Bibliothèques et usagers face au temps

Journée d’étude de l’ABF Bretagne – Saint Brieuc – 8 octobre 2015

Hélène Fouéré

Alors que les annonces se succèdent ces derniers temps pour inciter les collectivités à élargir les horaires d’ouverture des médiathèques, l’ABF Bretagne a invité à réfléchir à la notion de l’aménagement du temps.

Reprenons le postulat de cette journée :

« Les rythmes de travail et de vie changent, notre rapport au temps – et notamment au temps libre- se modifie. Les besoins et les attentes des citoyens sont en constante évolution. En tant qu’établissement culturel et outil d’un maillage territorial structurant, comment les bibliothèques peuvent-elles rester réactives à la demande croissante des usagers dans un contexte de plus en plus contraint ? Comment le service public peut-il accompagner la révolution des temps et des usages ? »

LES POLITIQUES LOCALES ET LA PROBLEMATIQUE DU TEMPS

Certaines villes, comme Rennes ou Montpellier représentées lors de cette journée, ont intégré pleinement la problématique du temps dans leurs modes de gestion. Assez décriée pourtant au départ, Rennes a été une des premières villes à avoir mis en place un « bureau des temps » avec une volonté très forte de transversalité.

Aujourd’hui, les temps et les rythmes du quotidien se sont beaucoup diversifiés, les villes et leurs activités ont tendance à s’étaler dans le temps. Prendre en compte la notion du temps dans l’approche du service public, c’est permettre de sortir d’une vision culpabilisante pour l’individu de gestion de son temps à un aménagement des temps, facteur de cohésion sociale. Les rythmes scolaires, les rythmes de travail, les rythmes biologiques, les temps d’accès, les horaires des services structurent le fonctionnement du territoire.

C’est pourquoi l’enjeu est d’abord pour les responsables politiques de définir les objectifs temporels vers lesquels leur territoire veut tendre (ville 24h/24h vs « slow city »). En prenant en compte cette notion de temporalité, il est alors intéressant de structurer et d’optimiser l’aménagement temporel (temps d’accès, coordination des horaires des activités, réduction des inégalités, homme / femme, etc.). Ainsi les services et les organisations sont amenés à s’adapter aux évolutions temporelles.

LES MUTATIONS QUI ONT BOULEVERSÉ NOTRE RAPPORT AU TEMPS

Notre société a connu plusieurs mutations qui expliquent aujourd’hui les changements dans notre rapport au temps. Tout d’abord le XXe siècle a fait gagner 31 années d’espérance de vie. Un nouveau temps de vie est donc à prendre en compte plus fortement : celui des seniors.

Le XXe siècle a vu aussi la durée de formation initiale nettement s’allonger. Les femmes sont également arrivées massivement sur le marché du travail, alors qu’elles assument encore les 2/3 des tâches ménagères. Enfin, les formes familiales ont fortement évolué (le nombre de familles monoparentales a doublé en France en 35 ans). Et les situations d’isolement ont également beaucoup augmenté.

Concernant le temps de travail, même si celui-ci a baissé de 30 % ces 50 dernières années, il occupe à lui seul 10% de notre existence, en étant particulièrement concentré entre 25 et 55 ans. Le CDI a beau rester la norme, les temps partiels se sont beaucoup développés.

Certains éléments chiffrés apportent un éclairage nouveau sur notre vision du travail des autres. En effet, les horaires de travail sont très diversifiés : seuls 46 % des actifs ont une journée dite « classique », 36 % travaillent le samedi et 20 % le dimanche. Si les horaires de travail sont très divers, c’est aussi le cas des temps libres.

Dès lors, comment inscrire la médiathèque dans une politique du temps libre dans une société où l’individualisme prime, où la société de consommation conduit à accéder 24h/24 aux services, où les technologies de l’information se développent à grands pas ?

PENSER L’AMENAGEMENT TEMPOREL DES SERVICES

De nombreux exemples existent déjà (notamment Rennes, Lille Métropole, Toulouse). Plusieurs axes de travail sont possibles dans cette réflexion sur l’aménagement temporel des services : réalisation d’une carte chronotopique (état des lieux des services ouverts et fermés au cours de la journée), analyse des temps d’accès qui structurent le fonctionnement d’un territoire et qui permettent d’identifier des zones de chalandise.

Pour ouvrir mieux les services, les synergies de réseaux entrent en jeu et favorisent la coordination des horaires pour offrir des plages horaires plus larges et ainsi répartir l’offre de services.

Dans un contexte économique compliqué, la mise en place de « pôles de services » permet aussi de combiner plusieurs fonctions. Certains locaux peuvent ainsi être utilisés pour différents usages à différents horaires. On crée ainsi des usages supplémentaires sans m² supplémentaires.

ET LA MEDIATHEQUE ?

