Portrait métier # 1 : bibliothécaire open access
Portrait métier : le BBF s’entretient avec des acteurs des bibliothèques sur l’évolution de leur métier, témoignant de la diversité des profils et des fonctions.
Professional profile: a series of profiles in which librarians discuss changes in how they work, reflecting the wide variety of experiences in professional librarianship.
BBF • Qu’est-ce que le « bibliothécaire open access » ?
Marlène Delhaye • Le « bibliothécaire open access » intervient sur tout ce qui a trait à l’OA : aussi bien la gestion technique de l’archive ouverte de son établissement que la sensibilisation aux enjeux de l’accès ouvert, la formation au dépôt dans l’archive, l’accompagnement en matière de stratégie de publication ou d’identité numérique, l’assistance juridique, la valorisation des documents déposés dans l’archive, le suivi des APC 1, la veille sur toutes les tendances qui traversent le paysage de la communication scientifique (nouveaux modèles éditoriaux et économiques, évaluation et métriques, peer review…).
Comme dans de nombreux métiers, les fonctions sont variées et les outils évoluent, il faut savoir s’adapter. Les compétences nécessaires portent principalement sur la communication et la formation : on est dans une démarche de sensibilisation, de promotion – au sens d’advocacy, utilisé par les Anglo-Saxons – auprès des enseignants-chercheurs, des étudiants, des tutelles, des bibliothécaires. Les aspects techniques ne doivent pas rebuter : il s’agit surtout d’avoir une bonne compréhension globale des plateformes éditoriales et de diffusion, des identifiants, des formats de métadonnées et des relations entre ces différents systèmes. Et pouvoir en discuter avec la DSI (direction du système d’information) de son établissement si besoin. Après, bien sûr, il faut savoir sortir des statistiques, parfois faire des infographies, mais pas plus que ce qui est demandé pour la plupart des missions traditionnelles des bibliothèques.
BBF • Quels sont les enjeux de cette fonction à l’intérieur / à l’extérieur de l’établissement ?
M. D. • Les mouvements à l’œuvre en ce qui concerne la diffusion de l’IST (information scientifique et technique) inquiètent, agitent, questionnent les communautés de recherche ; le service documentaire de l’établissement, en proposant des réponses pratiques aux questions de valorisation des publications (sur l’archive ouverte), de visibilité (avec les identifiants de chercheur, des référentiels fiables), de sécurité juridique (par du conseil adapté au cas par cas), améliore sa visibilité au sein de l’établissement et renforce son rôle d’opérateur naturel pour les questions d’IST.
En France, nous avons deux atouts : HAL, une archive centralisée, plateforme mutualisée de dépôt de la production scientifique nationale, et la loi pour une République numérique, qui crée non pas un devoir mais un droit pour le chercheur. Cet environnement favorable donne du sens au travail du bibliothécaire open access, et permet d’envisager un réel changement dans la diffusion de la recherche à moyen terme.
BBF • Comment envisagez-vous les évolutions en cours / à venir de ce type de poste ?
M. D. • Les postes liés à l’open access vont vraisemblablement évoluer vers l’« open science », la science ouverte, au spectre plus large que celui de la publication : en effet, c’est tout le processus de recherche qui est en train de se transformer, et qu’il va falloir accompagner – on parle déjà d’« open workflow » de la recherche.
Certains s’interrogent sur le rôle des archives ouvertes dans un système où toutes les publications seraient en libre accès ; une redéfinition de leur périmètre est à réfléchir dans les années qui viennent, de préférence avec tous les acteurs de la recherche. Le travail sur la gestion des données de recherche, les collaborations avec les presses universitaires, les projets d’édition scientifique font partie des pistes à creuser.
Et c’est dès à présent qu’il faut penser les missions autour de l’open access et de l’open science de façon interdisciplinaire, ou plutôt décloisonnée, en s’ouvrant aux autres métiers de l’université, aussi bien ceux de la recherche (connaître le fonctionnement d’un projet H2020 2, travailler avec la cellule bibliométrie…) et de la formation (innovation pédagogique), que ceux plus administratifs (comprendre un minimum comment fonctionne le logiciel comptable est précieux pour travailler sur les APC, par exemple). Les initiatives d’immersion dans d’autres services, voire dans d’autres établissements, me semblent une bonne idée pour amorcer des collaborations.
BBF • Comment préparer / accompagner les bibliothécaires à aborder ces fonctions ?
M. D. • En entretenant la curiosité des agents, en les envoyant voir ce qui se passe ailleurs dans l’université, ailleurs dans le monde et ailleurs dans d’autres domaines. En les encourageant à suivre des conférences en ligne, à s’autoformer via des moocs. En adhérant à CasuHal, l’association professionnelle dédiée aux archives utilisatrices de HAL, lieu d’échanges de bonnes pratiques et d’entraide pour les gestionnaires d’archives ouvertes.
Peut-être, en formation initiale, en travaillant plus sur le « faire » : on comprend mieux comment marchent les outils et les systèmes de publication une fois qu’on a fait ses recherches, rédigé et soumis un manuscrit, un poster, etc. Et donc on l’explique mieux aux enseignants-chercheurs lors des formations. Je ne dis pas qu’il faut se prendre pour des chercheurs, loin de là, il me semble juste que faire faire aux élèves bibliothécaires et conservateurs l’expérience du processus de la publication leur permettrait d’améliorer leur relation à l’enseignant-chercheur par la suite.
Enfin, en formation continue, je ne peux que recommander le module de formation « Libre accès et archive ouverte : boîte à outils » élaboré par le GTAO (Groupe de travail sur l’accès ouvert) de Couperin avec l’Enssib, qui permet de se familiariser avec les outils et les projets autour de l’accès ouvert qui font partie du quotidien du « bibliothécaire open access ».