L’imprimé dans la construction de la vie politique
Brésil, Europe, Amériques, XVIIIe-XXe siècle
Presses Universitaires de Rennes, collection « Des Amériques », 2016, 500 p., ill.
ISBN 978-2-7535-4199-3 : 26 €
Cet ouvrage fut, à l’origine, un colloque brésilien et un livre paru en portugais en 2005. Comme son titre le laisse supposer, il s’agit d’un ouvrage collectif où sont examinées les relations entre pouvoir, politique, écrit, et donc sur (entre autres) la place des frontières, de la constitution des États, de la place des bibliothèques, publiques ou privées. Ces textes sont essentiellement des contributions portugaises, brésiliennes, mexicaines, avec une incursion dans le vieux continent grâce à Frédéric Barbier et à sa grande connaissance de l’Europe de l’Est. La pluralité des contributions, qui peut dérouter, entraîne aussi une pluralité des points de vue : ainsi, un chapitre entier est consacré à l’enfant au Brésil et, en particulier, à la littérature de jeunesse.
L’Europe et, plus particulièrement, la France sont comme des ombres portées : Rousseau figure ici, Napoléon aussi, mais ce ne sont pas des figures marquantes. Plus nette est la constitution de la bibliothèque de Francisco José de Oliveira Vianna, sous les autorités intellectuelles de Lucien Febvre, Vidal de La Blache, Georg Simmel, mais aussi Eça de Queiroz, qui se fournit au Brésil, au Portugal, en Suisse et chez Flammarion. Le livre et son commerce sont très prégnants dans le texte de Frédéric Barbier, tout empreint de géopolitique, qui nous livre une vision de l’économie du livre, des réseaux de lecteurs et des bibliothèques qui forgent à la fois une identité transnationale (l’Europe de l’Est n’avait pas cet aspect de puzzle actuel, dont on finirait par se demander si les pièces ne vont pas finir à la taille de confettis), et une culture qui tente d’être commune.
Le passage Europe – Amériques (Canada, Mexique) est judicieusement traité, et cette passerelle nous manquait. La constitution d’un État nation est particulièrement bien cernée par la contribution d’Eliana de Freitas Dutra, et l’aventure de la collection « Brasiliana » conçue comme une forge de l’identité nationale brésilienne.
Bien sûr, les États s’occupent d’abord de politique : « Le diable dans les bibliothèques communistes : répression et censure dans le Brésil des années 1930 » (de Rodrigo Patto Sá Motta) est un témoin (malheureusement très actuel) sur les opérations plus ou moins brutales de censure de textes jugés contraires à la bonne moralité politique, à la constitution de « l’homme nouveau ». En particulier, on notera l’extrême violence de la répression contre les supposés (ou réels) témoignages favorables à l’Union soviétique : le parallèle avec l’Europe est ici saisissant, mais nous pourrions, sans aller bien loin, trouver de bien troublantes symétries.
Le premier texte qui ouvre l’ensemble est à lui seul une invitation à une lecture totale : « À propos du long voyage de la bibliothèque des rois » (de Lilia Moritz Schwarcz) est à la fois une épopée, livresque, humaine, une sorte d’histoire qu’on pourrait lire aux enfants, le soir, quand les bibliothèques et leurs (vieux) bibliothécaires traversaient les océans, et quand tout semble rentrer dans un ordre, l’ordre du livre.
Il serait inélégant et fastidieux de faire une recension exhaustive des textes : qu’on nous permette de citer (encore une fois) Eliana de Freitas Dutra, qui propose comme concept la bibliothèque « en tant que lieu, en tant que dispositif intellectuel, en tant que métaphore », pour reprendre ce qu’écrit Christian Jacob. Tout l’ouvrage est, en quelque sorte, placé sous les auspices de Christian Jacob, des Alexandries 1 aux Lieux de Savoir 2 . C’est dire si l’ensemble est vaste, copieux, dense, et s’il ouvre à de nombreuses autres publications.
L’ensemble est très pertinemment introduit par Eliana de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier. Qu’on nous permette un regret : un texte initial de Jean-Yves Mollier ne figure pas ; sans doute la taille de l’ouvrage était-elle déjà dense. Même si tous ces travaux nous renvoient à Histoire et civilisation du livre 3 , excellente revue annuelle publiée par Droz (et un temps soutenue par l’Enssib), un texte supplémentaire ne nous aurait pas pesé sur l’estomac, loin de là.