Le livre numérique
Bernard Prost
Xavier Maurin
Medhi Lekehal
Bruno Anatrella (participation)
Coll. « Pratiques éditoriales »
ISBN 978-2-7654-1389-9 : 25 €
Désormais réalité économique, le livre numérique est entré dans une phase de production industrielle, entraînant une transformation profonde de la chaîne éditoriale, des métiers traditionnels et des techniques de fabrication. Comment se repérer dans la jungle de ses formats techniques et lequel choisir ? Comment adapter un ouvrage imprimé aux nouveaux supports de lecture tactiles et nomades ? Quelles sont les spécificités juridiques et commerciales du marché émergent de l’édition numérique ? Telles sont les grandes thématiques abordées par ce nouvel ouvrage de la collection « Pratiques éditoriales » du Cercle de la Librairie.
L’ouvrage intéressera en priorité les professionnels de l’édition et les étudiants en formation : concret, pragmatique, il s’appuie sur l’expérience pratique des différents auteurs pour proposer outils de réflexion, grilles de lecture, solutions techniques et conseils de spécialistes afin de mieux appréhender les choix de conception d’un livre numérique. Évitant les extrêmes du « tout théorique » ou du « tout technique », il aborde de manière simple et opérationnelle chacune des spécificités éditoriales du livre numérique : de la multiplicité de ses formats aux nouveaux appareils numériques, des différents genres existants à l’évolution des comportements de lecture, de sa conception aux nouveaux modes de commercialisation (DRM, plateformes de diffusion numérique…).
L’ouvrage s’ouvre sur un chapitre intitulé « La complexité du livre numérique », rappelant à juste titre l’aspect « hybride » d’un objet aux formes et aux formats divers. Le livre numérique est composé d’un fichier numérique que l’on lit à l’aide d’un logiciel de lecture sur différents supports physiques. Comment penser alors la fabrication d’un objet dont la forme change selon le support et selon le logiciel sur lequel le texte s’affiche ? C’est là l’objet des chapitres 3 et 4, situés au cœur de l’ouvrage, qui questionnent la manière dont la production et la conception doivent tenir compte des caractéristiques fondamentales du « texte numérique ».
Si les concepts de livres enrichis ou de livres augmentés sous forme d’applications sont rapidement abordés – le développement technologique ne permettant pas encore d’envisager ces nouvelles formes de création sous un angle industriel –, le format ePub est au centre de la réflexion. D’après les auteurs, ce format « s’appuie sur des solutions éprouvées en matière de publication électronique, en particulier HTML et XML, et possède toutes les qualités pour s’imposer et faire vraiment décoller le livre numérique » (p. 17). À terme, grâce au HTML5 et aux CSS3, il autorisera une plus grande interactivité grâce à une meilleure intégration des sons et de la vidéo.
Le ePub a cet avantage de rester « proche de l’expérience de lecture du livre papier, renforcée par des effets graphiques de manipulation du papier lors de la tourne des pages » (p. 22), raison pour laquelle il séduirait les lecteurs. Pourtant, dans la réalité de sa fabrication éditoriale, le livre numérique « homothétique » n’a, en fait, rien d’homothétique. « Dans sa démarche de dématérialisation du papier, l’ePub s’efforce de respecter les outils de navigation du livre : table des matières, index, renvois de pages […], tout en apportant de nouvelles fonctionnalités dues à l’informatique : recherche dans l’intégralité du texte, possibilité d’accrocher des notes, surlignage, accès à un dictionnaire… » (p. 22). La traduction en langage informatique d’un ouvrage papier réinterroge de fait les grands repères habituels que sont l’index, le sommaire, la page ou les appels de note. Ceci impose à l’éditeur de revisiter dans leur forme et leur fonction les outils de navigation traditionnels du livre dans l’optique de son transfert sur support numérique.
Le chapitre intitulé « Le texte numérique » soulève, à cet égard, de nombreuses questions que l’éditeur et le fabricant doivent prendre en compte dès le départ. Faut-il, par exemple, conserver la fonction d’index alors que l’on peut effectuer sur un fichier numérique une recherche sur toutes les occurrences d’un mot ? Ne vaut-il pas mieux créer des index sémantiques ou thématiques qui auront une vraie valeur ajoutée comparés à l’imprimé ? Comment gérer les renvois ou les appels de note, en évitant au lecteur de perdre ses repères géographiques de lecture sur un format dont il ne maîtrise pas encore bien les effets de navigation ? Comment mettre en forme un texte selon la pratique du responsive design et de l’interopérabilité entre les systèmes afin qu’il puisse être lu à la fois sur des petits et des grands écrans ?
Les auteurs appellent de leurs vœux la formation de spécialistes en CSS « orientées livre numérique » : détenteurs d’une culture plus proche du livre imprimé que de celle du web, ceux-ci pourraient recréer l’apparence d’un livre sur tablette comme sur smartphone et inventer de nouvelles formes du livre à l’écran. Au stade actuel du développement technologique, ils proposent cependant de privilégier la simplicité à la complexité, la lisibilité à l’élégance, en abandonnant certains effets esthétiques propres au livre, et de se concentrer sur la performance et les contraintes inhérentes aux différents appareils techniques (noir et blanc, taille de l’écran…).
Une question reste cependant posée en filigrane de cet ouvrage : jusqu’où le lecteur est-il réellement prêt à aller en termes non seulement d’achat mais aussi de comportements de lecture ? Si le livre numérique sous format ePub incite à des pratiques héritées de l’imprimé, il introduit également par sa structure hypertextuelle des comportements de lecture numérique issus du web. Le mélange de ces deux modes de lecture semble aujourd’hui encore déconcertant. La solution de ce « conflit » cognitif est-elle à chercher du côté de la création de similitudes comportementales de lecture entre le livre papier et le livre numérique ou en poussant la réflexion sur la spécificité même du texte numérique ? L’enjeu serait alors d’oser imaginer de nouveaux modes d’écriture numérique propices à une lecture hypertextuelle plus immersive que fragmentaire.