Vingt ans après : les journées Abes 2014

Montpellier, 20-21 mai 2014

Nicolas Di Méo

Les journées Abes 2014 se sont déroulées les 20 et 21 mai derniers. Elles ont été l’occasion de célébrer les vingt ans de l’agence, fondée en 1994, et de faire le point sur l’évolution de ses missions, dans un contexte marqué par le développement d’importants projets de mutualisation. La « voix de l’histoire » a retenti dans l’enceinte du Corum de Montpellier pour rappeler les principales réalisations des deux dernières décennies, depuis les premiers pas du réseau Sudoc jusqu’aux applications les plus récentes. Tout en réservant au bilan la place qui lui est due lors de tout anniversaire, les journées, cependant, ont permis de présenter – et de discuter – les enjeux des prochaines années.

Une place centrale dans le paysage de l’IST

Sur le plan institutionnel, 2013 a été marquée par le départ de Raymond Bérard et l’arrivée de Jérôme Kalfon à la tête de l’Abes, mais aussi par la signature du premier contrat pluriannuel de l’établissement, couvrant la période 2013-2017. Les missions que l’État lui confie au nom de la communauté de l’ESR sont donc désormais inscrites dans un document contractuel distinguant deux grands axes d’intervention. L’agence a en effet pour vocation :

– de « jouer un rôle majeur en tant que structure de valorisation de la production scientifique des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche » ;

– de « porter les projets de mutualisation des établissements partenaires ».

Ce cadre stratégique confirme, s’il en était besoin, la place centrale que l’Abes occupe dans le paysage de l’IST française et la création de trois nouveaux emplois à l’issue des négociations contractuelles a renforcé les moyens dont elle dispose.

Une fois de plus, trois mots-clés bien connus des acteurs de la profession pourraient sinon résumer, du moins donner le ton de l’édition 2014 des Jabes : réseau(x), interopérabilité, mutualisation. Dans son intervention, Alain Abécassis, chef du service de la coordination stratégique des territoires au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR), a plaidé en faveur d’une intégration toujours plus grande des structures documentaires au sein des politiques universitaires, afin que les fonctions portées par les bibliothèques soient mieux prises en compte à la fois dans les projets de recherche et dans les projets d’innovation pédagogique. Il a également souligné le succès de BSN, qui est devenue en quelques années un cadre de travail incontournable permettant des coopérations et des mutualisations ambitieuses.

Chargée de négocier l’acquisition des ressources numériques en licence nationale dans le cadre d’Istex (BSN 1), l’Abes travaille aussi à leur signalement par le biais de son projet de service de données de référence Bacon (Base de connaissances nationale). Le signalement, en effet, ne peut s’effectuer de la même manière pour les ressources électroniques et pour les ressources imprimées, car la quantité de documents, en ce qui concerne les premières, est trop importante. L’objectif est donc de retravailler automatiquement les métadonnées fournies par les éditeurs, qui ne sont pas toujours d’une qualité satisfaisante, afin qu’elles soient ensuite reversées dans le Sudoc et que les établissements puissent s’exemplariser.

L’interopérabilité en question

Invité à prononcer la conférence inaugurale de ces journées, Lars G. Svensson, qui travaille au service informatique de la Bibliothèque nationale allemande (DNB), a, quant à lui, posé une double question, volontairement provocatrice : l’interopérabilité est-elle nécessaire ? Et si oui, jusqu’à quel point ? La première réponse, bien sûr, a été positive ; l’économie de la connaissance et, d’une manière générale, la société de l’information exigent de créer des liens, des ponts, des circuits de communication entre les différents silos contenant les informations dont nous avons quotidiennement besoin. Mais la seconde réponse s’est voulue prudente : l’inter­opérabilité complète de tous les systèmes ne pouvant être atteinte, tout dépend du contexte ; en d’autres termes, ce sont la nature et les exigences des projets que l’on souhaite mener qui doivent déterminer le degré d’interopérabilité recherchée.

L’Abes, dans cette perspective, a lancé le projet Qualinca (Qualité et interopérabilité de grands catalogues documentaires), pour lequel un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) a été obtenu sur la période 2012-2015. Outil de liage, Qualinca s’intéresse aux liens externes (entre catalogues différents) et, surtout, aux liens internes (à l’intérieur d’un même catalogue), notamment entre notices bibliographiques et notices d’autorité. L’objectif est de parvenir à une ouverture toujours plus grande des données.

