Bibliothèques, enfance et jeunesse

par Mina Bouland
Sous la direction de Françoise Legendre
Éditions du Cercle de la Librairie, collection « Bibliothèques », 2015, 315 p.
ISBN 978-2-7654-1489-6 : 45 €

Du bibliothécaire au sociologue, en passant par le spécialiste de la littérature, les profils variés des contributeurs apportent une véritable richesse de contenus. En effet, le croisement des regards et des approches spécifiques permet que la question de l’enfance dans son rapport aux bibliothèques, et plus largement aux livres, soit traitée dans sa globalité.

Un ouvrage aussi complet n’avait pas vu le jour depuis la parution dans la même collection en 1993 de Lectures, livres et bibliothèques pour enfants 1. Presque vingt-cinq ans plus tard, c’est un nouveau portrait de leur métier qu’on donne à voir aux bibliothécaires jeunesse et à tous ceux qui s’intéressent aux pratiques culturelles liées au monde de l’enfance et de la jeunesse. Ce livre, composé de trois parties, comptera certainement comme une référence par l’ambition qu’il s’est assignée de traiter le sujet dans son intégralité.

Enfance, jeunesse : de qui parlons-nous ?

Le découpage en trois chapitres n’accorde qu’une faible place à la première partie, mais celle-ci a le mérite de poser dès le départ l’objet du livre et, pourrait-on presque dire, l’objet de toutes les attentions. Car c’est d’abord le statut de l’enfant qui est examiné d’un point de vue juridique et historique. Ensuite, c’est une description, sans surprise, de la place de l’enfant dans la société actuelle et dans le contexte de l’ère numérique qui nous est livrée. Sylvie Octobre, sociologue, nous explique comment les mutations technologiques ont induit non seulement de nouvelles pratiques culturelles mais également de nouvelles formes de reconnaissance des cultures dites populaires. Ainsi, elle nous renvoie à ce qu’Olivier Donnat qualifiait de « porosité des frontières entre culture et loisirs, entre le monde de l’art et celui du divertissement  2 ».

Quelle offre pour les enfants et les jeunes ?

La deuxième partie de l’ouvrage dresse un panorama historique de l’édition jeunesse. Ces quelques repères historiques sont autant d’éclairages pour comprendre l’évolution de l’offre et poser un socle commun de références.

Toute l’offre éditoriale est ensuite minutieusement examinée selon les différents genres propres à la littérature de jeunesse : album, pop-up, roman et notamment les séries et les romans de premières lectures, conte, théâtre, poésie et comptines, bande dessinée, comics, manga, documentaire, presse jeunesse, musique, cinéma, et enfin l’édition numérique et le jeu vidéo.

Cette partie est une mine d’or en matière d’informations pour quiconque souhaite se perfectionner sur les questions de politique documentaire : les tendances actuelles en matière d’albums, les sous-genres des littératures de l’imaginaire, l’appétence des jeunes pour les trilogies et autres séries de roman, le retour à la mode du conte, l’apparition tardive du théâtre pour la jeunesse, la remise en question du documentaire dans sa façon d’établir un rapport au savoir, les critères d’un bon film pour enfants, l’explosion de l’édition numérique pour la jeunesse en réponse aux pratiques des « digital natives » et enfin le dernier support à avoir rejoint l’offre physique des bibliothèques, à savoir le jeu vidéo, également présent sous une forme dématérialisée.

Pour ceux qui s’intéressent aux événements et manifestations faisant la promotion de la lecture et des livres pour enfants, une typologie des salons et des prix littéraires spécialisés jeunesse en France et à l’étranger est établie. Pour ne citer qu’un seul exemple français, notons le prix Sorcières décerné conjointement par l’Association des libraires spécialisés jeunesse (ALSJ) et l’Association des bibliothécaires de France (ABF). Au plan international, le prix Astrid-Lindgren s’attache à récompenser un organisme ou une personne qui œuvre à la promotion de la lecture.

Ce chapitre se termine par un article de Véronique Soulé sur la censure. Elle nous rappelle toute l’importance de rester vigilants face aux pressions de ceux qui nous accuseraient de « pervertir la jeunesse ».

Bibliothèques, territoires et actions

Une troisième et dernière partie retiendra, très certainement, davantage encore l’intérêt des professionnels de la lecture publique.

En effet, les thèmes en sont multiples : les politiques de lecture publique, la diversité et les enjeux du partenariat, l’importance de la médiation et le bien-fondé de l’action culturelle, la spécificité de certains publics (petite enfance et adolescence), l’aménagement des espaces, qui est la première condition d’un accueil satisfaisant, et enfin la question de la formation et des offres existantes.

C’est Viviane Ezratty qui ouvre ce chapitre avec un article sur les premières bibliothèques pour enfants en France et notamment celle de l’Heure Joyeuse inaugurée à Paris en 1924. C’est précisément ce modèle qui a permis l’émergence du métier de bibliothécaire jeunesse et la création de l’association La Joie par les livres. Aujourd’hui, presque cent ans plus tard, la conservation et la valorisation du patrimoine jeunesse acquis depuis l’Heure Joyeuse sont devenues une préoccupation nécessaire et légitime.

Bien que ce chapitre soit dense, tant il constitue une source d’information foisonnante, un article invite le lecteur à la rêverie et le transporte dans l’imaginaire : « Enchanter la bibliothèque : inventer des parcours culturels pour les enfants ». Cette contribution de Violaine Kanmacher, responsable du département jeunesse à la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon, démontre que la créativité est une part importante de notre métier pour « ouvrir les portes d’un royaume secret  3 » et « oser l’aventure  4 » en faisant appel « aux ingrédients de la formule magique  5 ».

Des pistes pour aller plus loin

En réalité, dans cet ouvrage, il existe une quatrième partie… Elle se présente sous la forme d’une bibliographie thématique, invitation à se nourrir de la littérature professionnelle pour mieux réfléchir à demain, pour aller plus loin, pour continuer le travail et dépasser le présent. Dans son dernier billet de blog, Permanence bibliothécaire…, Bertrand Calenge nous montrait la voie : « À vous d’inventer la suite ! »

Œuvrons pour que le citoyen de demain laisse germer les graines que le bibliothécaire jeunesse aura semées dans l’esprit de l’enfant qu’il était. Assurément, la lecture, ou plutôt l’usage de ce livre nous y aidera.

  1. (retour)↑  Claude-Anne Parmegiani, Lectures, livres et bibliothèques pour enfants, Éditions du Cercle de la Librairie, 1993.
  2. (retour)↑  Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français, Ministère de la Culture et de la Communication – La Documentation française, 1998, p. 311.
  3. (retour)↑  Id., p. 249.
  4. (retour)↑  Id., p. 251.
  5. (retour)↑  Id., p. 253.