Rencontres nationales sur les formations aux métiers des bibliothèques, des archives et de la documentation

Enssib – 23 et 24 mai 2016

Martine Mollet

Plus de 100 professionnels de l’information auront répondu présents aux Estivales 2016 de l’ENSSIB, les 23 et 24 mai. Ces deux journées étaient consacrées à l’évolution des « formations aux métiers des bibliothèques, des archives et de la documentation », celles-ci étant aujourd’hui confrontées à des évolutions majeures provoquées par la révolution numérique, l’évolution du cadre législatif, la réforme territoriale, les nouvelles pratiques des usagers que ce soit dans l’enseignement supérieur ou dans la filière territoriale.

Ouverture et accueil sur le site de Lyon

En ouverture de ces deux journées, Myriam Picot, vice-présidente de la Métropole de Lyon, déléguée à la Culture, a rappelé que c’était la Métropole qui depuis un an assumait la compétence des archives et de la lecture publique et qu’elle réfléchissait actuellement à un schéma de développement propre à ce secteur (avec la participation d’étudiants de l’ENSSIB invités à réfléchir à de nouvelles perspectives). Avec l’implantation dans l’agglomération lyonnaise de grandes bibliothèques municipales, de l’ENSSIB, de bibliothèques universitaires prestigieuses, le site a « tout pour réussir » dans le secteur du livre et de la lecture.

Michel Marian rappelle que le Ministère porte un regard attentif aux politiques de site, et qu’à ce titre, Lyon, qui a par ailleurs reçu le Congrès mondial de l’IFLA en 2014 et dispose de trois grandes infrastructures importantes (l’ENSSIB, HAL et PERSEE), présente une masse critique sans comparaison sur le territoire national. Le numérique rapproche aujourd’hui les métiers des archives, des bibliothèques et des musées, car les espaces se dématérialisent et la documentation est partout. La loi numérique qui sera votée mi-juin constitue un bouleversement important car elle aide à la circulation accélérée de la connaissance scientifique avec, si elle est votée, une durée d’embargo limitée et de plus en plus d’articles déposés dans HAL.

Sur un terrain très morcelé, il faut aujourd’hui trouver une ligne de conduite avec comme mode d’action la coopération. Les défis sont de rendre les métiers plus attractifs, d’adapter les formations aux besoins des employeurs et aux pratiques des usagers, de favoriser la construction de cultures communes entre les métiers, de faire converger les référentiels de compétences, de faciliter la mobilité, de mieux articuler formation initiale et formation continue.

Puis, dans son intervention inaugurale, Yves Alix, directeur de l'ENSSIB, présente l’ensemble du programme et annonce la prochaine refonte du DCB. La révolution numérique oblige à repenser la formation, les jeunes élèves sont aujourd’hui des « numériques natifs », or le paysage de la formation manque de visibilité, il est trop morcelé pour une si petite filière (10 000 emplois dans la fonction publique d’Etat-FPE, 35 000 emplois dans la fonction publique territoriale-FPT et 3 000 documentalistes), il faut donc réfléchir à une nouvelle organisation, ce à quoi il nous propose de participer.

Les métiers des bibliothèques et de la documentation vus par les élus et les tutelles : quels profils, quelles compétences ?

La fin de la matinée est consacrée à une table ronde modérée par Benoît Lecoq, inspecteur général des bibliothèques avec la participation de Sophie Mazens, chef du département de l’IST et du réseau documentaire au MESR, Valérie Gaye, du Service du livre et de la lecture, au MCC, et de Frédéric Lafond, président de la Fédération nationale des associations de directeurs des affaires culturelles (FNADAC).

Il s’agit de se reposer la question de savoir à quoi servent les bibliothèques, leurs personnels, et quelles doivent être leurs compétences, repérer également si les métiers sont similaires en FPE et en FPT. Il faudra certainement faire évoluer le modèle, il ne faut plus hyperspécialiser les formations mais peut-être revenir au coeur de métier. Quelles sont les attentes des usagers, quelles sont les compétences attendues, quel équilibre faut-il assurer entre compétences managériales et compétences scientifiques ?

Frédéric Lafond rappelle ce qu’attendent les collectivités : à côté des compétences sectorielles, le bibliothécaire doit savoir s’intégrer dans une politique culturelle et plus largement dans la politique globale de la collectivité. Dans un contexte de concurrence, le positionnement stratégique devient très important. Pour répondre aux besoins des usagers, le bibliothécaire doit s’engager aux côtés d’autres professionnels pour construire un projet pour la collectivité.