Toutefois, s’il est un projet qui domine l’actualité de l’Abes, comme les interventions, les échanges et les débats au cours de ces journées l’ont une nouvelle fois montré, c’est bien celui de système de gestion de bibliothèque mutualisé (SGBm) – ou plutôt, devrait-on dire, de systèmes de gestion de bibliothèque mutualisés (au pluriel), car on ne s’achemine plus vers une solution unique, ce qui était encore l’objectif affiché l’an dernier, mais vers une pluralité de solutions et de fournisseurs dont les services devront être articulés de la manière la plus harmonieuse possible afin que la notion de mutualisation conserve tout son sens.

Le projet de SGBm

Le projet SGBm, qui figure en bonne place dans le contrat quinquennal liant l’Abes à l’État, est suffisamment connu pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en rappeler trop longuement les enjeux. Il s’agit de remplacer les SIGB actuels, conçus exclusivement à destination des bibliothécaires, fournis sans données bibliographiques et dont beaucoup arriveront bientôt à obsolescence, par des solutions en cloud computing fournies avec de très nombreuses données et incluant des services à destination du public, notamment des outils de découverte.

En 2013, le scénario privilégié distinguait deux étapes : d’abord, une migration des systèmes locaux dans le SGBm retenu ; ensuite, éventuellement et sous certaines conditions, une migration du Sudoc sur la même plateforme. Aujourd’hui, si ces deux moments restent d’actualité, ils ont été complètement dissociés et la possibilité de recourir à une pluralité de prestataires est clairement envisagée. Les établissements intéressés par le choix d’un SGBm pourront rejoindre le projet par vagues successives, ce qui était déjà prévu auparavant ; à chaque fois, un nouveau marché sera attribué, si bien que des fournisseurs différents seront vraisemblablement amenés à coexister.

L’accord-cadre envisagé entre l’Abes et les douze établissements pilotes, présenté sur le site internet de l’agence (http://sgbm.abes.fr/2014/05/13/sgb-mutualise-et-evolution-du-sudoc-33-laccord-cadre-et-la-phase-pilote/), prévoit les grandes étapes suivantes :

  • fin juillet 2014 au plus tard : signature de la convention constitutive du groupement de commande coordonné par l’Abes ;
  • septembre 2014 : lancement de l’appel public à concurrence ;
  • novembre 2014 : première sélection des fournisseurs admis à participer au dialogue compétitif ;
  • de décembre 2014 à décembre 2015 : dialogue compétitif permettant de choisir les fournisseurs, de signer l’accord-cadre et de consolider les offres définitives en vue des marchés subséquents ;
  • avril 2016 : notification du premier marché subséquent (pour la migration des systèmes des établissements pilotes) ;
  • d’autres marchés subséquents (pour les autres établissements désireux de choisir un SGBm) pourront ensuite être conclus dans la limite des moyens alloués au projet et de la durée de l’accord-cadre (2015-2019).

La migration du Sudoc lui-même sur une nouvelle plateforme demeure, quant à elle, conditionnelle. Si elle intervient, ce ne sera que plus tard. Quelle que soit la solution retenue, toutefois, l’objectif est de construire un entrepôt de données national vers lequel pourront converger à la fois les données issues des SIGB « traditionnels », les données issues des différents SGBm et celles provenant d’autres bases de connaissances.

Comme l’ont montré les questions posées au cours des deux journées, ainsi que les discussions en marge des sessions, les inquiétudes suscitées par ce projet n’ont cependant pas toutes été dissipées ; mais elles semblent s’être déplacées, ou plutôt concentrées sur un point précis, capital il est vrai, celui du coût. Même si la prudence reste de mise, les doutes concernant la capacité des SGBm à remplir correctement leurs fonctions paraissent beaucoup moins vifs qu’il y a quelques années ; des réticences subsistent au sujet de la localisation des données, en particulier des données de gestion, mais l’intérêt de la mutualisation, qui devrait grandement faciliter les échanges de métadonnées, n’est pas remis en cause. Plus épineuse, en revanche, est la question financière. En l’absence d’estimations fiables, il est difficile de dire si les SGBm permettront vraiment de réaliser les économies d’échelle qui, au lancement du projet, constituaient l’un des principaux arguments en leur faveur. Du périmètre des différents marchés dépendront sans doute les tarifs des fournisseurs ; or dans un contexte de tension budgétaire extrême, l’argument du coût sera décisif auprès des décideurs. Il y a donc là une incertitude qu’il importe de lever rapidement – un verrou à faire sauter.