La réforme territoriale et les bibliothèques

Journée d’étude ABF Nord-Pas-de-Calais – 2 juillet 2015, Annœullin

Virginie Czech

Cyril Guilmot

Typhaine Magnier

En mars 2015, les députés ont adopté en première lecture le dernier volet de la réforme territoriale, renforçant notamment les compétences des intercommunalités.

La journée d’étude « La réforme territoriale et les bibliothèques » organisée par le groupe Nord-Pas-de-Calais de l’ABF avait pour but de faire le point sur la place des bibliothèques dans ce nouveau canevas territorial.

Contexte historique

La décentralisation permet de transférer des compétences administratives de l’État vers les quatre échelons administratifs qui constituent les collectivités locales : la commune, l’intercommunalité, le département et la région. Cet empilement aux compétences partagées et aux financements croisés nuit à l’efficacité de l’action publique des territoires.

D’où une réforme pour simplifier ce « millefeuille territorial » avec comme but une réduction des dépenses publiques et une meilleure prise en compte des besoins citoyens.

Au cœur de la réforme, la clause de compétence générale qui stipulait que les départements et les régions avaient le droit d’agir dans tous les domaines, au nom de l’intérêt public local (loi MAPAM). Désormais, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) fixe les nouvelles compétences respectives de chaque échelon, avec quelques exceptions, notamment celle de la culture, qui reste une compétence partagée.

Dès l’introduction de cette journée, Etat des lieux de la réforme, place de la culture, place de la lecture publique assurée par Dominique Lahary, les interrogations professionnelles que suscite la dernière réforme territoriale ont été abordées sans détour. Le contexte législatif mouvant inquiète les professionnels qui craignent de subir de nouvelles baisses des crédits publics. La réforme ne contient certes pas de volet culturel mais les bibliothèques étant attachées à un territoire, celle-ci aura nécessairement un impact sur leur fonctionnement.

Sauront-elles alors conforter voire conserver leur place ? Il leur faudra, quoiqu’il en soit, effectuer un tri parmi leurs compétences et mutualiser davantage leurs actions.

La nouvelle répartition des régions françaises provoquera à court ou moyen terme si ce n’est la suppression, tout du moins la fusion de certains établissements. Thierry Ducret, Président du CR2L Picardie et Christian Morzewski, Président du CRLL Nord-Pas-de-Calais ont ainsi abordé La place des agences régionales pour le livre et la lecture dans la réforme et plus spécifiquement, leur futur fonctionnement.

Si la question d’un rapprochement engendre d’ores et déjà de nombreuses questions dont, par exemple, la gestion du personnel et la localisation de la future agence Nord-Pas-de-Calais – Picardie, aucune instruction n’a été à ce jour transmise par leur tutelle, la DRAC. Les liens de voisinage sont néanmoins de bon augure et les deux CRLL travailleront sur deux dossiers communs en 2016.

Nées après la Seconde Guerre Mondiale, les BCP sont créées pour devenir des outils de la lecture publique : prêter, animer, conseiller, former sont leurs missions principales. Suite au mouvement de décentralisation en 1986, elles deviennent une compétence du département et irriguent de leurs actions les communes et territoires de moins de dix mille habitants.

Quel avenir et quelles missions pour les BDP après la réforme ?

Laurent Heitz, directeur adjoint de la Médiathèque Départementale du Nord - qui remplaçait Dominique Mazaleyrat - a rappelé durant son intervention qu’aucune décision claire n’avait encore été prise sur la lecture publique. Pour la MDN, même si des craintes existent quant à son futur fonctionnement, la relation avec la métropole lilloise est actuellement très partenariale.

Les missions des BDP sont amenées à évoluer en dépit de la baisse des crédits. L’année 2014 a été une année blanche, sans subvention d’investissement alors que celle-ci aurait été profitable pour de nombreuses zones. La MDN continue d’être dans une position de partenariat pour l’action culturelle : faisant bénéficier certaines bibliothèques d’aides variées et proposant à la location une soixantaine d’expositions. La fin des bibliobus est également annoncée.

N’oublions pas qu’une bibliothèque sur trois n’est pas encore informatisée. La MDN reste, quant à elle, assez timide dans le domaine du numérique. Elle prête néanmoins des liseuses mais se heurte à des problèmes de droits et aux marchés publics qui ne sont pas adaptés à ces nouvelles ressources.

Véritable outil politique, la MDN s’insère dans la politique du territoire, sur le plan social (animations autour du livre dans les salles d’attente des PMI) mais aussi culturel (lien avec les musées). Cependant, les crédits sont de plus en plus alloués à l’événementiel au détriment des actions de fonds. Quelle est alors la visibilité des bibliothèques auprès de la nouvelle génération d’élus ?

La réforme territoriale a deux buts annoncés : supprimer des échelons inutiles et rapprocher les citoyens de l’instance décisionnelle. Seront-ils véritablement atteints ?

Comment l'Etat continue-t-il à être le garant de l'égal accès de tous à la culture ?

Pascal Allard, Conseiller pour le Livre et la Lecture à la DRAC Nord-Pas-de-Calais, nous livre ses impressions.

Cette interrogation découle d’une inquiétude des milieux culturels. Trois raisons à cela : dès les années 1980, avec les difficultés économiques qui touchent notre pays, des réformes libérales sont menées, le modèle de l’Etat-providence s’efface et les réformes s’enchaînent (Révision Générale des Politiques Publiques, Modernisation de l’Action Publique…) ; l’Etat doit faire face également à un accroissement de son endettement et les budgets de presque tous les ministères sont touchés.

L’Etat s’est engagé à garantir ses missions et à adapter ses politiques publiques aux besoins et attentes des citoyens. Sa présence sur les territoires se réorganise en s’appuyant davantage sur les départements ainsi que sur les préfets de région. Cependant cette réforme prendra du temps et les échéances électorales risquent encore de la modifier.

