La bibliothèque : le lieu des liens

Journée ABF Limousin – 10/10/2016

Sandra Gibouin

Le 10 octobre 2016, à la médiathèque de Tulle, l’Association des Bibliothécaires de France du groupe Limousin a organisé une journée professionnelle d’étude et d’échanges sur le thème « La bibliothèque : le lieu des liens ». Inscrite dans le cycle de rencontres et de réflexion sur le rôle social des bibliothèques débuté en 2015, cette journée a eu pour objectif d’aider les professionnels à approfondir leur réflexion sur la notion de médiation.

Après une matinée pendant laquelle est intervenue Michèle Petit sur l'évolution et le rôle des bibliothèques comme « lieu de liens », l'après-midi fut consacrée à une table ronde sur des expériences concrètes ayant permis de tisser des relations plus étroites entre la bibliothèque et ses usagers mais aussi entre les usagers eux-mêmes.

Matinée : Intervention de Michèle Petit

« Les livres ont toujours été accueillants aux exilés. Nous sommes nombreux à avoir usé et abusé de l'hospitalité de la lecture, de son caractère englobant, maternant. Lire est un moyen de résister à l'exclusion, à l'oppression. Lire est un moyen de reconquérir une position de sujet au lieu d'être l'objet moqué du discours des autres. Lire c'est mon pays, rien ne manque quand je lis, le temps disparaît et je ne dépends de personne pour cela. » Voici une des citations de Michèle Petit lues pour débuter cette journée.

Anthropologue et retraitée du CNRS, Michèle Petit a conduit ses recherches vers le monde des bibliothèques et en particulier celui de la lecture. A travers ses publications ,« Eloge de la lecture : la construction de soi », « L’Art de lire : ou comment résister à l’adversité » et « Lire le monde » paru en 2014, elle a analysé l’évolution du monde des bibliothèques et les dynamiques de ces lieux d’avenir à travers la puissance du rôle fédérateur de la lecture.

Pour Michèle Petit, le lecteur est un rêveur qui agace car on a peu de prise sur lui, on ne cesse de vouloir le remettre dans le rang. Lire permet de résister à l’oppression. Lire donne un sens à sa vie. Les bibliothèques sont ces espaces de jeux, de partage, d’exploration du monde, de transmission poétique. Quel plus bel espace qu’une bibliothèque lumineuse avec des plantes qui poussent parmi les livres ! Aujourd’hui pour Michèle Petit, les bibliothèques sont des laboratoires d’expérimentation sur la manière du « vivre ensemble ». Le numérique bouleverse le monde et les bibliothèques jouent un grand rôle car elles intègrent celui-ci dans une réflexion sociétale.

Toutefois, ce travail est parfois peu entendu au-delà des mondes spécialisés alors que les bibliothèques sont en pleine ébullition. Deux beaux exemples sur ces expérimentations peuvent ainsi être cités : la bibliothèque « Louise Michel » de Paris et la bibliothèque Vasconcelos de Mexico.

Bibliothèque de quartier populaire et métissé, « Louise Michel » reçoit en moyenne 600 personnes par jour. De l’extérieur, on se demande : s’agit-il d’un café, d’un salon ou d’une maison ? L’intérieur est surprenant, les couleurs sont conviviales, rouge, parme, vert anis. Lieu de partage, l'accueil est personnalisé. On peut y boire, manger, jouer aux échecs… Des activités diverses sont proposées mais chacun peut aussi en proposer. La bibliothèque se compose de deux espaces, un espace situé au rez-de-chaussée pour les activités partagées et un, situé à l’étage, plus confiné et silencieux pour la lecture et le travail. Pour Blandine Aurenche (directrice de cette bibliothèque), celle-ci doit être un lieu convivial et intime où l’on peut écouter, réfléchir, grandir…

La bibliothèque de Mexico est quant à elle complètement différente architecturalement. C’est un bâtiment immense de 275 mètres de long comprenant à l’intérieur un immense squelette de baleine comme une colonne vertébrale imposante avec un jardin de 26000m². Pour le directeur Daniel Goldin, la bibliothèque de Mexico doit répondre aux attentes du public et pour lui le cœur de l'établissement doit être son hospitalité. Après une enquête informelle à partir de discussions et d’écoutes chaque jour, il s’avère que les usagers y recherchent un endroit de paix, de partage, de réflexion. Créer une « bibliothèque humaine » est ainsi devenu le projet de l’établissement. Des personnes viennent ainsi raconter leur vie à d’autres personnes étrangères car l’idée est que chacun a quelque chose à partager et à offrir. Les personnes peuvent venir y danser et voir leur corps en mouvement dans les grandes baies vitrées. La devise de la bibliothèque peut être alors « Se refléter dans le miroir et passer de l'autre côté ». Des ateliers de dessin, d’écritures autobiographiques, en direction des enfants voire des nourrissons sont proposés. Ce projet a permis ainsi de voir une augmentation de 40% du nombre des usagers de la bibliothèque.

Ainsi ces bibliothèques ont fait appel à l’observation, l’écoute mais aussi à la curiosité et l’imagination. Elles remettent en cause l’image traditionnelle d’une bibliothèque fermée sur elle-même et réservée à un public élitiste.

Toutefois même si ces bibliothèques ont une relation différente avec leur public cela ne suffit plus puisqu'il y a un réel besoin que ce public devienne acteur dans ce lieu voire co-auteur. Pour Michèle Petit, ces bibliothèques jouent aussi sur l'importance de l'oralité, cercle vertueux entre lecture, écriture et oralité. Ainsi au Brésil comme à Calais, où une bibliothèque humaine a été créée avec l'enregistrement des témoignages des réfugiés, l'écrit et l'oral se mélangent comme l'imprimé et les écrans. Des liens se tissent à travers des échanges qui sont impulsés par les bibliothèques. La bibliothèque doit devenir habitable. Elle peut devenir pour certains enfants un lieu de transmission culturelle lorsqu’au sein de la famille c'est devenu difficile.

