipes transversales qui me sont confiées.

BBF • Comment accompagner les évolutions du métier ?

M. P. • Pour monter en compétences sur les questions pédagogiques, je pense qu’il faut sortir de la bibliothèque, multiplier les occasions de rencontrer d’autres acteurs pédagogiques (enseignants, ingénieurs pédagogiques…), ne pas hésiter à observer leurs pratiques. À Angers, le service d’innovation pédagogique, le Lab’UA, propose régulièrement des rencontres et temps d’échanges autour des pratiques pédagogiques, ainsi que la possibilité d’assister à des cours d’enseignants (ou d’ouvrir son cours). Les formatrices y participent régulièrement. Nous essayons aussi d’organiser une journée par an où le groupe des formateurs va « voir ailleurs » (en bibliothèque ou dans d’autres structures), pour piocher des bonnes pratiques ici ou là. En termes de formation initiale (même si ça commence à être un peu loin pour moi), j’ai l’impression que la formation des usagers est un peu le parent pauvre, et qu’on privilégie la maîtrise des savoir-faire techniques plutôt que les savoir-être humains. Il me semble que c’est en formant qu’on devient formateur, qu’on apprend par l’erreur et par ajustements progressifs, en regardant ce qui se fait autour et en faisant de la veille à la fois sur les questions pédagogiques et la recherche d’informations.
En termes d’outils, il peut être intéressant d’explorer les dernières nouveautés technologiques, mais on peut aussi faire de la formation « artisanale » avec trois bouts de ficelle, remplacer les boîtiers de vote par des cartons de couleur… De même, les belles salles toutes équipées de mobilier type Steelcase sont certes facilitantes, mais elles restent des outils : ce n’est pas la salle qui fait la pédagogie innovante, elle se met « au service de ». La formation n’est pas qu’une question de budget.
Les enjeux de la formation des usagers, en local et de manière générale, c’est pour moi travailler finement sur l’évaluation de nos formations pour pouvoir améliorer l’expérience qu’en ont nos usagers : s’assurer qu’elles tombent au bon moment, qu’elles répondent à un besoin, que les étudiants ressortent plus compétents qu’ils y sont entrés. C’est un travail sans cesse à recommencer… Avec une difficulté : le déficit de (re)connaissance de notre rôle pédagogique par les tutelles et les enseignants, difficulté qui ne peut se surmonter que par un patient travail de conviction et de communication.