Une bibliothèque dans la ville

La place de la bibliothèque dans la politique culturelle

Édouard Philippe

Françoise Legendre

Entretien avec Édouard Philippe, maire du Havre, sur la place de la bibliothèque dans la politique culturelle.

Interview with Edouard Philippe, mayor of Le Havre, on the place of libraries in his cultural policy.

Entretien avec Édouard Philippe, maire du Havre, réalisé pour le BBF par Françoise Legendre en février 2014.

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Édouard Philippe (photo : © Éric Houri)

Alors que l’on parle partout d’internet, de nouvelles technologies, d’accès à distance, qu’est-ce qui fait que vous avez entrepris un ambitieux chantier de réhabilitation pour ouvrir un lieu bibliothèque ?

Édouard Philippe : Les technologies, internet, les accès à distance constituent des possibilités formidables d’accès au savoir, aux œuvres, à l’information et à la lecture. Il n’empêche que les possibilités de rencontre avec la culture, et plus spécifiquement avec la lecture, dans des lieux identifiés dans la ville, des lieux conviviaux qui offrent de larges choix de livres, de presse, de musique et de films, mais aussi des services de qualité aux habitants de tous âges et de tout niveau d’instruction, restent à mon sens indispensables pour mettre en œuvre une véritable politique de la lecture : oui, Le Havre a entrepris un chantier ambitieux de bibliothèque dans un bâtiment emblématique d’Oscar Niemeyer, le Volcan, mais dans le même temps, nous ouvrons des relais lecture, petites unités de lecture publique réparties sur le territoire de la ville, complémentaires au réseau des bibliothèques de quartiers – nous comptons d’ailleurs consolider deux d’entre elles – tout en maintenant le bibliobus urbain. Ce n’est donc pas un lieu, mais plusieurs qui sont en développement au Havre !

Les lieux de lecture publique restent en effet indispensables non seulement pour favoriser les rencontres avec la lecture sous toutes ses formes, mais aussi pour répondre aux différents besoins d’accompagnement à la recherche documentaire, provoquer des sociabilités, rompre les solitudes, stimuler l’écriture, les échanges, les débats, tout en étant aussi des endroits où chacun peut s’installer, travailler, lire ou… rêver en toute tranquillité : très important dans notre monde bruyant et toujours pressé !

Demain plus qu’hier, les gens vont rechercher les bibliothèques : elles savent conjuguer un vrai rôle culturel et documentaire, des interventions d’ordre éducatif et social, une logique de construction citoyenne, et des services innovants.

Le Havre revêt une forte dimension ouvrière ; ville portuaire, elle est aussi fortement métissée et diverse : comment cela se traduit-il sur le plan culturel ? Y a-t-il une place particulière faite à la culture populaire ?

É. P. : La culture au Havre a toujours été diverse, exigeante et populaire : des impressionnistes à Perret, de Queneau au polar, du rock à la première maison de la culture inaugurée en 1961 par Malraux…

Aujourd’hui, cette diversité est toujours vivante, entre troupes de théâtre et Scène nationale, galeries de peinture et Muma, festivals musicaux comme MoZ’aïque et Ouest Park, ou littéraires comme Polar à la plage et, bien sûr, Le Goût des autres. Ce jeune festival littéraire a d’ailleurs été créé par la Ville en 2012 sur une idée du Conseil de la diversité : il s’agit de fêter, tout près du port, la diversité des peuples, des styles et des idées, en pleine cohérence avec la belle diversité présente au Havre où vivent des communautés venues notamment d’Algérie, du Maroc, du Liban, du Congo, de Turquie, du Sénégal, de Tunisie. En pleine cohérence aussi avec notre ambition de favoriser la cohésion sociale et de prendre en compte la diversité sous toutes ses formes, dans une ville qui met tout en œuvre pour résorber le chômage, l’illettrisme et l’échec scolaire… Autour des littératures de la négritude et de la grande figure d’Aimé Césaire en 2013 ou de « 1914-2014 et les littératures de la réconciliation » en 2014, ce festival est un beau moment de culture populaire en ce qu’il propose des formes artistiques multiples qui permettent aux publics les plus larges, enfants, jeunes et adultes, de goûter avec bonheur une expression culturelle exigeante passant par des lectures à voix haute, des formes théâtrales, de la musique, des débats, des formes festives, ludiques ou plus savantes.

