Évaluer la bibliothèque par les mesures d’impact

par Christelle Quillet
Sous la direction de Cécile Touitou
Presses de l’enssib, collection « La Boîte à outils », n° 37, 2016, 184 p.
ISBN 979-10-91281-76-8 : 22 €
ISBN PDF 979-10-91281-77-5 : 13,20 €

Voici un ouvrage très technique décrivant différentes façons d’évaluer la bibliothèque en adéquation avec les tendances actuelles de management, sous forme d’articles déployés en trois parties : le contexte, les méthodes et les outils, le pilotage. L’angle d’approche – utiliser les mesures d’impact pour évaluer la bibliothèque – prend la question à l’inverse de ce qui se pratique depuis des années : la production d’un rapport d’activité qui rend compte a posteriori des résultats et qui sert éventuellement à communiquer selon sa présentation et la forme que l’on choisit de lui donner. Tenter de mesurer l’impact de la bibliothèque sur son environnement est autrement plus complexe et poursuit un objectif différent : dans le premier cas, on trace le bilan des activités menées dans l’année écoulée, dans le cadre de la gestion d’un service ; dans le second, on vérifie à partir des objectifs de départ de la politique menée, que les mesures et les moyens alloués ont bien produit les effets escomptés. Mesurer l’impact de la bibliothèque met en jeu le croisement de techniques d’évaluation variées qui produisent des données de natures différentes. Au pilote de la démarche d’évaluation revient la production de la synthèse.

L’ouvrage débute par un historique des politiques d’évaluation en bibliothèque, et évoque l’évolution récente qui oblige les bibliothécaires à s’interroger non seulement sur leurs missions dans un monde de plus en plus concurrentiel, mais aussi sur leurs méthodes d’autoévaluation : qu’est-ce qu’évaluer, sinon donner de la valeur, ou juger de la valeur d’une action par rapport à des critères prédéfinis ? Cette évolution est transcrite dans les normes Afnor : hier, mesure de l’activité (NF/ISO 2789), puis de la performance (NF/ISO 11620), aujourd’hui mesure de l’impact (ISO 16439), avec en arrière-plan un processus d’amélioration continue. Ces méthodes d’évaluation sont des outils d’aide à la décision : évaluer permet d’influencer les décisions, d’alimenter la réflexion et de rendre compte, pour passer ensuite à l’action.

Les différentes méthodes listées ci-après fournissent trois types de données décrites dans la norme ISO 16439 : données induites (statistiques collectées automatiquement), données sollicitées (enquêtes de satisfaction, par ex.), données observées et collectes de constats d’usages réels de la bibliothèque.

Les méthodes décrites dans les articles sont les suivantes :

  • La collecte de statistiques fiables, à partir du SIGB par exemple ; c’est le niveau le plus simple, celui que les bibliothécaires maîtrisent le mieux car cette méthode est totalement intégrée à leur pratique professionnelle. Se pose la question de l’évaluation de l’usage des ressources numériques pour laquelle la recherche en cours ouvre des perspectives intéressantes (norme Counter, logiciel gratuit ezPAARSE). La collecte de données fiables est devenue plus complexe, car le bibliothécaire est passé d’une logique de stocks avec l’imprimé à une logique de flux avec les collections numériques.
  • Les enquêtes : ESGBU, LibQual+, enquêtes statistiques de l’Observatoire de la lecture publique, enquêtes internes aux bibliothèques du type semaine test, méthode READ adaptée, évaluation du site web – tri par carte, focus groups, tests A/B, observation des usages réels de la bibliothèque par ses usagers – dite Sweeping, etc.
  • Les normes disponibles sont listées et décrites ; elles constituent une documentation de référence qui fait consensus pour encadrer une démarche d’évaluation.
  • L’aspect économique des bibliothèques est exposé par Françoise Benhamou : les notions d’étude d’impact, de valeur, l’analyse coût-bénéfice et le retour sur investissement sont clairement expliqués et appliqués aux bibliothèques. Des bibliothèques anglo-saxonnes ont tenté l’expérience de cette démarche analytique : deux cas sont présentés dans cet article.
  • Franck Huysmans et Marjolein Oomes, de l’université d’Amsterdam, mènent des recherches pour démontrer l’impact sociétal de la bibliothèque. L’article présenté est la traduction par Anne Robatel d’un article publié en anglais dans l’IFLA Journal en 2013. La valeur des bibliothèques est mesurée à travers cinq dimensions : culturelle, sociale, éducative, économique et affective. Une procédure d’évaluation rassemblant ces dimensions et les trois types de données est en cours d’élaboration aux Pays-Bas.
  • La démarche d’évaluation orientée usagers s’appuie sur des outils et des méthodes : le tableau de bord urbain, l’analyse du territoire permettant de définir la zone de chalandise et le rayonnement de la bibliothèque, la démarche utilisateur en quatre étapes (UX : user experience design), la notion d’outcome (impact mesuré à l’aulne des missions), et l’évaluation de la performance de la lecture publique dans le développement territorial n’ont qu’un objectif : ancrer la bibliothèque dans le tissu social local, l’adapter à son environnement et aux besoins de ses usagers de manière plus réactive.

Parallèlement, chaque auteur défend son point de vue selon son expérience et sa « philosophie professionnelle » : Nathalie Clot met en balance les chiffres et la prise de décision, cite des alternatives aux indicateurs, et conclut que l’indicateur seul ne vaut rien : c’est le pilote qui fait la différence. Françoise Benhamou présente une approche économique des bibliothèques, explique les notions qui leur sont appliquées, et met en garde contre une approche exclusivement économique qui cacherait « l’apport véritable de la bibliothèque ».

Voilà le contenu de la boîte à outils, telle qu’on l’attend dans ce type d’ouvrage. Si l’exposé des outils ou de la méthodologie n’est pas toujours détaillé, la bibliographie permet de disposer de l’information suffisante pour creuser le sujet par ailleurs. Les points de vue sont intéressants, contradictoires parfois, les notions de base de la mesure de l’impact sont clairement explicitées.

Cécile Touitou propose un mémento en fin de volume, qui liste les différentes phases d’une démarche évaluative de l’impact de la bibliothèque en reprenant les éléments énoncés dans les articles, fort heureusement car le lien manque en fin de lecture, certains articles étant concentrés sur un cas particulier très concret sans mise en perspective dans une problématique élargie.

Les bibliothèques s’inscrivent dans des politiques publiques globales. On peut regretter que les articles n’aient pas plus développé cette approche, car le sujet de fond est bien celui-ci : quelles sont les politiques globales dans lesquelles les bibliothèques s’inscrivent ? Évaluer, c’est d’abord interroger : quelles sont les questions, selon le contexte municipal, universitaire ou autre, que les bibliothèques doivent se poser pour mettre en œuvre leur auto-évaluation ? Ont-elles les moyens, les compétences, le recul nécessaire pour pratiquer de manière satisfaisante cette auto-évaluation ? Seul l’article de Marie-Christine Jacquinet évoque ces sujets car la BDP des Yvelines a bénéficié d’un accompagnement durant la première phase de sa démarche évaluative – le diagnostic d’impact, en se positionnant dans le cadre d’une politique publique plus large et en posant les questions nécessaires à l’évaluation. Le lecteur aurait gagné à lire une description plus développée de cette démarche, d’autant que les exemples de démarche évaluative de ce type sont rares en bibliothèque. Cet article est d’autant plus exemplaire, au sens strict du terme.