Atelier du livre « L’histoire des bibliothèques: état de la recherche (2) »

Bibliothèque nationale de France – 14 décembre 2017

Helwi Blom

Exactement sept ans après le premier Atelier du livre 1 consacré à la question « Où en est la recherche sur les bibliothèques ? », a eu lieu une nouvelle session autour de ce thème dans le Petit auditorium du site Tolbiac. L’objet de la journée d’étude du 14 décembre 2017 – organisée par la Bibliothèque nationale de France, en partenariat avec l’École des chartes et l’Enssib – était de faire un point d’étape et de donner à voir un « instantané » de la recherche sur l’histoire des bibliothèques à l’heure actuelle. Tout au long de cette rencontre, préparée et animée par Marie Galvez (conservatrice à la BnF), enseignants, doctorants et bibliothécaires ont présenté à un public nombreux le dernier état des travaux dans le domaine. Le programme, aussi riche que varié, témoigne du bien-fondé de l’idée des organisateurs selon laquelle, vu le dynamisme de ce champ de recherche pluridisciplinaire ainsi que son contexte marqué par des développements technologiques – notamment l’émergence des humanités numériques – il était temps de dresser un nouveau bilan.

Un premier point d’importance a été avancé dans la séance d’ouverture. En insistant unanimement sur les liens de plus en plus étroits qui se tissent entre leurs institutions, les trois intervenants – Sylviane Tarsot-Gillery (directrice générale de la BnF), Yves Alix (directeur de l’Enssib) et Christine Bénévent (professeur d’histoire du livre et de bibliographie à l’École des chartes, représentant la directrice Michelle Bubenicek) – ont souligné l’importance de cette collaboration pour le dynamisme caractérisant l’enseignement, la recherche et les activités professionnelles et culturelles dans le domaine de l’histoire du livre et des bibliothèques. Comme la génération de ceux qui ont développé, à partir des années 1945, l’histoire des bibliothèques en tant que discipline autonome commence à disparaître et que ce champ de recherche se dote ainsi d’une nouvelle dimension historique, Yves Alix a également lancé un appel aux jeunes chercheurs pour qu’ils viennent découvrir dans les archives (numériques) de l’Enssib un matériel de recherche sur l’histoire des bibliothèques et de ses acteurs au XXe siècle.

Une euphorie mitigée : nouvelles ouvertures et problèmes anciens

La première partie du programme de la journée – structuré de façon à la fois chronologique et thématique – était consacrée aux bibliothèques de l’époque médiévale et de la Renaissance. Dans son introduction générale à la recherche sur l’histoire des bibliothèques médiévales, Donatella Nebbiai a esquissé un domaine de recherche en pleine expansion dans le contexte du numérique et des « manuscript studies ». En développant, entre autres, le sujet de l’interaction entre « privé » et « public » dans l’écriture, la conservation et la transmission des textes à l’époque médiévale, elle a touché à un thème récurrent dans les travaux récents sur l’histoire des bibliothèques : la perméabilité entre le privé et le public dans les usages et les destinées des livres. L’exposé bien charpenté d’Anne Tournieroux, présentant ses recherches sur les bibliothèques privées en France et en Italie à la fin du Moyen Âge, s’est ensuite focalisé sur un problème méthodologique qui continue de hanter les chercheurs du domaine : le caractère épars, hétérogène et souvent lacunaire des sources, qui pose autant de limites pour la constitution d’un corpus de recherche représentatif que pour son analyse comparative.