Les moyens mis en place par l’Etat pour garantir cet égal accès à la culture sont évoqués, en particulier pour la lecture publique. Depuis 1986 par le biais de la Dotation Globale de Décentralisation, l’Etat a conforté son réseau de bibliothèques publiques avec près de 2 millions de m² construits en trente ans. Actuellement les crédits s’essoufflent alors que le numérique se développe et que la question des horaires d’ouverture fait débat. Néanmoins, des contrats Territoires-Lecture impulsent une dynamique de réseaux.

Pour conclure, Pascal Allard émet quelques doutes sur la question posée en début d’intervention, étant donnée la disparité Paris/Régions qui se creuse toujours et l’inégal accès à la culture souligné dans divers rapports. Pour lui, c’est l’affaire de toutes les strates territoriales. Il s’interroge enfin sur la situation de la lecture publique, qui est souvent reléguée au second plan, au vu des difficultés financières des collectivités.

Face à ces problématiques, les professionnels des bibliothèques se doivent de réagir.

Quel est l’impact de la réforme sur le fonctionnement des intercommunalités ?

Catherine Dhérent, chef de projet livre et lecture à la Métropole Européenne de Lille et Grégory Marlier, Président de la communauté de communes de la Haute Deûle nous ont fait part de leurs expériences et de leurs projets.

Une étude sur la lecture publique en 2011 a donné naissance en novembre 2012 à une délibération cadre du Conseil Métropolitain soutenant trois axes de développement. Le Contrat Territoire Lecture a ensuite été signé en janvier 2014 avec l’Etat et le Conseil Départemental du Nord. C. Dhérent a été recrutée en tant que chef de projet en février 2014 afin de mener à bien cette mission.

Trois axes, sans hiérarchie entre eux, forment le périmètre de ce plan :

Tout d’abord, soutenir la mise en réseau des bibliothèques du territoire en proposant un événement culturel annuel : le réseau « A suivre », créé en 2014, rassemble 130 bibliothèques fédérées autour d’événements tels que La nuit des bibliothèques et Les bibliothèques au LAM.

Ensuite, offrir à la population métropolitaine un accès en ligne aux services et ressources des bibliothèques du territoire : construction d’un portail commun qui verra le jour en 2016, réalisation d’une fresque métropolitaine de vidéos en partenariat avec l’INA et instruction en cours pour l’acquisition de ressources numériques. Une convention signée avec l’Université en mars 2015 permet à un doctorant sous contrat CIFRE de travailler pour le réseau.

Enfin, suite à une concertation, établir un plan de développement basé sur un projet de territoire permettant un accès simplifié aux services et ressources de lecture publique pour les habitants de la MEL.

Les objectifs de ces trois axes de travail sont multiples : accroître la visibilité des bibliothèques sur le territoire, mutualiser davantage afin de mieux gérer les collections et rendre un service équitable à l’ensemble de la population.

Ce projet, qui a coûté moins cher que prévu, est soutenu par l’Etat, via la DRAC, et par le Conseil Départemental du Nord. Quelques écueils ont été soulevés par C. Dhérent, dont la difficulté de conjuguer les objectifs parfois contradictoires des 87 communes associées, aux profils socio-économiques extrêmement variés, et la tendance actuelle au repli sur soi dans une période de difficultés économiques lourdes.

Grégory Marlier, Président de la Communauté de Communes de la Haute Deûle a, durant son intervention, réaffirmé l’importance de la culture et la nécessité de travailler constamment à réduire l’inégalité entre les territoires. La culture doit, nous a-t-il dit, être perçue comme un moteur du développement et de l’attractivité des territoires. Premier réseau à avoir été créé dans le Nord-Pas-de-Calais, celui de la Haute Deûle regroupe cinq communes, soit 24 000 habitants. La compétence de lecture publique a été votée en 1999 et la CCHD bénéficie actuellement d’un maillage de cinq bibliothèques qui travaillent conjointement à l’aide d’un seul logiciel et proposent à leurs usagers une carte, un tarif et un portail uniques. Une navette circule une fois par semaine entre les structures afin de gérer les retours et les réservations.

Pour G. Marlier, il est certain que la réforme territoriale s’effectuera dans un contexte financier difficile. La baisse des dotations de l’Etat et la pression fiscale s’accommodent mal du coût des rénovations ou des demandes de plus en plus pressantes adressées aux intercommunalités. La disparité entre villes ajoute un obstacle supplémentaire. Plus que jamais, la mutualisation des ressources et des services apparaît nécessaire pour mener à bien missions et projets.

Les bibliothécaires avaient été invités à préparer une contribution sur papier libre afin de participer à un atelier animé par D. Lahary visant à s’interroger sur la manière dont les bibliothécaires peuvent faire entendre leur voix. Ce temps d’échange a permis de discuter de thèmes variés, reflets des questionnements professionnels actuels telles que la politique nationale et locale à l’égard des bibliothèques, la relation entre les élus et les bibliothécaires, l’importance de la communication et de l’image véhiculée par nos structures mais aussi, plus globalement sur les mutations du métier de bibliothécaire.

Anne Verneuil, présidente de l’ABF et du groupe Nord-Pas-de-Calais a conclu cette journée en rappelant que si la réforme territoriale, aux contours encore flous, touche et irrigue beaucoup de domaines différents et soulève des interrogations justifiées, les enjeux des bibliothèques restent les mêmes ; c’est pourquoi il est indispensable de rester utile aux politiques publiques et de valoriser nos savoir-faire. Améliorer notre communication permettrait aussi de continuer à valoriser notre image auprès de la population afin que la bibliothèque soit perçue comme indispensable !