L’adaptation de l’offre de services nécessite d’analyser les rythmes de vie des usagers et des non-usagers. Pour cela, une enquête peut être menée pour cibler les horaires d’ouverture. Il convient d’interroger les usagers de longue date, ceux de courte durée, tout comme les non-usagers. A noter que pour 25% des non-usagers les horaires sont un frein à la venue en médiathèque. Et pour 70 % c’est le manque de temps le principal frein.

Les attentes concernant les horaires d’ouverture vont beaucoup varier selon les types d’équipements, et selon les différentes étapes de la vie. Après une présentation de l’exemple de Montpellier, certains points apparaissent déterminants dans cette réflexion sur les horaires d’ouverture des médiathèques. La lisibilité des horaires est particulièrement déterminante et a un réel impact sur la fréquentation. Des ouvertures irrégulières font perdre du public. C’est pourquoi il faut par exemple absolument éviter de modifier les horaires en période de vacances. Cette lisibilité doit apparaitre dans tous les supports de communication. Enfin, une adaptation des possibilités d’emprunts aux différents rythmes de vie complèteront la réflexion.

JUSQU’OÙ ALLER DANS L’ADAPTATION DES HORAIRES ?

Dans tout projet temporel, il est indispensable de chercher un équilibre au sein d’un triptyque : usagers, travail des agents et fonctionnement interne du service. Il n’existe pas de modèle unique d’organisation. Dans cette réflexion sur l’adaptation des horaires, la question de l’ouverture le dimanche se pose forcément. Dans le cas des médiathèques ouvertes ce jour-là, le dimanche est le jour le plus fréquenté car il intéresse tous les types de publics et permet de capter de nouveaux usagers.

Les responsables politiques sont donc amenés à arbitrer pour cette question entre moyens humains, contraintes pour le personnel et services aux usagers.

En résumé, afin d’ouvrir plus et / ou d’ouvrir mieux, les bibliothécaires ont donc tout intérêt à optimiser les horaires et les fonctions de back office, à développer la polyvalence et la culture du projet, à adapter l’architecture des bâtiments et à développer des nouveaux services (boîtes de retours, e-services…)

DES CAS CONCRETS D’ADAPTATION DE MEDIATHEQUE
AUX USAGES ET AU TEMPS

L’après-midi de cette journée d’étude a permis d’aborder quelques expériences de bibliothèques ayant redéfini leurs services pour répondre aux nouvelles attentes des usagers.

Les médiathèques de Lorient ont par exemple élargi considérablement leurs horaires d’ouverture au public en passant de 32h30 à 41 h par semaine depuis septembre 2014. Ce projet a été d’un côté très complexe dans la mesure où les attentes des divers acteurs étaient très fortes (élus, publics et bibliothécaires). Il s’agissait de parvenir à harmoniser le temps de travail avec le temps personnel. D’un autre côté, malgré la tension et la complexité autour de ce projet, celui-ci a été fortement mobilisant. En partant de la commande politique, les équipes des médiathèques de Lorient se sont organisées en plusieurs groupes de travail sur la base du volontariat afin d’aborder toutes les problématiques (préparation des collections à la RFID, aménagement de l’accueil, flux, augmentation des horaires et réorganisation…) Chaque groupe s’est vu attribuer une lettre de mission précise indiquant le processus de validation. Dans le groupe en charge des horaires, il a fallu embrasser les différents aspects : temps de la ville et éléments statistiques, conditions de travail, lisibilité des horaires et constance des moyens. Plusieurs scénarii ont été élaborés et testés de différentes façons afin de consolider au maximum les choix d’organisation. Au final, l’augmentation des horaires a permis une fréquentation plus importante (+30%) et une augmentation des prêts (+2%).

Quimper communauté a pour sa part présenté son offre de « bibliothèque 24h/24 ». La volonté des médiathèques de Quimper communauté a été de développer la capacité à être réactif par rapport aux usagers et à étendre le périmètre des services rendus avec un site web et des ressources dématérialisées. Même si à l’heure actuelle ces services ne représentent qu’une part modeste des activités, les médiathèques de Quimper communauté mettent en place un nouveau projet d’établissement s’appuyant sur le développement de ces services (Quimper communauté participe au projet PNB).

Enfin, le dernier exemple a concerné le réseau des médiathèques de la Baie de Saint Brieuc qui fédère aujourd’hui 15 médiathèques. Malgré un investissement très conséquent et des processus de décisions complexes, la mise en réseau des médiathèques de La Baie a offert aux usagers un gain de temps et une offre de services plus larges grâce à une carte utilisable sur tout le réseau et à une communication commune, et permettra à moyen terme aux équipes de gagner du temps dans le traitement documentaire.

En conclusion de cette journée, les médiathèques, premiers équipements culturels des villes, confirment leur capacité à être à l’écoute des évolutions de la société. L’aménagement temporel de l’action publique est certes un choix politique mais il reste avant tout le choix des usagers, et a, au final, des conséquences sur le vivre ensemble.