Histoire du livre et histoire des collections en bibliothèque

Journée CRL Midi-Pyrénées / Languedoc-Roussillon Livre et Lecture – 20 avril 2017

Valérie Hallier

Audrey Bonniot

Histoire du livre

Dans son intervention consacrée à l'histoire du livre, Jean-Yves Mollier (Professeur à l'université de Versailles-Saint Quentin-en-Yvelines), a proposé une véritable réflexion sur l'histoire et l'avenir du livre. Il commence par un regard vers le passé en reprenant comme exemples les stèles en pierres verticales du Temple de Confucius et les panneaux de bois relatant les conquêtes de Jules César contre les Gaulois « en bandes dessinées ». Il en arrive au volumen en Occident et enfin au codex. Apparu au cours du 1er et du 2e siècle, il était réalisé dans les scriptoria (abbayes). Les livres du peuple étaient eux essentiellement des représentations de scènes religieuses sur les tympans des églises.

Au 12e siècle, avec le développement des universités, les ateliers laïcs où les livres étaient découpés en pièces (pecia) par les professeurs, pour permettre d'augmenter le nombre de copies, se multiplièrent.

Avec l'arrivée de l'imprimerie durant le 15e siècle, le manuscrit fut progressivement supplanté par le livre imprimé. On donna alors aux premiers livres imprimés le nom d'incunables (1450-1501). On en compte aujourd'hui 27 000 dans le monde dont 3 500 en France. Ce sont en général des livres religieux précieux mais aussi des livres de droit, qui répondaient à la demande des universités. L'imprimé ouvrit une ère nouvelle pour le livre. Sa multiplication modifia les pratiques culturelles, changea la pensée et fit perdre à l'église son privilège de la médiation. En réaction, François 1er créa la réforme du dépôt légal en 1537 pour contrôler la circulation des imprimés avec pas moins de 200 censeurs chargés d'autoriser ou non leur publication. A titre d'exemples, plusieurs imprimeurs en France, au cours du 16e siècle, ont été brûlés pour avoir publié des ouvrages interdits comme l'imprimeur Etienne Dolet (3 août 1546) ou Michel Servet (27 octobre 1553).

La création en 1835, du corps de métier « des éditeurs », appelés auparavant libraires, diminua la confusion dans les métiers du livre. L'éditeur dirigeait la chaîne du livre, achetait le papier, choisissait les imprimeurs, les livres à imprimer (écrivains) et les librairies pour la vente.

Ainsi les métiers du livre (papetiers, imprimeurs, écrivains, libraires) étaient dépendants de l'éditeur très puissant. A partir de cette époque, l'éditeur créa l'offre en publiant notamment l'Encyclopédie de Diderot dont des milliers de volumes furent vendus.

La révolution industrielle modifia les techniques des métiers du livre. Les formats in 4° ou in 8° diminuèrent le coût du livre et on assista alors au développement des genres : encyclopédies, poésie, théâtre et romans. Voici quelques exemples de livres à succès avec, en Angleterre (capitale du livre au 18e siècle) : « Pamela ou la vertu récompensée » de Richardson en 1740 traduit en français, et en France : « Nouvelle Héloïse » roman de Jean-Jacques Rousseau, paru en 1761.

La culture de masse (réformes de 1833, 1850 et 1880 pour l'alphabétisation par l'école), permis une évolution de la demande du livre, réservée essentiellement jusqu'alors à la bourgeoisie. Ainsi les livres scolaires arrivèrent en seconde position dans la vente de livres. De 1828 à 1851, Hachette réalisa sa fortune en se spécialisant dans les livres scolaires élémentaires ; cinq livres sur six provenaient de ses presses. A la fin du 19e siècle, le premier livre à entrer dans les foyers populaires fut le livre scolaire, suppléant ainsi les ouvrages théologiques. Quant aux romans, d'abord publiés en feuilletons dans les journaux, ils furent ensuite imprimés dans leur intégralité en livres, selon la demande. Des livres sur la cuisine, le jardinage, des dictionnaires paraissaient également sans pour autant détrôner le livre scolaire qui détint le record de ventes fin à la fin du 19e siècle et au début du 20e.

La révolution du livre à bas prix débuta en 1838 par l'éditeur Charpentier (3 000 exemplaires de Madame Bovary de Gustave Flaubert vendus à 3,50 Francs), puis par la publication de livres à 1 Franc par l'éditeur Lévy et enfin en 1905 par le livre populaire vendus à 65 centimes chez Fayard.

Les éditions chères (140 000) furent bientôt dépassées par les livres à bon prix (500 000), ce qui favorisa l'augmentation des bibliothèques personnelles et l'ouverture de cabinets de lecture.

Le roman apparut rapidement comme l'émulateur de la culture de masse. Ainsi, en 1950, on comptait 8 millions de prêts puis 200 millions en 1980, avec une forte évolution des bibliothèques entre 1960 et 1980.

Les années 2000 opérèrent une véritable mutation du livre, avec l'apparition de l'ebook (mars 2000) puis des tablettes ou smartphones (2006-2007). La consommation du livre numérique augmenta de 5 % en 2010, 15 % en 2015 à 20 % en 2016. A titre d'exemple, entre juillet 2012 et 2014, il y eu plus de ventes de romans digitalisés que de romans papiers avant un inversement de tendance en 2015. Le livre n'a jamais été titulaire des supports que l'on lui a donné, il évolue encore.