L’ensemble des intervenants s’accorde à dire que les profils « atypiques » sont aujourd’hui recherchés car ils sont en capacité de combiner des savoirs scientifiques et techniques, des compétences managériales (pilotage, stratégie, management d’équipe, communication), et des savoir-être (confiance, échange, partage). La coopération, qui doit permettre de faire partager une vision, reste un maître mot.

Les organismes de formation au défi du changement

Cette deuxième table ronde, modérée par Nathalie Clot, directrice du SCD d’Angers rassemblait Nathalie Berriau, présidente de l’ADBS, Alain Fayolle, expert formation auprès de l'AMUE, Christophe Pavlidès, vice-président de l’ADCRFCB, Armelle de Boisse, responsable de la formation tout au long de la vie à l’ ENSSIB et Christophe Paym, du CNFPT.

Sous la houlette de Nathalie Clot qui adopte une méthode de pédagogie participative, chaque intervenant présente les modalités de ses formations, avec le souci de s’adapter au mieux aux mutations, avec pour l’INET la mise en place d’une pédagogie inversée, de parcours de formation pour l’ENSSIB, d’une double formation en présentiel et à distance pour les CRFCB et l’ADBS, et d’une individualisation des parcours pour l’AMUE.

Entre formation initiale généraliste et recrutement sur profil de poste : quelle adéquation ?

Une troisième table ronde, modérée par Sylvie Cabral, directrice des études de l’EBD, réunissait l’après-midi Luc Bellier et Amélie Barrio (élèves conservateurs à l’ENSSIB), et Lisa Picard et Héloise Cuillier (élèves conservatrices à l’INET), pour un échange entre élèves conservateurs d’État et conservateurs territoriaux.18 mois de formation pour les deux écoles, avec une priorité au management (finance-RH-communication-dialogue social-éthique de la fonction publique) pour l’INET, ainsi qu’une ouverture sur l’environnement professionnel avec des modules communs conservateurs-administrateurs, la participation à des colloques, un accompagnement à la conduite de projets, et le soutien d’un conseil de professionnalisation pour la recherche d’emplois.

Du côté de l’ENSSIB, l’actualité est à la transition puisqu’il y a en perspective une refonte de la formation. Le temps est au dialogue avec la direction et l’équipe de l’ENSSIB, dialogue qui s’annonce « bienveillant, riche et attentif » aux dires des élèves intervenants. Sont à l’étude l’introduction d’une pédagogie active, l’augmentation de la professionnalisation, la valorisation de la gestion de projets, la réappropriation de la bibliothèque de l’ENSSIB comme lieu d’expérimentation, la question du lien avec l’INP et l’Ecole des Chartes.

En conclusion, chacun s’accorde à reconnaitre la nécessité d’une collaboration entre ces deux écoles d’application, car la mobilité entre les deux filières est une forte probabilité dans la carrière des conservateurs, à une époque où les parcours linéaires ne sont plus « la norme ». Une culture commune autour des « services au public » devra être maintenue puisque c’est ce qui fait l’unité de la profession.

Culture du savoir et savoir-faire de la Culture. L'université au défi de la double dimension professionnelle

Isabelle Mathieu, ingénieur de recherche à l’ESPE de Dijon, et Claude Patriat, Professeur émérite de science politique à l’Université de Bourgogne sont ensuite intervenus.

Passionnante intervention de Claude Patriat qui nous invite à une promenade à travers les enjeux des formations à la culture depuis 30 ans. « Il n’y a pas de profession sans systèmes de formation » professe-t-il en guise d’introduction. Depuis les années 1980, le champ de la culture a été investi par les politiques avec la construction de nombreux équipements dans les collectivités territoriales et le soutien de nombreux projets culturels, ce qui a nécessité la formation de nouveaux administrateurs. Cette démocratisation culturelle qui reposait sur plus de professionnalisation, plus de spécialisation, plus de compétences a provoqué une rupture avec les milieux d’éducation populaire. En 1992, l’ENSSIB s’est, quant à elle, adossée à l’Université et le socle commun de la formation s’est construit sur la pluridisciplinarité. Aujourd’hui cette formation ne semble plus répondre à tous les besoins, ce qui a conduit à une fragmentation entre la FPT et la FPE. Cela peut représenter un danger pour l’unité professionnelle. Attention également au danger d’instrumentalisation qui pourrait viser à servir des intérêts autres que le développement culturel.

