Bibliothèques, accessibilité et numérique

Journée d’étude Arald / Médiathèque Valentin-Haüy - Bibliothèque municipale de Lyon, 5 mars 2015

Marion Ringot

Le 5 mars 2015 s’est déroulée dans l’auditorium de la bibliothèque municipale de Lyon une journée d’étude organisée par l’Arald et la médiathèque Valentin-Haüy sur le thème : « Bibliothèques, accessibilité et numérique ». En ouverture de la journée, Gilles Éboli, directeur de la BmL et président de l’Arald, a rappelé que l’agence régionale avait publié en 2010 le guide« Bibliothèques et handicap : accueillir tous les publics ».

Alors que les dispositifs réglementaires incitent, accompagnent et rendent obligatoire l’accessibilité numérique des outils et des contenus, l’offre documentaire et les services adaptés restent aujourd’hui très limités. Diverses enquêtes pointent l’écart existant entre accessibilité déclarée et accessibilité réelle. Cette journée avait donc pour but de donner des clés aux professionnels de la lecture publique par des rappels sur la réglementation et des exemples de partenariats. C’est sur un appel à un travail plus collaboratif que la journée s’est conclue.

Le dispositif légal : entre incitation et obligation

Vanessa Van Atten, chargée de mission « Publics empêchés », a présenté les projets portés par le Service du livre et de la lecture (SLL, ministère de la Culture).

L’exception au droit d’auteur et ses évolutions à venir

La loi DADVSI et ses décrets d’application 1 permettent à des structures agréées, au titre de l’exception handicap, d’obtenir des éditeurs les fichiers sources permettant l’adaptation plus rapide des œuvres en formats accessibles. C’est la Bibliothèque nationale de France, via Platon (PLAteforme de Transfert des Œuvres Numériques), qui sécurise la transmission des fichiers. Ces structures peuvent ensuite transmettre les fichiers adaptés aux bénéficiaires de cette exception (personnes titulaires de la carte d’invalidité ou reconnues sur avis médical comme empêchées de lire après correction).

Ce dispositif a permis, depuis son ouverture en 2011, l’adaptation de 8 000 œuvres par 40 structures agréées, avec la collaboration de 700 groupes éditoriaux. Un rapport de 2013 a émis une série de recommandations pour faire évoluer l’exception handicap, parmi lesquelles l’ouverture des publics bénéficiaires aux « dys » (personnes atteintes de dyslexie, dyspraxie). L’amélioration de l’activité d’adaptation sera incitée par la mutualisation, ainsi que, sous certaines conditions 2, par l’échange de fichiers numériques adaptés entre pays.

Pour une édition numérique nativement accessible

Malgré ces dispositifs, le nombre de titres accessibles aux personnes en situation de handicap reste marginal. En dépit de leur engagement, les structures agréées, souvent petites et associatives, peinent à offrir 10 % de l’offre actuelle imprimée.

Une étude sur les modèles économiques de l’édition nativement accessible devrait être prochainement publiée. La généralisation du format Epub3 comme norme du livre numérique permettrait aux personnes en situation de handicap d’accéder à l’offre commerciale. Cela serait une étape importante pour les associations engagées dans les consortiums internationaux, ici l’IDPF qui publie le standard Epub.

De plus, le SLL réfléchit actuellement à la définition d’un label d’accessibilité des œuvres et des plateformes.

L’(in)accessibilité numérique des services de communication

Marc Maisonneuve, consultant, a présenté les résultats de l'étude « Accessibilité numérique des portails de bibliothèque » menée en 2014 par Tosca et PixFL, en coopération avec BrailleNet et le ministère de la Culture et de la Communication. Cette enquête structurée en deux volets, l’un quantitatif, l’autre qualitatif, fait état de l’inaccessibilité générale des portails de bibliothèque, alors même que l'accessibilité des services de communication publique en ligne est obligatoire depuis 2011 pour les services de l'État, et depuis 2012 pour ceux des collectivités territoriales.

Le Référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA) définit l’attestation de conformité que doit produire tout administrateur d’un service en ligne public. L’enquête montre qu’aucun des 133 portails de bibliothèque étudiés ne produit d’attestation. Il semblerait que cela soit plus une question de méconnaissance que de moyens car l’échantillon était majoritairement constitué par des structures plutôt bien dotées (nationales, ou de type B1 3).

L’enquête qualitative permet, de manière plus pédagogique, d’illustrer les bonnes pratiques. La démarche d’accessibilité doit s’inscrire dès le projet initial par le choix d’une charte graphique et d’un OPAC accessibles. Prendre en compte l’accessibilité a posterioris’avère toujours plus onéreux. La formation et la sensibilisation de tous les contributeurs sont ensuite nécessaires pour pérenniser le projet.

Cette enquête-baromètre est appelée à être reconduite régulièrement pour mesurer les évolutions.