D'autre part, comme en Colombie, les bibliothèques tentent d'entretenir des liens entre différentes communautés divisées. Lieu pour penser, pour étudier, pour se promener, se reposer, s'informer, dormir...et inventer. La bibliothèque est un « espace de décélération », lieu en retrait mais ouvert au monde. Ainsi pour Michèle Petit, la bibliothèque est comme un jardin, propice à la rêverie et à la réflexion mais essentiel à la santé du monde. C'est un lieu qui allie l'utile à l'agréable et qu'il faut plus que jamais protéger.

Cette première intervention très instructive fut suivie de questions et partages avec les participants. Ainsi les bibliothécaires ressentent bien l'importance de leur rôle à jouer mais il leur semble aussi qu'il y ait un décalage réel entre cette vision sur le rôle des bibliothèques et celle que peuvent avoir les élus ou la société en général. Il existe peu de reconnaissance parfois du rôle d'intégration sociale joué par la bibliothèque. Un travail de communication et de promotion paraît aujourd'hui plus que nécessaire. Ce travail pourrait être mené par l'ABF qui dit travailler à ce qu'il y ait dans l'avenir une réflexion sur une loi qui obligerait les intercommunalités à avoir une bibliothèque, service public primordial pour garantir le lien social.

Après-midi : table ronde
autour d'expériences de médiation en bibliothèque

Une table ronde fut ensuite animée par Philippe Pineau, responsable à l'ABF du groupe de travail sur les bibliothèques de comité d'entreprise et les bibliothèques de prison avec Christiane Méry , directrice de la médiathèque de Tulle, Anne Delaunay et Marlène Desmond, bibliothécaires de la bibliothèque intercommunale de Coursac et Sarah Roy, responsable du pôle adulte de la médiathèque du Marsan.

Philippe Pineau a introduit cette table ronde en redéfinissant la notion de « lien », l’associant à « limier », c'est à dire policier. Le lien ici peut être envisagé comme « faire du lien dans la cité » , promouvoir de la pensée, de l'intelligence, de l'accompagnement. La bibliothèque doit être un passeur, faire un effort de médiation mais aussi, pourquoi pas, susciter du désir.

Christiane Méry a ensuite expliqué la mise en place, à la médiathèque de Tulle, d'une formation du personnel pour entrer en relation avec des usagers souffrant de troubles psychiques. Cette formation est née d'un réel besoin car ces personnes souffrantes sont souvent très en demande à la bibliothèque. Un véritable accueil est nécessaire afin qu'elles ne se sentent pas exclues ou mal comprises mais aussi intégrées réellement comme tout autre citoyen. Cette formation a permis au personnel de mieux comprendre comment se comporter et ainsi être plus serein. Il existe en effet des lois depuis 2005 pour les personnes handicapées mais on pense peu aux personnes souffrant de troubles psychiques. Des partenariats sont aussi mis en place entre la bibliothèque et l'IME (institut médico-éducatif), l'hôpital de jour ainsi que le RAVSI (réseau d'aide à la vie social). Des ateliers réguliers sont organisés.

Anne Delaunay et Marlène Desmond ont ensuite parlé de leur projet original de partage des savoirs à la médiathèque intercommunale de Coursac, ville située à une dizaine de kilomètres de Périgueux. Cité dortoir, la médiathèque doit faire de nombreux efforts afin de faire venir les habitants. Cette idée de créer des ateliers de partage des savoirs est née du fait qu'il fallait créer un lien fort entre la population et la médiathèque . Ainsi une cinquantaine d'ateliers ont vu le jour avec un public régulier. L'idée est que chacun vient pour apprendre mais repart avec l'idée qu'il a aussi des savoirs à partager. Ce ne sont pas des cours réguliers, il n'y a donc pas de concurrence avec d'autres associations ou activités de la commune. La communication est aussi très importante pour que cela fonctionne. Cela prend du temps dans le travail du bibliothècaire mais c'est un travail essentiel pour que la bibliothèque puisse continuer de vivre.

Sarah Roy a, dans un dernier temps, détaillé la mise en place et la réception d'une animation particulière pour les élèves de troisième et de première intitulée « révise tranquille » qui a eu lieu en mai 2016 et qui va connaître une nouvelle édition encore améliorée en 2017. Cette animation avait pour objectif de faire venir un public difficile à attirer, en l’occurence les adolescents. En effet, malgré de nombreuses actions pour les inciter à venir, il a été remarqué que les jeunes sont réticents. Or cette opération d'accompagnement pour le bac et le brevet a été une réussite totale. Deux cents jeunes sont venus sur deux samedis. Une reconnaissance des parents mais aussi des élus s’est exprimée, ce qui permet de légitimer le financement de la médiathèque et de son service. Ce succès permet de developper des partenariats et d'autres ateliers pour les jeunes autour des jeux vidéo, mais aussi de relaxation, massage... Là aussi une communication importante ne doit pas être négligée.

Cette table ronde s'est terminée par des échanges avec les participants. Philippe Pineau a interrogé les intervenants sur leur avis concernant le plaisir ou le loisir en bibliothèque. La bibliothèque, comme lieu culturel peut-il devenir un lieu de plaisir et de loisirs ?

Cette journée fut riche en réflexion sur le sens que l'on donne à son métier et sur l'idée qu'une bibliothèque n'est peut-être pas seulement un service public mais aussi un « service aux publics». Ainsi une bibliothèque existe pour tous les publics et par ses publics.