La question de la résistance du matériel a également été soulevée par Christine Bénévent, dans son introduction à la recherche sur l’histoire des bibliothèques au XVIe siècle. Elle a évoqué l’euphorie qui a suivi le développement du numérique, donnant accès à des ressources dispersées et inédites, et alimentant le rêve d’une bibliothèque universelle ou le fantasme de la reconstitution des bibliothèques et des marchés du livre. Sans nier tout ce qui a été réalisé dans le cadre de projets récents, elle a pris soin de rappeler que toute interrogation sur les bibliothèques doit commencer par une évaluation de ce que les sources peuvent nous dire et de ce qu’elles ne révèlent pas. Leur caractère souvent fragmentaire est en effet facilement oublié, voire masqué, dans les présentations informatisées sophistiquées caractéristiques des humanités numériques. Par la suite, Alissar Lévy a présenté une analyse comparative stimulante de deux collections parisiennes de livres scientifiques du milieu du XVIe siècle.

Les deux communications de la fin de matinée se sont concentrées sur la province. Maxence Hermant a emmené l’audience dans sa quête de l’histoire de la collection dispersée de Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, quête qu’il avait entreprise dans le cadre de la préparation d’une exposition sur ce personnage. L’éventail des sources utilisées par Tiphaine Foucher pour reconstruire l’univers du livre au Mans aux XVIIe et XVIIIe siècles constituait l’objet d’une intervention menant de la composition des corporations du livre et des adresses de boutiques à la matérialité des éditions, en passant par des catalogues manuscrits d’institutions religieuses locales et le catalogue imprimé énigmatique d’une collection privée.

La bibliothèque comme dépôt d’archives, instrument politique, lieu de mémoire et vecteur de reproduction de normes sociales

Pendant l’après-midi, consacré à une période allant du XVIIe siècle à nos jours, la plupart des intervenants avaient choisi une approche privilégiant des questions ne concernant pas, de prime abord, le contenu des livres alignés dans les bibliothèques, mais plutôt la constitution, la gestion, les usages des collections, ainsi que leur décor. Emmanuelle Chapron a mis en lumière des pratiques bibliothécaires et savantes invitant à considérer la fonction des bibliothèques comme dépôts d’archives. « Illustrer, persuader, servir » étaient les trois mots-clés dans le panorama alléchant de l’historique des « décors » des bibliothèques dressé par Frédéric Barbier. La communication de Charles-Eloi Vial sur le parcours et les dilemmes professionnels d’Antoine-Alexandre Barbier, bibliothécaire de Napoléon, a évoqué entre autre ce que peut apporter une collaboration productive entre conservateurs de bibliothèques et conservateurs de musées en matière d’expositions du patrimoine livresque. Après la contribution de Sabine Maffre mettant en évidence les tribulations de la collection de Louis Dumur et sa relation avec la bibliothèque publique de Reims, l’intervention originale de Florence Salanouve sur les modes de catégorisation et de hiérarchisation des questions de genre et de sexualité à la BnF a donné matière à une réflexion sur l'éventuel « gender blindness » des sciences de l’information et des bibliothèques.

Etat de la recherche : approches diverses, nouvelles pistes et élargissement d'échelle?

En guise de conclusion, Frédéric Barbier, ténor de la discipline dont les travaux témoignent du parcours rayonnant qu'elle a suivi jusqu'ici, a dressé un bilan mettant l’accent sur certains points qui lui semblaient particulièrement pertinents. Citons parmi ceux-ci les thèmes suivants : l’interaction entre espaces publics et privés, la définition et la construction d’un patrimoine livresque à sauvegarder, la dimension politique de l’histoire des bibliothèques, l’importance de la transmission d’une expertise spécifique et de la collaboration entre universitaires et conservateurs, et, finalement, la question fondamentale – restée curieusement en l’air, même après l’emploi du terme « bibliothèque minimale » par deux des intervenants – : qu’est-ce qu’une bibliothèque ? Peut-être que l'on devrait y ajouter encore le poids des grands projets numériques adoptant une approche transnationale et comparative et qui, grâce aux nouvelles technologies et à une collaboration internationale, peuvent mener des recherches sur une très large échelle.

Seul le temps nous dira quelles seront les transformations qui marqueront en définitive les bibliothèques et l'histoire des bibliothèques de l'ère numérique. Donc rendez-vous dans sept ans? Ou peut-être un peu plus tôt ?