Le livre digitalisé en 3D et pourquoi pas olfactif est-il un rêve ou une réalité pour le 21e siècle ?

Histoire des collections en bibliothèque

Dans son intervention intitulée « Histoire des collections en bibliothèque », Marielle Mouranche (archiviste-paléographe et conservateur en chef de bibliothèque), a abordé la question des collections patrimoniales.

On estime à 65 millions le nombre de documents patrimoniaux répertoriés dans 750 bibliothèques, dont 26 millions en province. Ces derniers reflètent l'histoire des bibliothèques et l'histoire culturelle de la France. Ces collections acquises en blocs ou épisodiquement proviennent de fonds de collectionneurs, du dépôt légal, de dons, de legs ou encore des confiscations révolutionnaires.

Les premières bibliothèques en Mésopotamie et en Égypte furent identifiées au IIIe millénaire avant JC. Voici ensuite quelques exemples de bibliothèques de l'Antiquité et du haut Moyen Age : Assurbanipal, constituée de 30 000 tablettes et Pergame, constituée de 200 000 rouleaux. Ces bibliothèques pouvaient être religieuses (apogée au 12e siècle des bibliothèques monastiques : abbaye Saint-Victor avec 1000 manuscrits au début du 16e siècle, avec une ouverture au public trois jours par semaine ; bibliothèque des Dominicains « Nos livres sont nos armes … il faut les multiplier dans la bibliothèque commune»), royales, privées (princes ou grands prélats : bibliothèque du duc de Berry) ou liées à l'université (Collège de Sorbonne, fondé en 1257 et doté en 1332 d’une bibliothèque de 1270 volumes ouverte à tous les étudiants).

Les premières bibliothèques de particuliers se développèrent au 14e siècle avec des fonds professionnels : médecine, droit, théologie. Les bibliothèques humanistes, quant à elles, étaient constituées de textes antiques et de textes contemporains. La plus célèbre bibliothèque était celle de Beatus Rhenanus. D'autres plus singulières comme la riche bibliothèque de Jean Grolier (financier lyonnais au 16e siècle) sont à mentionner. Le 17e siècle marqua le début de la grande période des bibliothèques privées françaises : les collections étaient alors davantage encyclopédiques. Certains «grands commis de l’état» comme le chancelier Séguier, Richelieu ou Mazarin eurent un rôle important dans leur développement.

La Bibliothèque royale fondée par François 1er s'installa à Paris rue Vivienne en 1666. Elle comptait cinq départements en 1720 : manuscrits, imprimés, estampes, titres et généalogies et médailles. En 1726, furent ajoutés des fonds musicaux. La bibliothèque accueillait un jour par semaine les savants mais aussi les simples curieux ; elle devint la Bibliothèque Nationale en 1791.

Le 18e siècle fut marqué par la bibliophilie (nouveau rapport au livre, dominé par l’idée de rareté, d’encyclopédisme) avec par exemple le bibliothécaire Gabriel Naudé (1627), de nombreux ecclésiastiques (Mgr d’Inguimbert, abbé Dhéliot) et des nobles (marquis de Paulmy d’Argenson, de Rochegude). En 1789, on répertoriait 50 bibliothèques publiques : des bibliothèques ecclésiastiques à Toulouse (collège royal, bibliothèque du clergé), d'institutions, de particuliers, ou plus rarement populaires (paroisses Est de la France et Paris : abbé Grégoire).

A la Révolution, on assista à un remodelage complet de la carte des bibliothèques en France et à une dispersion des fonds dans environ 300 bibliothèques (phénomène unique en Europe). Trois vagues de confiscations révolutionnaires eurent lieu (biens du clergé en 1786, biens des émigrés en 1791 : ouvrages saisis au château de Conti à Lisle-Adam et, en 1793, biens des universités, collèges et académies). Une volonté forte de créer des bibliothèques publiques vit le jour pour « allumer la soif du savoir » avec notamment l'ouverture en 1833 de la bibliothèque de Narbonne. Jusqu'en 1860, les bibliothèques étaient peu développées, essentiellement par manque de budget, mais ceux-ci augmentèrent à la fin du 19e siècle. En 1897, les bibliothèques possédant un fonds ancien sont classées. Aux 19e et 20e siècles débute l’organisation des bibliothèques universitaires.

En 1977 est inaugurée la première médiathèque, dans la ville de Metz.

Conservation des fonds patrimoniaux

Au début du moyen âge, les ouvrages sont rangés à plat dans des coffres et des armoires. Dès la deuxième moitié du 16e siècle, la pratique des livres rangés debout se généralise. En 1792, le mot réserve fait son apparition à la BNF avec le bibliothécaire Van Praet. Des magasins spécifiques sont conçus pour les livres anciens.

Mais, à cause de divers éléments, les fonds demeurent fragiles : guerres (1870 à Strasbourg, 1914-1918 à Arras et à Lille, 1939-1945 à Tours et à Douai ; plus récemment au Moyen-Orient), incendies, inondations, vols, etc. Chacun de ces éléments met en évidence l'importance de la conservation préventive et de la sauvegarde, en prévoyant notamment par avance des plans d'urgence.