Jouer en bibliothèque

par Myriam Gorsse, Cécile Swiatek
Sous la direction de Julien Devriendt
Presses de l’Enssib, collection « La Boîte à outils », n° 34, 2016, 176 p.
ISBN 979-10-91281-54-6 : 22 €

« Jouer en bibliothèque » propose de découvrir le jeu à la lumière des réalisations mises en place dans diverses bibliothèques, mais aussi de réfléchir au sens du jeu. L’ouvrage est organisé comme un parcours pratique, divisé en parties brèves qui permettent une lecture aussi bien suivie que fractionnée. Le jeu en bibliothèque est abordé autant pour lui-même que comme une opportunité de service(s) et de valorisation.

L’ouvrage remplit son rôle de boîte à outils mais va plus loin ; il explore la potentialité du jeu en bibliothèque en retraçant son évolution économique et culturelle et en le projetant dans toutes ses dimensions : jeu oral, jeu vidéo, cartes, jouets, jeu de rôles, jeu grandeur nature, jeu à réalité alternée. Son organisation à la fois thématique et fondée sur des expériences concrètes permet aux néophytes de se familiariser avec l’univers ludique et d’assimiler les principales bases historiques et théoriques de la culture ludique, par exemple le rappel des six principes du jeu édictés par Roger Caillois en 1958. Cela permet notamment de bien comprendre ce qui fait, symboliquement et concrètement, la différence entre un jouet et un jeu, entre un jeu libre et un jeu à contraintes. Cet ouvrage rappelle à des professionnels plus aguerris les articulations qui existent entre mise en place d’activités ludiques, positionnements stratégiques et enjeux d’image. Enfin, il permet aux décideurs de prendre connaissance des réalités, des retours et des prolongements que peuvent avoir l’ouverture d’un espace ou la mise en place de services dédiés au jeu.

Le retour d’expériences est au cœur de l’ouvrage, et en constitue le principal intérêt. Les réalisations, présentées par les acteurs qui les ont définies et fait vivre, manifestent un souci constant de retracer la réflexion autour de laquelle le service a été bâti. Ces expériences sont présentées dans leur dimension politique, et sont rattachées aux missions, fonctions et perspectives des bibliothèques. Un index plus détaillé aurait permis au lecteur de naviguer de manière plus rapide, précise et confortable dans l’ouvrage. La qualité des encadrés, elle, offre l’avantage de mettre en perspective les questions de fond.

Un large éventail institutionnel est abordé – les exemples sont pris aussi bien dans le monde de la lecture publique que dans celui des bibliothèques universitaires –, et s’élargit très heureusement à des expériences culturelles dans d’autres types d’établissements, qui envisagent des médiations autour du jeu appréhendé dans sa globalité. Nous trouvons également le cas d’expérimentations menées dans des réseaux faisant face aux questions d’interculturalité, comme le réseau de l’Institut français, pour ne donner qu’un exemple.

La lecture de Jouer en bibliothèque nous emmène bien au-delà du simple récit d’expérience. L’ouvrage présente aussi bien des réussites avérées qu’il aborde sans fard que des difficultés concrètes, rencontrées sur le terrain par des bibliothèques qui ont su inventer leurs solutions, et qui les partagent. La mise en avant de médiations couronnées de succès permet d’ouvrir des perspectives vers l’utilisation possible du jeu, lorsqu’elle est souhaitée, à des fins d’éducation, de développement citoyen, et de transmission des savoirs. L’instrumentalisation du jeu est toutefois critiquée de manière constructive, à travers des expériences où le jeu a été détourné au profit de l’éducation quitte à être partiellement vidé de son sens, alors que d’autres moyens auraient pu être employés ; cette approche rejoint celle des ludothèques dont la charte défend le jeu pour lui-même. Il reste à chacun, selon les orientations et les missions de son établissement, de permettre au jeu de trouver sa voie et ses publics.

Si le jeu n’empêche pas de fédérer les attentes et les usages du public, l’ouvrage rappelle donc qu’il n’a de sens que s’il est respecté pour ce qu’il est. C’est cette idée qui a guidé, par exemple, la conception des cinq espaces jeux de la ludo-médiathèque de Fosses.

Certains exemples plaident, eux, pour l’hybridation des actions et soulignent l’intérêt d’ouvrir des partenariats avec des établissements culturels autres que les bibliothèques ou avec des établissements d’enseignement secondaire, comme dans le travail avec des collégiens autour de l’univers du roman jeunesse Tobie Lolness, transposé sur Minecraft dans le Réseau des bibliothèques de Lyon.

Un autre point fort réside dans les orientations données au lecteur désireux de se projeter dans la mise en place d’un service ou d’actions ludiques, afin de lui permettre de faire ses premiers pas dans la constitution d’un fonds cohérent et l’offre d’animations maîtrisables et adaptées. Les questions juridiques d’achat, de prêt et de prêt entre bibliothèques sont abordées, et les modalités d’acquisition de jeux sont présentées, notamment pour constituer un segment de collection en jeux vidéo dématérialisés. L’exemple des Instituts français pointe également qu’au-delà du cadre juridique, des problèmes techniques peuvent compromettre le déploiement d’une offre cohérente en termes logiciels, mais parfois également pour des raisons matérielles.

La question de la formation des personnels n’est pas absente, l’importance du rôle de médiateur du bibliothécaire est clairement énoncée. L’action du personnel de bibliothèque est mise en avant à travers la sélection des initiatives présentées. Au nombre des exemples, la Gaîté Lyrique est citée pour son projet qui, après avoir débuté par une expérience d’« AppLab », a su trouver son public et regrouper ses personnels et ses espaces du centre de ressource et de l’espace jeu vidéo. Cela a eu pour effet de favoriser le partage de savoir-faire au sein des équipes. À la médiathèque Blaise-Cendrars de Conflans-Sainte-Honorine, les personnels se sont laissés convaincre par l’expérimentation et le constat du succès des soirées jeux de société auprès du public. L’expérience s’est ensuite élargie au jeu de rôle et au jeu vidéo. Dans ces deux exemples, le positionnement fondamental des personnels comme médiateurs et facilitateurs est réaffirmé, qu’ils soient initialement joueurs ou non, spécialistes du jeu ou non.

Jouer en bibliothèque remplit donc la fonction qu’on lui prête de prime abord – affirmer le rôle de la bibliothèque comme lieu d’une animation et d’un service ludique –, et prend le parti de présenter la bibliothèque comme possible laboratoire d’une création ludique originale et entièrement pensée pour les publics, en France ou à l’étranger. C’est le cas du jeu canadien Escouade B, créé entièrement en bibliothèque, et du Jeu à réalité alternée de la bibliothèque Marie-Curie de l’Insa de Lyon, composé de trois phases ayant chacune leur propre mécanique de jeu – jeu viral à l’échelle du campus, jeu à énigme sur le site internet pendant plusieurs semaines, jeu grandeur nature le temps d’une soirée pour résoudre le mystère dans les locaux de la bibliothèque.

Que nous soyons des bibliothécaires habitués au jeu, que nous ne nous soyons jamais confrontés à cette question ou que nous soyons en pleine phase d’interrogation, l’ouvrage nous permet, à travers son mémento de fin, de franchir le pas entre la lecture et l’action et de mettre le jeu en perspective dans nos propres bibliothèques. Il présente des exemples sélectionnés pour témoigner de la richesse et du potentiel qu’incarne la pratique du jeu en bibliothèque. Il constitue un complément utile pour notre réflexion et les fonds de nos bibliothèques professionnelles.