Isabelle Mathieu constate quant à elle que l’offre de DESS pour les métiers de la culture a explosé dans les universités, avec trois formes d’intervention, dans le secteur public, dans le secteur privé et dans le privé subventionné. Pour les métiers du livre, le secteur privé produit des livres, le secteur public se charge de les conserver (dépôt légal) et les bibliothèques de les prescrire. L’offre de formation s’est donc structurée par métier, par secteur professionnel et par discipline. Avec la banalisation des métiers de la culture, ce secteur professionnel est devenu « une activité comme une autre », avec un appauvrissement de la dimension politique et de la participation des citoyens. Il faudrait aujourd’hui repenser la place de ces métiers dans une perspective citoyenne avec pour finalité la création de valeurs démocratiques.

Les métiers et les formations du point de vue des directeurs d’établissements : quels profils, quelles compétences?

Nathalie Marcerou, responsable du département des études de l’ENSSIB anime ensuite une table ronde avec la participation de Françoise Truffert, directrice du SCD de l’université de Valenciennes, Annie Brigant, directrice de la BM de Grenoble, Louis Faivre d'Arcier, directeur des archives municipales de Lyon, Annick Blanc-Michaud, responsable Info Doc au centre de documentation bio Mérieux et Emily Rousseau, responsable du Learning Hub de l’EM Lyon.

Ce sont les formations au numérique, à la production de contenus, au partenariat qui sont les plus cités par les directeurs des services universitaires et privés et les formations au management, à l’action culturelle et à la médiation par les directeurs des services territoriaux, ce qui confirme un recentrage autour du cœur de métier, l’accès à l’IST pour la filière Etat et la médiation pour la filière territoriale. Un point commun : toutes les modalités de formation sont à exploiter, formation en présentiel, autoformation en interne, formations INTRA et formations à distance.

Un panorama international des formations aux métiers des bibliothèques et de la documentation : évolutions, tendances, défis et coopération

Anna Maria Tammaro, membre de l’IFLA section library theory and research, rappelle que les bibliothèques sont dans une phase très désordonnée, finies les classifications définitives, les patrimoines bibliographiques uniques, les experts en catalogage, il faut regarder davantage du côté des besoins des usagers. La coopération et la formation à distance sont des réponses possibles, efficaces et facilement réalisables au travers de programmes coopératifs, où les enseignants des écoles de tous niveaux mais aussi chaque usager peuvent trouver des partenariats.

Regards croisés sur l’avenir des formations

Cette dernière table ronde animée par Yves Alix, directeur de l'Enssib.

avec la participation de Philippe Barbat, directeur de l’Institut national du patrimoine, Jean-Michel Leniaud, directeur de l'École nationale des chartes, Dominique Lagrange, directeur adjoint de l’Inet, Sophie Gonzalès, présidente de l’ADCRFCB et Claire Denecker, présidente de l'association du réseau des URFIST tentera d’ouvrir des perspectives.

Entre des objectifs « scientifiques » et des objectifs de « professionnalisation », il s’agit de définir un socle de formations communes en essayant de garantir une ouverture la plus large possible, ce qui pose plusieurs questions :

Comment vont évoluer les métiers ?

Comment intégrer de nouvelles compétences dans les maquettes ?

Quelles modalités d’évaluation mettre en place dans les enseignements ?

Comment articuler la Formation continue et la Formation initiale ?

Dans un contexte de crise, quelle est aujourd’hui l’attente sociale ?

Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, quelle est la place de la mobilité ?

Quelles sont les zones d’ombre dans la pluralité des offres, la place de la dématérialisation, l’amélioration de la formation aux nouvelles technologies, les modes d’apprentissage des adultes ?

Pour tenter d’y répondre et clore ces deux journées, Yves Alix propose quatre mots clés :

Convergence, pensée, coopération, permanence

Quels sont nos intérêts communs ?

Comment penser notre changement ?

Comment affronter ensemble les évolutions ?

« Il faut « faire réseau » comme on « fait société », sera donc le mot de la fin ! A suivre…