Les interventions des participants témoignaient des inquiétudes dues aux contraintes extérieures, même quand l’accessibilité est inscrite très tôt dans le projet, car elle s’avère souvent renvoyée de service en service (DSI, affaires sociales…). Marc Maisonneuve, rappelant son article paru dans le BBF 4, en a appelé à une démarche collective pour faire plier les éditeurs de logiciels métiers qui déclarent souvent vendre des OPAC accessibles qui se révèlent contraires au RGAA 5.

Afin d’accompagner les professionnels, le SLL publie une série de fiches sur le numérique en bibliothèque 6. Courant 2015 devrait être publiée une fiche consacrée à l’accessibilité numérique présentant les besoins et les usages des publics empêchés, l’accessibilité des contenus, des services, et les outils de médiation et d’accompagnement.

Bibliothèque spécialisée et dispositifs inclusifs

Les bibliothèques se doivent de concevoir un projet de service incluant la dimension de l’accessibilité, en se centrant sur l’usager. Des pistes de réflexion nous ont été données par les différents intervenants.

La médiathèque de l’AVH et ses services

Luc Maumet, responsable de la médiathèque de l’Association Valentin Haüy (AVH), a présenté l’activité de la structure, sur place et à distance, en analogique et en numérique.

Située à Paris, la médiathèque a, en 2014, prêté 170 000 documents adaptés, dont 96 % au format numérique, à 4 800 emprunteurs actifs. La majorité de ces prêts sont des livres audio structurés au format Daisy. Ce format ouvert, créé en 1997 par la section « for the blind people » de l’IFLA, est une norme mondiale d’enregistrement et de conception d’appareils de lecture.

La production généralisée de documents en voix de synthèse au format Daisy - combinée à la récupération des fichiers via Platon - laisse espérer une augmentation rapide de l’offre adaptée.

Depuis 2013, la bibliothèque numérique Éole permet aux bénéficiaires de l’exception handicap de télécharger gratuitement des livres audio Daisy et des livres en braille numérique.

La médiathèque s’est engagée plus récemment dans des partenariats avec les bibliothèques publiques par l’opération« Daisy dans vos bibliothèques ». L’opération, qui peut être subventionnée par le SLL, permet aux bibliothèques publiques de proposer à leurs usagers empêchés des lecteurs Daisy, des CD et un accès illimité à Éole. L’AVH, par son expertise, aide les bibliothèques à investir la réflexion sur les publics en situation de handicap, qui ne doit pas être cantonnée au travail de bibliothèques spécialisées et/ou associatives.

L’espace Médiavue de Chambéry :
un espace dédié dans une bibliothèque publique

En plus de proposer des outils adaptés (logiciels de revue d’écran, plage braille, embosseuse…), l’espace Médiavue de la BM de Chambéry a conclu un partenariat avec l’AVH. Ainsi, les personnes en situation de handicap peuvent s’adresser localement à des bibliothécaires sensibilisés, qui pourront les accompagner, selon leur degré d’autonomie, dans la découverte de l’offre numérique accessible.

Pour inclure plus largement cet espace dédié dans la vie de la bibliothèque, sa responsable, Yasmina Crabières, a plusieurs fois repris l’expression « faire feu de tout bois ». Ainsi, le rangement des collections de l’espace est assuré par tous les collègues de la bibliothèque. De même, les événements culturels proposés par la médiathèque s’accompagnent de sélection de documents accessibles.

L’espace numérique comme porte ouverte de la bibliothèque :
l’exemple de la Bibliothèque municipale de Lyon

Carole Duguy, médiatrice numérique, a illustré dans un dernier temps les actions menées par la BmL pour les personnes en situation de handicap.

Le positionnement a été tout de suite affirmé : le numérique n’est qu’un outil, qui permet un accès facilité aux ressources, à la production et à l’échange de contenu, à la communication. L’achat de matériel, les accompagnements individuels et collectifs, ne se révèlent pertinents que réfléchis dans un projet plus large. La localisation du poste dédié, à l’entrée de l’espace, permet à l’ensemble des usagers de découvrir les potentialités et l’adaptation de l’outil numérique.

Alors qu’un partenariat avait été développé entre l’espace numérique et la cité scolaire René-Pellet de Villeurbanne, les élèves déficients visuels participent maintenant au prix ado de la BmL, le « Vif d’or ». De même, un partenariat autour de la conception d’un site web pour le cercle lyonnais des sourds a permis une ouverture de la bibliothèque à la culture sourde.

En conclusion, cette journée illustrait de manière dynamique, convaincue et convaincante, la nécessité de continuer à faire évoluer l’accueil des publics éloignés, au profit de l’accès au savoir de tous. Les bibliothèques publiques, par le développement de compétences, de partenariats, et en communiquant, se doivent de devenir des lieux plus inclusifs. Pour reprendre une expression de Luc Maumet, l’effet de seuil sera franchi quand les services dédiés seront connus de tous. La collaboration professionnelle, plus structurée à l’échelle régionale ou nationale, est nécessaire pour que les expérimentations faites localement profitent à tous.