Microtournée
Bibliobus avec artiste embarqué
Des musiciens présents dans les tournées du bibliobus de la Médiathèque départementale du Haut-Rhin… Voilà qui permet un partage très original et varié entre les publics, les musiciens et les professionnels des bibliothèques. Les habitudes de tout le monde s’en trouvent modifiées et ce sont autant de réinventions et de découvertes mutuelles qui se développent. Ces « voyages sonores » sont enregistrés puis mis en ligne, dans un mouvement d’échange particulièrement créatif.
The Haut-Rhin library bus is now touring its corner of eastern France with musicians on board. This original experiment is bringing music to new audiences, sparking stimulating exchanges between users, musicians, and library staff, changing attitudes, perspectives, and habits all around. The "sound journeys" are recorded and made available online, in a particularly fruitful and creative three-way dialogue.
Mercredi 7 mai 2014, petit matin pluvieux, Anne Schlick, musicienne du Val d’Argent, embarque avec son nickelharpa dans le bibliobus de la tournée 004 en compagnie d’Yvan, le chauffeur, et de Nathalie, la bibliothécaire. En plus des réservations des lecteurs et des ordinateurs de prêts/retours, l’équipage emporte un étrange ustensile coiffé d’une perruque rouge : le micro-perche qui va servir à collecter les sons de cette 28e microtournée.
Petit retour aux origines. Printemps 2011, je venais de prendre mes fonctions à la médiathèque départementale du Haut-Rhin. À bord du train express Strasbourg-Bâle qui m’emmène au travail, je raconte à mon ami Thomas Joseph mes premières tournées de bibliobus. J’édulcore à peine, parle de ce service public aux aspects de petit « road-movie », de la météo, des paysages, des lieux, des gens… Intrigué, il demande s’il pourrait m’accompagner à l’occasion.
Il y a effectivement une troisième place dans les bus mais il fallait trouver un prétexte. Il me propose de venir avec sa guitare et de chanter pour les lecteurs. La direction est partante. Le 26 mai, Thomas Joseph embarque dans le bus G, direction l’extrême sud du département : Leymen, la frontière suisse. Je m’équipe d’un enregistreur pour garder une trace de cette première microtournée.
Cette expérience m’a permis de mettre au point l’animation : un artiste embarque dans un bibliobus et cohabite avec l’équipage et les lecteurs le temps d’une tournée. Il a carte blanche et s’approprie l’espace du bus et l’environnement des stationnements comme il l’entend.
Peu après, toujours dans le train, je discutais du projet avec Clémentine de la Fédération Hiéro. Spontanément, elle m’a proposé de contacter See You Colette, une jeune chanteuse/guitariste qui lui avait fait une forte impression lors d’une de ses toutes premières prestations au Grillen (salle de musiques actuelles de Colmar). Elle a été la vedette de la microtournée n° 2.
Le choix des artistes se fait surtout par le bouche à oreille. Un bon moyen pour découvrir la richesse et la diversité des artistes/musiciens présents sur un territoire. Qu’ils soient amateurs ou professionnels, les microtournées sont un moyen de leur donner une visibilité et de soutenir leur activité.
L’attitude des artistes embarqués est très différente d’une tournée à l’autre. Certains sont volontiers animateurs, d’autres sont plus réservés. Certains restent confinés dans le bus, d’autres visitent les environs, jouent un morceau seul dans l’église, rassemblent un groupe de lecteurs autour d’eux, s’enregistrent dans les allées du cimetière ou dans la cour de l’école. Certains travaillent leurs techniques, d’autres sont pédagogues, racontent l’histoire de leurs instruments.
Quelle que soit leur attitude, le bibliobus et son environnement deviennent des espaces d’expression originaux : une situation permettant une grande proximité entre le public et l’artiste et qui peut conduire à d’intéressants moments d’échange, totalement incongrus parfois. Anecdote : à Gommersdorf, Aurel King, bluesman des Vosges du Nord, joue un morceau devant trois dindons qui se mettent à vocaliser en rythme sous l’œil médusé de leur maîtresse qui jardinait à côté.
