Humains numériques sans le savoir ?

L’apport des professionnels des bibliothèques, de l’info-doc et du patrimoine aux Digital Humanities – Journée d'étude annuelle FULBI – Paris, 22 janvier 2016

Cécile Kattnig

Changement d’amphithéâtre au CNAM parisien pour la journée d’étude Fulbi 1, ce 22 janvier. L’objectif des organisateurs était de présenter des exemples « d’activités d’appui et de collaboration » des professionnels de l’information, des bibliothèques et du patrimoine aux Digital Humanities. La journée était construite en trois temps : état des attentes et exemples de réalisations, regard porté sur les formations universitaires, et exposé sur la modélisation des métadonnées.

Enquête Hubic auprès des bibliothèques

Après une petite leçon d’histoire des « humanités digitales », Olivier Le Deuff, maître de conférences en sciences de l’information 2, décrypta l’enquête Hubic (Humanités digitales et bibliothèques, des compétences à identifier). Les résultats de ce projet conjoint de l’Université de Bordeaux et de l’Enssib 3 sont disponibles sur le carnet de recherche Humanlit 4.

L’enquête réalisée en ligne de janvier 2015 à mai 2015 auprès de 124 professionnels de l’information traite du rôle et des compétences mobilisées par ces professionnels dans les projets d’humanités digitales. Trois types de besoins sont dégagés : les besoins concernant la culture technique et professionnelle, les besoins relatifs à la culture numérique, et ceux relatifs à la culture organisationnelle et relationnelle de type gestion de projets. Il ressort de l’enquête la nécessité d’engager des formations incluant la transdisciplinarité dans ces méthodes.

Projet de manuel en humanités numériques
en bibliothèque universitaire

Le projet d’un « manuel en humanités numériques à destination des chercheurs » a été présenté par Etienne Cavalié, responsable du département Sidoc (système d’information documentaire) du SCD de l’université Nice Sofia Antipolis. La publication du premier tome avec les Presses de Montréal est en cours de validation 5. L’équipe coordinatrice, composée de deux enseignants chercheurs et de deux conservateurs de bibliothèque, a lancé un appel à contribution au printemps 2015 6.

L’objectif de l’ouvrage était de collecter des retours d’expérience de projets éclairant par là-même les difficultés rencontrées, d’introduire des chapitres traitant des logiciels de veille, de gestion et de publication ainsi que de présenter les outils de recherche et les réseaux sociaux des chercheurs. Le deuxième volume portera sur l’utilisation des réseaux sociaux comme sources de projets de recherche, la pratique de data visualisation et le rôle du professionnel de l’information dans un projet d’humanités numériques. A suivre donc …

Les archivistes, humains numériques sans le savoir ?

Jean-Philippe Legois, archiviste à multiples casquettes 7, nous exposa en tant que président de la Cité des mémoires étudiantes le rôle des archivistes dans l’histoire, depuis la fondation du réseau CME (conservatoire des mémoires étudiantes) http://www.cme-u.info jusqu’à la création d’un portail : http://www.studens.info/ ouvert en 2015. Ce portail donne accès à des ressources numériques (témoignages, collectes orales, cartes postales) et des inventaires d’archives. Il est notamment soutenu par des institutions patrimoniales telles que le SIAF des Archives nationales, le projet SUSES de la Région Ile de France, HumaNum la très grande infrastructure de recherche des humanités numériques. A ce jour, le Centre d’histoire sociale du XXème siècle de l’université Paris I-Sorbonne et le Centre d’histoire du travail de Nantes participent également au portail.

Table ronde : Quelle formation, quelles compétences et quels débouchés pour les professionnels de l’information et du patrimoine ?

Michel Remize, rédacteur en chef de la revue Archimag, introduisit trois responsables de formation. Ces derniers énoncèrent leur programme au sein duquel est formulé leur maîtrise des digital humanities : Ghislaine Chartron avec le titre professionnel du CNAM-Paris « Chef de projet en ingénierie documentaire et gestion des connaissances », Bernadette Dufrêne de l’université Paris 8 avec le master « Médiation culturelle, patrimoine et numérique », et Jean-Baptiste Camps de l’Ecole nationale des Chartes avec le master « Technologies numériques appliquées à l’histoire ». Formation axée sur la gestion de connaissances avec une pédagogie de projet, inscription dans le programme CréaTIC axé numérique et développement de conventions (université de Montréal, université de Tunis).

Modélisation des données et humanités numériques

Vincent Boulet, expert en données d’autorité à la Bibliothèque nationale de France 8, nous rappela que les données sont structurées depuis 1373 9 et liées entre elles depuis 1987. Quelles données peut-on offrir ? des données de référence telles que les données d’autorité équipées d’identifiants internationaux « pivot » comme l’ISNI 10 qui les ouvrent à différentes communautés (gestionnaires de droits, laboratoires de recherche, institutions patrimoniales, etc.), des données contextuelles, comme les données d’autorité spécifiques au contexte de la reliure, produites par la Bibliothèque nationale de France pour sa base de données Reliures 11, mais aussi la réutilisation des données « noyau » consolidées par croisements d’informations issues de plusieurs bibliothèques. VIAF(Virtual international authority file) est un exemple par excellence, illustré par son utilisation pour le traitement d’un fonds de lettres et de textes du Berlin intellectuel des années 1800 par l’Humboldt Universität zu Berlin.

Comment expliciter ce que l’on donne ? en appliquant RDA (Resource description and access), un code de catalogage, plus expressif, compatible avec les technologies du web sémantique et qui devient une référence au-delà des bibliothèques 12. Comment rendre compréhensible ce que l’on donne ? Il s’agit de rendre les données « métier » initialement formatées en MARC, EAD, DC… (MAchine-Readable Cataloging, Encoded archival description, Dublin Core) interprétables par les machines. Transformation en RDF (Resource description framework), alignements, data mining, autant de technologies mises à profit 13. Par exemple, depuis 2011, des traitements en data mining sont réalisés à partir des données de la BnF 14 avec le Labex Obvil (Observatoire de la vie littéraire) de Paris Sorbonne Universités.

L’enjeu actuel demeure la capacité de connecter en amont les données spécialisées avec les référentiels internationaux comme le projet Biblissima 15, le projet Doremus 16 ou le projet d’un référentiel national d’autorités entre plusieurs acteurs en France.

Rendez-vous l’année prochaine.