Le numérique et l’enfance

Tablettes en bibliothèque, premiers bilans – BM de Lyon – 11 juin 2015

Elsa Champey

Le numérique et l’enfance

La présentation par Jérôme Louiche et Violaine Kanmacher (BM de Lyon), a commencé par l’historique des tablettes à la BM de Lyon : dans le réseau de Lyon, 15 bibliothèques ont un espace jeunesse. Le numérique est issu de la rencontre entre les bibliothécaires jeunesse et les animateurs multimédias. Violaine Kanmacher a souligné que l’envie et les projets numériques étaient présents avant l’arrivée même du matériel. C’est-à-dire que la bibliothèque n’a pas acheté des tablettes pour ensuite se poser la question de l’usage ; les bibliothécaires et animateurs avaient anticipé ce qu’ils pourraient faire avec.

En 2013, le projet RéCréations a été l’occasion d’introduire des animations avec des tablettes et donc l’achat de 12 iPad. Des applications ont été proposées en libre-service.

Le choix des iPad s’est imposé à l’époque à cause du nombre et de la qualité des applications disponibles sur l’AppStore. Il y avait peu de références disponibles pour Androïd.

Après cet événement, le choix a été fait de laisser ces tablettes en libre accès.

Désormais les applications sont présentées sur les tablettes au département jeunesse avec le classement suivant :
• âge : 0-6 ans et 6 ans et +
• catégorie : jouer, créer, rêver, découvrir.

Les enfants y ont accès pour une durée maximale de 30 minutes. Les enfants s’entraident bien souvent, regardent et jouent ensemble, et aucune tension particulière n’est constatée concernant l’usage des tablettes et le respect du temps imparti.

Au niveau des animations, la BM propose :
• Bébé bouquine numérique,
• Le conte numérique,
• Les goûters d’applis (des applis et des livres),
• Les Wapdooapps (ateliers de tests et choix d’applications, 1)
• C’est quoi ton métier (par exemple invitation de Hocusbookus).

Jérôme Louiche et Violaine Kanmacher ont aussi cité l’exemple d’une animation de création de bande-annonce à partir de l’album « Les trois brigands » avec le logiciel iMovie.

Pour chaque animation, une fiche action est rédigée pour formaliser le principe et le déroulement, et pour pouvoir la reproduire.

Les intervenants ont rappelé que l’important est de cibler la qualité du contenu proposé et d’être pertinent dans le choix des applis quand on travaille sur un thème. Ce n’est en effet pas tout d’avoir du matériel !

Le top des appli consultées !

Top 3 des 0-6 ans

- Rio moi
- Cursive
- Hair salon

Top 3 des 6 ans et +

- Constructor
- La sorcière sans nom
- Moi j’attends

Top 3 du « Printemps des petits lecteurs »

- Les 3 petits cochons
- Hansel et Gretel
- Lil Red

Illustration
La table de consultation des tablettes au département jeunesse

Les goûter d’Aïpad,
par l’équipe de chercheurs des Universités de Lyon

La BM de Lyon et les universitaires des équipes ELICO (équipe de recherche de Lyon en sciences de l’information et de la communication) et MARGE se sont associés pour travailler sur l’analyse de l’offre numérique et les propositions d’animations de la BM.

Le projet pour l’université était un projet de « recherche-action » : ce n’est pas un projet théorique mais bien ancré dans la pratique.
Concrètement, les chercheurs ont participé aux réunions des professionnels de la BM de Lyon ainsi qu’aux animations du réseau.
Mabrouka El Hachani (chercheuse ELICO) résume ainsi le cycle de travail des bibliothécaires et animateurs :
• sélection d’applications (une cinquantaine),
• choix tests et élimination des applis en séance de travail collectif,
• rédaction d’un scénario d’animation,
• animation,
• bilan.

Les modèles d’animation sont :
• la découverte,
• le « méta-jeu » : un scénario et une histoire en arrière-plan,
• la « méta-histoire ».

