Les bibliothèques et la médiation des connaissances

Bibliothèques en débat – BnF site François Mitterrand – 31 mars 2015

Leslie Martin

Le dernier « Bibliothèques en débats », cycle de manifestations co-organisé avec le Cercle de la Librairie, s’est tenu le mardi 31 mars 2015 dans le petit auditorium de la Bibliothèque nationale de France, sur le site François-Mitterrand.

Il a offert à un public plutôt nombreux l’occasion d’échanger sur le dernier ouvrage de Bertrand Calenge, directeur des études à l’Ecole nationale supérieure des Sciences de l’Information et des bibliothèques, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, paru aux Éditions du Cercle de la Librairie en février dernier. Le débat, auquel participaient, outre l’auteur, Dominique Lahary –membre du CA du groupe Île-de-France, du comité d'éthique et de la commission Ressources humaines et formation de l'ABF– et Agnès Sandras –chargée de collections à la Bibliothèque nationale de France–, était animé et modéré par Martine Poulain, directrice de la collection « Bibliothèques » au Cercle de la Librairie.

Après une rapide présentation par Martine Poulain des intervenants, des enjeux et du périmètre du débat, le premier temps de la rencontre a été l’occasion pour Bertrand Calenge de revenir sur le propos de son ouvrage et d’en expliciter et développer certains points. Il a tout d’abord mis l’accent sur l’impérieuse nécessité de la médiation des professionnels, à une époque où l’on parle volontiers de désintermédiation, d’autonomie des usagers et de sérendipité, mais où les digital natives tant évoqués sont sans doute, selon la jolie expression d’Alexandre Serres, des digital naïves. Paradoxalement, il souligne que l’appétit des publics pour les services, sur place et à distance, des bibliothèques, n’a jamais été aussi fort. Formations, action culturelle, services de questions-réponses, éditorialisation de contenus, connaissent un vif succès dans les établissements. Même si ce terme de médiation est, selon ses propres mots, un « mot-valise », il n’en demeure pas moins qu’il reste une thématique importante des débats professionnels de ces dernières années, notamment avec l’apparition de la notion de médiation numérique. A contrario, dans son ouvrage, salué en cela par Martine Poulain, il propose à ses lecteurs l’hypothèse d’une réintermédiation tournée vers l’humain. A travers une large palette d’exemples, pris en lecture publique comme en bibliothèque universitaire, Bertrand Calenge s’est efforcé de balayer la multiplicité des pistes par lesquelles on assiste, selon lui, à la réimplication des bibliothécaires. Pour lui, la médiation doit infuser dans les établissements, et les professionnels doivent se réemparer des contenus, des connaissances (le choix de ce terme n’est pas anodin) sur lesquels ils ont une véritable expertise. Les bibliothécaires doivent se faire un peu enseignants, un peu éditeurs, un peu journalistes, et doivent peut-être renouer avec le vieux concept, parfois oublié, d’éducation populaire.

Un second temps fut consacré à un débat entre les invités. Dominique Lahary a commencé par faire l’éloge du livre de Bertrand Calenge en notant à la fois la dimension d’engagement professionnel qu’il reflète et la prise de distance vis-à-vis des collections de son auteur, pourtant domaine de prédilection de ce dernier dans ses précédents ouvrages. La médiation a toujours existé, mais elle est réactivée aujourd’hui, à l’heure où l’on s’interroge sur les missions des bibliothèques. Il souligne ensuite que pour lui, outre leur rôle de fourniture documentaire, les bibliothèques doivent être un espace public dans la cité et un lieu social. Agnès Sandras a ensuite fait le lien entre l’ouvrage et une thématique qui lui tient professionnellement à cœur, les bibliothèques populaires, puis a relaté la diversité de ses expériences de médiation avec les publics qu’elle côtoie à la BnF : ateliers pour femmes immigrées, rendez-vous de l’histoire à Blois, ateliers Gallica, réponses aux lecteurs sur Sindbad, le service de questions/réponses de la BnF…

Un troisième et dernier moment a été l’occasion d’échanges avec la salle. Un auditeur a ouvert le feu de questions en soulevant une éventuelle comparaison entre les musées et les bibliothèques dans le domaine de la médiation. Il soutenait que la lecture, contrairement aux œuvres d’art, constituait peut-être une barrière pour les publics potentiels, ce qui a soulevé le désaccord de plusieurs des intervenants, qui ont souligné que, d’une part, l’art était peut-être lui aussi une barrière, et que la lecture n’était pas, loin de là, la seule des activités possibles dans une bibliothèque, s’appuyant sur de nombreux exemples. Fut abordée ensuite la question de la place et du rôle des bibliothèques après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo. Les points de vue divergeaient parmi les invités. Pour certains, la prise de position des bibliothèques en faveur d’une liberté d’expression sans entraves, à travers quelques actions symboliques –étagères vides à Montpellier, expositions de caricatures à la BnF–, réaffirme certaines valeurs démocratiques et la fonction politique de la bibliothèque dans la cité, ce qui était, selon Martine Poulain, relativement impensable il y a dix ans. Dominique Lahary a rappelé à cette occasion la tenue le 21 mai prochain d’une journée d’étude de l’ABF-Ile de France sur la question. Pour d’autres, affirmer « Je suis Charlie » n’était pas suffisant et il était davantage intéressant d’amorcer un travail de pédagogie sur la notion de caricature avec les usagers.

Pour finir, les inquiétudes de certains professionnels face à ces nouvelles formes de médiation et à la moindre place laissée aux collections dans les espaces ont été abordées. Ces inquiétudes ont été levées par les participants : les human libraries, où l’on peut « emprunter » une personne pour qu’elle relate son histoire personnelle et ses expériences de vie, et les services de réservation d’un bibliothécaire furent tour à tour évoqués, soulignant ainsi que la médiation numérique, essentielle, ne balaie cependant pas la médiation humaine mais permet peut-être au contraire de renouveler ses formes.