60e Congrès de l’ABF

Paris, 19-21 juin 2014

Anne-Marie Bertrand

Le soixantième congrès de l’ABF s’est déroulé à Paris du 19 au 21 juin 2014, sur le thème « Bibliothèques, nouveaux métiers, nouvelles compétences », thème décliné en trois cycles de rencontres : « Nouveaux profils, nouvelles représentations », « Les frontières du métier » et « Compétences et formations ». À côté de cet axe structurant, étaient organisées des manifestations plus ou moins traditionnelles, le salon professionnel, la conférence inaugurale, les rencontres spécialisées (avec l’IFLA, avec le MOTif, avec le salon de Montreuil, avec l’Enssib…), la séance « Questions-réponses » avec les ministères, les débats d’actualité, les pauses café et cocktails plus ou moins courus et le concours de selfies (organisé par l’ABF, remporté par Raphaëlle Bats, de l’Enssib).

À noter deux événements à saluer : l’accompagnement de la ligue d’improvisation au fil du congrès et l’intervention d’ouverture par Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, qui exprimait ainsi un nouveau signe d’intérêt pour les bibliothèques, après son discours au Salon du livre de Paris, en mars, qui faisait de 2014 « l’année des bibliothèques » – Anne Verneuil, présidente de l’ABF, se réjouissait de la venue de la ministre mais soulignait que, pour les bibliothèques, « une seule année, c’est bien peu ».

Aurélie Filipetti, intervenant quelques jours après les élections européennes, avait coloré son intervention d’un arrière-fond politique à la fois volontariste et alarmé : les bibliothèques sont, dit-elle, « un espace d’émancipation, d’apprentissage, de découverte, plus que jamais dans ces temps de montée de la xénophobie et du racisme ». « Il faut continuer à faire des bibliothèques des piliers de la démocratie. » Elle annonça la signature d’un accord sur le prêt de livres numériques en bibliothèque (fin 2014), un document de recommandation sur les horaires d’ouverture en partenariat avec l’ABF, à l’automne, et le lancement d’une fête de la littérature jeunesse en 2015.

Dans sa brillante conférence inaugurale, le sociologue Claude Dubar tenta une périodisation de l’évolution de l’identité contemporaine du métier de bibliothécaire : identité savante dans les années 1960, mâtinée de modèle républicain et d’expertise sur les livres – on parle de service public, de citoyen ; identité militante dans les années 1970-1980, anti-autoritaire, anti-institutionnelle – on parle du service au public, de l’usager ; depuis les années 1990, identité composite, mêlée de technique et de management – on parle de service du public, du client. Après avoir rappelé que la formation continue permet de « relier des services d’action (l’expérience) et des savoirs théoriques », il fit un développement critique sur la différence entre des qualifications (collectives) et des compétences (individuelles) et conclut sur « les crises identitaires récurrentes » que traversent les bibliothécaires (et qui n’ont pas du tout l’air de l’étonner) : crises issues des nouvelles pratiques (en particulier, du numérique), du brouillage de l’image des professionnels et de la tension entre deux pôles, d’une part l’aspiration à la reconnaissance de la professionnalité (l’accomplissement de soi dans cette profession), d’autre part l’injonction au professionnalisme comme exigence de qualité (forcément gestionnaire). Tension fructueuse ? L’avenir le dira.

Difficile, évidemment, de rendre compte des multiples tables rondes, très suivies et très appréciées. Quelques mots sur « Les dynamiques individuelles et collectives », titre mystérieux qui s’avéra traiter de l’accompagnement au changement, de la mobilisation des équipes, de la création d’une culture d’entreprise – comment « faire travailler les collègues les uns avec les autres », « le directeur doit être un très grand pédagogue » (Isabelle Rindzunski, BM Ivry), il faut savoir harmoniser les pratiques, « lutter contre la sur-qualité », « le plus important, c’est gérer le temps, la durée, le rythme, les moments clés du changement » (Anne-Marie Bock, BDP du Bas-Rhin).

Quelques mots des « Représentations aux yeux des décideurs », titre biaisé qui s’avéra recouvrir les relations entre décideurs et bibliothécaires. Décideur universitaire, Étienne Baumgartner (vice-président de l’université de Lorraine), dressa un tableau plutôt sombre de ces rapports, qu’il décrivit d’abord comme une absence de rapports, sauf « une fois par an, au moment du budget », puis comme des embryons de dialogues ou de collaborations qu’il faudrait développer pour, finalement, reconnaître que la documentation ne figurait pas dans le projet d’établissement. Décideur politique, Danielle Buys (vice-présidente de Toulouse Métropole et membre du bureau de la FNCC) dressa un paysage plus riant (« La rencontre entre les professionnels et les élus est indispensable pour mener des projets », il faut une « confrontation d’idées et d’espoirs ») et porta un discours très politique sur la culture et les bibliothèques (« la culture doit être au cœur du combat politique », « la bibliothèque doit redevenir un sujet politique et un projet de société ») avant de conclure sur l’importance du territoire, où travailler en réseau, « inscrire le livre dans l’espace public », et, pour la bibliothèque, « devenir une force de proposition dans le projet éducatif ».

Quelques mots sur la rencontre traditionnelle avec les administrations, que Véronique Heurtematte (Livres Hebdo) anima courageusement, affrontant réponses convenues ou pirouettes – on sortit de là sans savoir si c’était les BU ou les BMVR que les rieurs voulaient confier aux Régions. Les intervenants, Alain Abécassis pour l’Enseignement supérieur et Nicolas Georges pour la Culture, naviguèrent habilement entre les écueils des difficultés budgétaires et de la réforme territoriale pour tenter de rassurer une assistance plutôt inquiète et légèrement sceptique.

Dans les allées du salon, beaucoup de jeunes collègues, beaucoup de dialogues, beaucoup de cafés, des rires. Un congrès réussi.

Rendez-vous l’an prochain à Strasbourg.