Le silence absolu observé par plus de 500 personnes – dont une bonne part venue pour écouter le concert de l’Orchestre national de Barbès prévu un peu plus tard dans la soirée, durant la lecture de L’Étranger de Camus par le comédien Éric Caravaca lors de l’ouverture du « Goût des autres » en 2012, me paraît bien représenter ce qu’on peut entendre, au Havre comme ailleurs, par culture populaire.

Quelle place occupe la bibliothèque dans votre politique culturelle ?

É. P. : La bibliothèque participe bien sûr fortement de la politique de la lecture que nous avons impulsée et que nous voulons développer, politique de la lecture qui constitue précisément une priorité de la politique municipale. Mettre en place des bibliothèques attractives, capables d’offrir les services, les œuvres, les accès au savoir et d’évoluer avec les usages des habitants : c’est essentiel.

Mais une politique de la lecture ne peut se réduire aux bibliothèques, même si le réseau de lecture publique en constitue un pivot et une pièce maîtresse. La lecture, c’est aussi l’affaire d’institutions diverses : l’Éducation nationale, l’université, les écoles d’art, les musées, les conservatoires, et de tous les acteurs du livre : libraires bien sûr, éditeurs, auteurs, de multiples associations impliquées dans l’action culturelle et sociale, l’insertion, etc.

La politique culturelle peut, doit être irriguée et enrichie par des propositions et actions qui touchent à la lecture. Un exemple : lorsque le Pompidou mobile s’est installé au Havre à l’hiver 2013, au cœur d’un quartier populaire, un point « livres nomades » a été installé de façon à ce que les visiteurs – et ils sont venus très nombreux, notamment les jeunes de ce quartier – puissent feuilleter, lire sur place ou emporter des livres, sans aucune formalité et gratuitement. Il s’agit d’un dispositif très simple que nous avons mis en place dans plus d’une soixantaine de points de la ville – commerçants, bars, laveries, salles d’attente de toutes sortes, piscines, etc., et qui participe non seulement de la politique culturelle mais aussi d’un projet sur le territoire urbain.

Un autre exemple : c’est la bibliothèque qui a organisé, en lien étroit avec les libraires de la ville, une offre de livres, des venues d’auteurs et des animations lecture au sein de ce grand événement populaire qu’est le départ de la Transat Jacques Vabre : la bibliothèque, en tant qu’acteur capable de porter la lecture sous toutes ses formes hors de ses murs, occupe donc une place très importante.

Quelle place la bibliothèque peut-elle occuper dans l’offre culturelle aujourd’hui, entre culture légitime, culture de masse, culture médiatique et nouvelles cultures (urbaines, jeunes) ?

É. P. : La bibliothèque, plus généralement les lieux de lecture publique, doivent à la fois prendre en compte les nouvelles formes de culture, les attentes les plus diverses des habitants, apporter les réponses aux besoins documentaires et culturels mais aussi proposer les moyens d’échanges, d’expression et de création, tant aux enfants, aux jeunes, qu’aux adultes qui peuvent être en recherche d’emploi, érudits, étudiants, personnes très âgées de toutes origines sociales et culturelles.

Cela implique une recherche d’équilibre, un mouvement permanent, des remises en cause régulières, une diversité de l’offre, qu’il s’agisse de livres, de presse, de musique, de films, de ressources numériques, mais aussi de types de lieux et d’ambiances : c’est pour cela que le projet de bibliothèque qui s’installera dans le bâtiment d’Oscar Niemeyer offrira des espaces à la fois cohérents et très spécifiques pour certains. C’est pour cela que l’attention doit être apportée aux attentes et réactions des habitants dans les quartiers, pour que les bibliothèques, les relais lecture et toutes les actions et les partenariats mis en œuvre rencontrent les goûts des habitants, mais aussi surprennent, dérangent, incitent à s’interroger, aident à l’épanouissement de chacun, et développent le goût des autres !

Le livre a-t-il encore une place prépondérante dans ces projets ?

É. P. : Oui, même si je suis personnellement un usager permanent de la lecture sur outils numériques, même si les usages changent et doivent être absolument pris en compte, le livre, objet physique, permanent, qu’on tient en main, qu’on peut retrouver, partager et prêter si facilement, garde une place très importante. Il offre un espace spécifique d’organisation des textes et des images – je pense tout particulièrement aux livres pour enfants – et ne disparaîtra pas si facilement, comme cela nous est annoncé pour les cinq ans à venir depuis plus d’une vingtaine d’années !