Lucien Perticoz (MARGE) s’est intéressé à la filière des applications : de la conception à la commercialisation de l’appli. En effet, il y a un changement de mode d’accès par rapport à la filière traditionnelle du livre. L’éditeur n’est plus au centre de la filière mais c’est la plateforme en aval qui l’est.
L’introduction d’appli et de tablettes pose beaucoup de questions…
Lucien Perticoz note que 29 % des plus de 12 ans ont une tablette. Cela peut paraître beaucoup mais on prévoit un tassement des ventes d’ici 2017 : y aurait-il un essoufflement ? Les bibliothèques doivent-elles développer des services pour un tiers de la population ?
Parallèlement, on sait que la stratégie des constructeurs est au renouvellement rapide du matériel. Les bibliothèques doivent-elles être suivistes et valider la stratégie des constructeurs ? Sont-elles armées pour faire face à l’obsolescence rapide ?
Lucien Perticoz rappelle que choisir un iPad, une Surface ou un appareil sous Androïd est tout sauf neutre : on choisit en effet un écosystème, une philosophie socio-économique.
Le problème est que les politiques commerciales et contractuelles des plateformes d’applis ont des incidences sur les achats et les politiques des bibliothèques. Les bibliothèques qui achètent via Apple sont tributaires de ce fournisseur, sans pour autant que celui-ci puisse devenir réellement un interlocuteur. Il n’y a pas de portabilité des applications d’un système à l’autre, pas non plus de concurrence. De plus, Apple peut déréférencer une application quand il veut.
Se pose également la question de savoir si une application achetée appartient à la bibliothèque, ou celle-ci achète-t-elle un droit d’usage et pour quelle pérennité ?
Au niveau des parts de marché des OS (systèmes d’exploitation), IOS d’Apple représente 28 %, Windows 5 % et Androïd 67 %. Cela pose donc le problème de l’adéquation entre la plateforme utilisée par la bibliothèque et son public.
Les plateformes commerciales d’applis se placent en concurrentes des bibliothèques et Apple tente d’assurer le conseil et la recommandation marchande des applis.

Catherine Dessinges (MARGE) s’est intéressée à l’efficacité des animations. Cette efficacité a été mesurée de plusieurs manières :
- Questions à l’issue de l’animation : les enfants étaient satisfaits de l’animation. Ils soulignaient le plaisir de jouer et de découvrir.
- L’équipe a pris en compte la communication non verbale car il est parfois difficile de faire s’exprimer les enfants et d’obtenir une analyse de leur part.
A l’observation, les chercheurs ont constaté un zapping plus rapide si l’enfant n’était pas accompagné lors de l’utilisation de la tablette.
Les enfants ont plus de plaisir lorsqu’ils ont pu partager avec les autres, se faire des copains lors de l’animation. C’est le cas également si l’animation se fait avec le moins de contraintes possibles (par exemple assis par terre plutôt que de devoir s’assoir sur une chaise derrière une table). L’implication et la proximité de l’animateur sont essentielles.
Catherine Dessinges souligne l’appréhension des parents concernant l’impact de la tablette sur leur enfant. Ils ont besoin de voir affichée une orientation culturelle et éducative, au-delà du plaisir, à la séance d’animation. Le modèle de « méta-histoire » remporte donc plus largement les suffrages que la découverte libre. La bibliothèque rassure les parents quand elle propose un accompagnement de l’enfant aux tablettes.
Du point de vue des animateurs des séances, les chercheurs ont relevé des difficultés principalement techniques (vérifier la présence et le fonctionnement de l’appli, le chargement de l’appareil…), et de timing (comment enchaîner la séance lorsque les enfants sont complètement absorbés dans l’appli).

Karine Boissin (consultante et ergonome USETIC Consulting) a rappelé qu’on entend par « ergonomie » l’utilisabilité et l’intuitivité.
Elle a constaté la prise en compte intuitive de l’ergonomie dans la sélection des applications par les bibliothécaires : langues, son, textes…
Pour ce qui est des tablettes, les critères importants sont la taille de l’écran, la qualité de préhension, le poids, la réactivité et la qualité des accessoires.
Lors des animations il est à noter qu’il est difficile pour l’enfant de tout suivre : à la fois ce qui est sur la tablette, la projection au vidéoprojecteur et les consignes de l’animateur.
La présentation s’est terminée par une vidéo qui montrait différentes situations d’animations numériques sur le réseau des BM : contes numériques, goûters d’applis… et les retours des enfants sur la séance.

  1. (retour)↑  Les applications plébiscitées par les testeurs : « Kilubu », « Moi j’attends » et « Pierre et le loup ».