Observatoire des usages du numérique

Journée d’étude professionnelle à la BPI – 25 mars 2014

Véronique Mesguich

Le 25 mars dernier s’est déroulée à la BPI une journée d’étude et d’échanges autour des observatoires des usages numériques. Les divers ateliers qui se sont succédé ont permis aux participants d’échanger, de partager des retours d’expériences, et de découvrir des services innovants de médiation numérique. Car ce sont bien de nouvelles formes de médiation qu’il s’agit de co-construire et d’évaluer, à l’heure où les bibliothèques ne constituent plus un intermédiaire obligé pour l’accès aux ressources. La révolution numérique a généré de nouveaux usages dans l’accès, la consultation, le partage, la capitalisation des ressources : les études réalisées par les différents observatoires permettent de mesurer ces nouveaux usages, et constituent une aide précieuse dans la création de nouveaux services de médiation numérique. C’est donc conjointement et dans un esprit collaboratif que cette journée a été organisée par plusieurs observatoires couvrant un périmètre large : la BPI, la BnF, l’Enssib mais aussi le ­Médialab de Sciences Po ou le M@rsouin de la région Bretagne.

Après une introduction générale par Pierre Carbone et une présentation des différents observatoires organisateurs de la journée, plusieurs ateliers thématiques se sont déroulés.

Le premier atelier, animé par Christophe Evans, était consacré aux pratiques de lecture numérique : un sujet dont le périmètre n’est pas simple à délimiter. S’agit-il de pratiques de lecture ou d’écriture numérique, sachant que les deux activités ne sont plus dissociées autant qu’avant ? S’agit-il de livres « classiques » numérisés, ou de livres purement numériques ? Faut-il se limiter aux usages concernant le livre numérique, les tablettes ou liseuses, alors que la majorité des lectures numériques s’effectuent sur des supports non dédiés ? Cet atelier a suscité tout à la fois des doutes (sur la nature de la rupture, sur l’avenir des liseuses…) mais aussi des quasi-certitudes concernant l’aspect libératoire du numérique. Le numérique serait ainsi susceptible de libérer le lecteur et de lui offrir des voies inhabituelles d’accès à des ressources. C’est le cas du réseau social de lecteurs Babelio qui fait évoluer les modèles de prescription traditionnels et peut promouvoir des ouvrages ignorés par le milieu critique classique. Les études prouvent également que les usages sociaux de la lecture (lire pour s’évader, pour apprendre, pour le plaisir…) sont relativement peu impactés par le numérique. Les méthodologies utilisées pour décrire les comportements des lecteurs évoluent également. Dominique Boullier, du Médialab de Sciences Po, évoquait la question des gisements de données qui peuvent être exploitées grâce à des algorithmes pour effectuer des analyses pertinentes sans passer par les enquêtes classiques.). On passe ainsi de la représentativité à la variété.

En parallèle, un deuxième atelier évoquait la question de l’apport du public au travail scientifique. Cet atelier a permis de croiser des retours d’expérience autour de projets collaboratifs dans un service d’archives (Archives départementales de la Côte-d’Or), de fonds contributifs sur le web (BDIC), avec le point de vue de Wikimédia France représenté par Rémi Mathis. Les projets collaboratifs permettant au public d’intervenir vont créer un cercle vertueux dans lequel chacun trouve un bénéfice. Les facteurs clés de succès sont multiples : il s’agit de conjuguer un effet de masse critique des contributions, des actions de communication pour créer de la visibilité autour de la communauté, et une offre de services simples et intuitifs. Il existe bien sur des risques de « vandalisme » liés aux possibilités d’interventions anonymes, mais les contributeurs sont eux-mêmes acteurs de la régulation. Pour l’utilisateur, il n’est pas si difficile de s’y retrouver dans cette masse de données, car de nouveaux outils de filtrage apparaissent avec les débuts du web sémantique. D’autre part, les chercheurs sont tout à fait à même de faire le tri entre les données issues du crowdsourcing et le reste. La frontière est floue en revanche entre « amateur » et chercheur, dans les profils des contributeurs. La question qui se pose est celle du rôle de l’institution culturelle, et notamment des bibliothèques : sont-elles légitimes pour intervenir et valider les contenus ? En fait, leur rôle consiste surtout à sélectionner des sources fiables, favoriser l’indexation via des données d’autorité, et jouer les intermédiaires entre les contributeurs qui apportent les données et l’institution qui les valide.

L’utilisation de l’open data ouvre de nombreuses potentialités en bibliothèque et constituait le thème du troisième atelier. Les bibliothèques sont depuis longtemps auteures de données normées (mais pas toujours ouvertes), et sont dotées d’une vraie appétence pour les données et métadonnées.

Trois exemples d’usages ont fait l’objet d’une présentation. La bibliothèque des Champs Libres, à Rennes, a adopté une attitude « pragmatique et opportuniste » suite à la sollicitation de la collectivité pour l’ouverture et la réutilisation de différents jeux de données (fréquentation, prêt, ouverture.). Le bilan est mitigé, en raison entre autres de freins techniques et juridiques, ainsi que des limites constatées sur les données d’usage. À la BNU de Strasbourg, des données de contenus issus de la numérisation de fonds patrimoniaux ont été mises à disposition pour réutilisation sous licence Etalab. La mise en ligne gratuite s’est révélée plus intéressante qu’une solution payante lourde en matière de suivi et facturation.

La bibliothèque peut être active dans la réutilisation des données : c’est le cas de la médiathèque de Fresnes, dans le cadre de l’expérimentation Open Cat, qui récupère les données de data.bnf.fr en RDF pour enrichir ses propres données locales. La bibliothèque propose ainsi à ses lecteurs des données plus riches via le linked data, et cela constitue une opportunité pour la mise en place de nouveaux services pour le public. Les collections sortent des murs et gagnent en visibilité sur le web ; elles peuvent être liées à d’autres données, en dehors de la bibliothèque. Mais se présentent plusieurs difficultés d’ordre politique, juridique, économique, ainsi que des difficultés liées à la curation de données. L’open data constitue ainsi un champ d’expérimentation et de mesure d’usages intéressant, même s’il est difficile de délimiter le périmètre de l’open data culturel.

Enfin, en parallèle, le quatrième atelier étudiait la façon dont les usagers s’approprient les nouvelles formes d’accès. Muriel Amar a ainsi présenté trois expérimentations reflétant la dynamique de l’innovation. « Construire pour se promener le nez au vent au travers des données » : telle est la philosophie du moteur sensitif Culture Wok. L’utilisateur choisit des produits culturels en faisant varier le curseur sur une gamme d’émotions ou de sensations, en fonction de ses envies. Des partenariats ont été mis en place avec des bibliothèques, afin de faire le lien entre le moteur sensitif et les notices du catalogue.

Autre innovation, le « moteur par le livre » Small Demons propose un système d’analyse de textes qui fait ressortir des entités nommées (noms de lieux, personnes, musique, voire même plats…) à partir d’une indexation collaborative. L’objectif étant de favoriser la découverte et l’exploration. Enfin, la médiathèque Carré d’Art de Nîmes s’appuie sur des créations d’artistes numériques pour imaginer de nouveaux dispositifs de médiation culturelle. Son laboratoire des usages, « Labo carré », apporte un regard critique et éthique sur les usages du numérique.

On constate ainsi la diversité des usages numériques et la nécessité non seulement d’observation et d’études mais aussi d’accompagnement, de réflexions et de collaboration autour de ces questions. Dans ce vaste champ d’investigation, les bibliothèques, quelle que soit leur taille ou leur public, ont un rôle important à jouer.