Journée d’étude Elico-Couperin

21 février 2014 – Ressources documentaires électroniques en milieu universitaire : retour sur investissements

Cécile Touitou

Le laboratoire ELICO organisait en partenariat avec le consortium national Couperin une journée d’étude visant à présenter l’actualité des travaux autour de la valorisation des ressources électroniques, d’une meilleure visibilité de l’usage et de la mesure du possible « retour sur investissement ».

Reprenons l’introduction proposée par les organisateurs : « L’intégration des bouquets de revues électroniques dans les collections des bibliothèques académiques a entraîné des efforts budgétaires et humains tels que la question de la valeur de ces mêmes collections a été soulevée. Or, plus que jamais, dans une économie du Web et de l’information scientifique numérique, la valeur de l’information se définit par son usage. Pour le monde des bibliothèques, habitué jusque-là à créer de la valeur à partir de collections, il s’agit d’un changement d’approche. Car le glissement de la valeur vers l’usage oblige les bibliothèques, pour justifier leurs dépenses, à tenir compte de l’impact que peuvent receler ces collections sur les activités d’une communauté d’usagers. »

Rentabilité des bibliothèques

Autour de ce thème passionnant se sont relayés à la tribune des intervenants étrangers aussi bien que français. Les premiers ont présenté des études menées dans le monde anglo-saxon pour approcher cette notion de ROI (retour sur investissement) dans le domaine des ressources électroniques. Un premier retour sur une étude du RIN (Research Information Network) et du CIBER : E-journals : their use, value and impact 1 a été faite. Comme l’intervenante suivante, Carol Tenopir (université du Tennessee), les collègues britanniques se sont interrogés sur ce qui pouvait être la mesure de la valeur créée par la mise à disposition d’une quantité exponentielle de ressources électroniques : y a-t-il une corrélation entre l’usage des périodiques en ligne et les résultats de la recherche ? Mesure-t-on une relation entre le nombre d’articles téléchargés et le nombre de doctorants qu’accueille l’université ? Ou bien encore, y a-t-il une relation de cause à effet entre le nombre d’articles consultés et le nombre de publications qui seraient subséquentes à cette consultation ? Carol Tenopir a insisté pour dire que ce que faisaient les bibliothèques était utile (« valuable ») pour l’institution, et plus généralement pour la communauté scientifique et nationale, et qu’il convenait de le démontrer chiffres à l’appui aux financeurs. Pour y parvenir, l’université du Tennessee a mené un grand projet : Lib-Value : Measuring Value and Return on Investment of Academic Libraries 2. La première phase a consisté à évaluer le ROI en cherchant une éventuelle corrélation entre l’utilisation des ressources de la bibliothèque par le corps enseignant et la génération des revenus de dons/subventions pour l’université. L’objectif était de démontrer la valeur économique de la bibliothèque en réponse à la demande croissante des tutelles au travers d’une analyse coût-avantage permettant d’établir que la bibliothèque contribuait à ce que l’université atteigne ses objectifs stratégiques. Cette étude a permis d’estimer à 4,38 $ le revenu généré par les subventions à l’université pour chaque dollar investi dans la bibliothèque. Dans la deuxième phase de l’étude, le travail a été étendu à un panel de huit institutions dans huit pays différents. Cette fois, le ROI a varié de 15,54:1 à 0,64:1   3. Les variations mesurées se justifient en fonction des missions et des contextes institutionnels différents (notamment selon que l’accent est mis sur la science/technologie/médecine ou bien les sciences sociales et humaines ou en fonction de la possibilité selon les cas de sources de financement extérieures). Finalement, entre 2009 et 2012, le projet a connu une troisième phase   4 dont l’objectif était de définir et de mesurer d’autres façons dont la bibliothèque crée de la valeur  5. À l’issue des travaux, on disposera d’un modèle pour le calcul de la valeur et du ROI dans les bibliothèques académiques, ainsi que des outils sur le web permettant d’évaluer le ROI dont pourront se servir les bibliothécaires.

Il est intéressant de retenir que l’enquête portant sur les apports de la bibliothèque pour le corps enseignant a porté sur le nombre et l’origine des derniers livres lus par ces enseignants ainsi que le temps passé à ces lectures. On pourra retenir des multiples chiffres fournis par Carol Tenopir que les enseignants interrogés lors de l’enquête passaient 23,4 jours de l’année à lire un article de la bibliothèque et que le nombre d’articles lus ne cesse d’augmenter depuis 1977 ! Mais, alors que 82 % des articles lus en 2005 par les chercheurs américains étaient imprimés, cette part est passée à 55 % en Grande-Bretagne en 2011 et à 49 % aux États-Unis. Finalement, l’enquête a montré que les enseignants qui publiaient plus étaient aussi ceux qui lisaient plus (la documentation de la bibliothèque notamment).

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Nombre d’articles lus de 1977 jusqu’à aujourd’hui par la communauté scientifique

Mieux connaître les usages de la documentation électronique

La seconde partie de la journée a été consacrée à la présentation de deux projets majeurs pour la communauté des bibliothèques académiques françaises. Les travaux du groupe de travail statistiques d’utilisation (GTSU) du consortium Couperin dans lesquels s’insère le projet ezPAARSE  ont été retracés. L’objectif de ce projet ezPAARSE  6, présenté par Thomas Jouneau (université de Lorraine), est de proposer un socle générique pour le traitement des logs d’accès aux ressources électroniques de tous les SCD des universités qui souhaiteraient participer à la suite des précurseurs : l’INIST-CNRS et l’université de Lorraine. Les membres peuvent dès à présent quantifier et caractériser l’utilisation des ressources électroniques en lien avec :

– des groupes d’usagers ;

– des champs disciplinaires ;

– sur des périodes de temps définies.

En complément, Thomas Porquet (Couperin) a présenté le projet MESURE   7 (Mutualisation et évaluation des statistiques d’utilisation des ressources électroniques) visant à recueillir les rapports statistiques et les données d’usage fournis par les éditeurs. Basé sur l’infrastructure du JUSP (UK), MESURE assure la collecte automatique des rapports et permet aux établissements d’économiser la collecte manuelle sur les différentes plateformes tout en pouvant disposer de données mensuelles et de conserver ces archives en ligne.

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Exemple de rapport annuel pour l’université Bordeaux 1 avec l’utilisation de MESURE.

La journée a donc permis de lever bien des inquiétudes sur l’usage des ressources électroniques, qui sortiraient enfin du trou noir qui les caractérise. Saura-t-on enfin ce qui est vraiment consulté, et par qui ? Saura-t-on enfin mesurer le basculement de l’imprimé vers le numérique et, dans un lointain avenir, avoir une visibilité certaine sur les pratiques de lecture dans leur globalité ? Parions alors que l’on ne dira plus qu’on ne lit plus, mais qu’on lit une masse plus importante d’informations selon des modalités et un rapport au contenu très différents de ce qu’il fut pendant des centaines d’années.