Après les premiers artistes choisis dans un registre pop-folk un peu conventionnel, les invitations sont allées vers des instrumentistes et des styles plus atypiques : instruments du monde, percussions contemporaines, électro-ambient, weissenborn, vielle à roue, harpe, chant lyrique, violoncelle, hang… Toute forme musicale, tout instrument est envisageable, sauf le piano peut-être ou l’orgue d’église. Quoique…
Du point de vue du public, les réactions sont très diverses. Souvent agréablement surpris, intrigués par un instrument, un style musical, la personnalité d’un artiste, les lecteurs peuvent aussi sembler totalement indifférents, en particulier aux heures de pointe. Passées les turbulences, l’intérêt peut revenir, souvent par le biais des enfants, plus curieux, moins réservés. Une des seules réactions négatives a été celle d’une lectrice d’un certain âge qui m’a demandé : « Il ne peut pas jouer sa musique ailleurs que dans le bus, celui-là ? » Elle parlait d’un joueur d’Electroplankton, une application de console de jeux portative qui génère une musique ambiante étonnante… peut-être un peu crispante par moments.
Parfois, les conditions permettent de prévoir un mini-concert en fin de tournée. Le tout premier, Thomas Joseph, est passé complètement inaperçu. L’artiste a joué quelques morceaux juste pour l’équipage. Nous les avons enregistrés et les conservons précieusement. Plus récemment, on a vu des lecteurs d’autres stations, voire d’autres tournées, se déplacer spécialement pour assister à un mini-concert, toujours trop court selon l’avis général.
Pour les équipages, emmener un artiste n’est pas forcément évident. Des réticences naturelles se sont fait sentir dans les premiers temps. Mais quelques-uns ont joué le jeu et ont répercuté des aspects positifs tels que sortir de la routine, porter un regard nouveau sur ce que représente une tournée, rencontrer et partager la journée d’un musicien. Pour la dernière saison, une majorité enthousiaste d’équipages a assisté à la séance de distribution des microtournées, qui a même tourné « mercato ».
Je reviens sur la perruque rouge. Il s’agit de la bonnette coupe-vent de notre micro. Avec les nouvelles technologies numériques, le collectage, le montage et la diffusion de sons de bonne qualité sont désormais à la portée de tout le monde. Les premiers enregistreurs de qualité valent moins d’une centaine d’euros, des logiciels de montage audio performants sont téléchargeables gratuitement et légalement (Audacity), et des plates-formes de partage de fichiers sonores telles que SoundCloud permettent de mettre les productions en ligne et de les diffuser sans frais.
À ce jour, les microtournées ont permis la création d’une trentaine de « voyages sonores ». Ils sont consultables en ligne via le blog microtournees.blogspot.fr.
Prochainement, les archives sonores des microtournées vont servir à la réalisation d’un instrumentarium virtuel consultable sur la page musique du portail Calice 68. Il se présentera sous la forme d’une carte du département piquée d’une cinquantaine de balises sonores, le nombre d’instruments enregistrés à ce jour lors des microtournées.
Jusqu’à présent, les artistes invités n’ont jamais tourné en bibliobus au préalable et n’ont qu’une vague idée de ce qui va se passer pendant la journée. Même si l’enjeu n’est pas énorme, ils jouent sans filet. Cela permet une certaine spontanéité. Le scénario n’est pas préparé, les artistes réagissent d’instinct, au fur et à mesure. Cependant, certains ont fait part des possibilités que leur inspirait ce format d’expression. Pour la saison prochaine, nous allons réinviter certains musiciens/compositeurs et leur proposer de faire plusieurs microtournées groupées qui seront envisagées comme de petites résidences d’artiste avec création d’œuvres originales à la clé.
Cette animation permet aux lecteurs d’envisager autrement les espaces de prêt que sont les bibliobus. Ils ne sont plus seulement une grande caisse à roulette remplie de documents qui vient près de chez eux une fois par mois.