« De la prestation au partenariat »

27es Journées d’étude de l’ADBDP

Carole Ney

Du 7 au 9 octobre, le site pierresvives de Montpellier a accueilli les quelque 200 participants aux journées de l’ADBDP (Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt). Le thème retenu visait à questionner le fondement même des BDP tout en offrant des espaces de partage, d’échanges, de débats sur l’évolution du métier.

Entre fascination et réticence

Après le mot d’accueil d’André Vézinhet (président du conseil général de l’Hérault) rappelant la place politique et stratégique des départements, Laetitia Bontan, présidente de l’ADBDP, a souligné que les BDP pratiquaient depuis longtemps les logiques du partenariat et que cette expérience permettait d’en avoir aujourd’hui une vision « dégrisée » favorisant leur mise en débat.

La conférence inaugurale  1 donnée par Jean Burger (chargé des relations ULCE – université de Montpellier 2) visait à définir la notion de partenariat tout en proposant des points de vigilance et des clefs d’action. Jean Burger a clairement montré que selon les attentes des acteurs (financement, information, validation…) les projets prenaient des formes variables de collaboration allant de la prestation de service à la fusion. Le véritable partenariat se situerait entre ces deux bornes, dans des situations où les acteurs co-construisent leur projet. Il s’agit alors pour chacun d’accepter son nouveau statut de partenaire tout en apprivoisant la perte de son identité et en partageant pouvoirs et savoirs. Jean Burger a conclu en rappelant que le partenariat relevait certes de l’organisation mais surtout de relations humaines où chacun doit à la fois être co-responsable, libre et engagé.

Le partenariat comme génome d’un projet

La notion d’engagement a été parfaitement illustrée par Jean-Michel Paris (directeur général des Services du conseil général de l’Hérault) pour qui pierresvives représente ce que peut être un projet de service dont le génome est le partenariat. En rassemblant trois entités (archives départementales, BDP et Hérault Sports) dans un seul lieu, il ne s’agissait pas de « trouver le plus petit dénominateur commun » mais bien de produire du service public nouveau. Un quatrième service, le Service des publics, est né alors pour accompagner la mise en lien, lien qui aura été au cœur de tous les débats pendant trois jours. Mélanie Villenet-Hamel, directrice de la BDP, compléta le propos en explicitant notamment les objectifs du plateau médiathèque ouvert au grand public et outil d’expérimentation pour le réseau.

Lors des tables rondes, les partenariats étaient interrogés dans leur « redéfinition » ainsi que dans leur mise en œuvre. La table ronde animée par Corinne Sonnier (directrice de la BDP des Landes) a offert aux participants un échange entre Gilles Gudin de Vallerin (directeur du réseau des médiathèques de Montpellier Agglomération) et Philippe Veyrinas (directeur du développement culturel et de la lecture publique au conseil général de la Savoie) sur le partenariat dans un réseau de médiathèques d’agglomération, d’une part, et entre deux départements, d’autre part.

Les deux exemples montraient clairement que mise en réseau et collaboration à ces échelles demandaient des stratégies phasées. Toutefois, malgré la taille considérable des territoires, des liens thématiques contractualisés et des mutualisations étaient pertinents avec la BDP dans le cas de Montpellier, entre conseils généraux dans le cas de Savoie Biblio. Gilles Gudin de Vallerin s’est par ailleurs montré rassurant en explicitant que le développement des intercommunalités redéfinissait les périmètres d’action mais dans un cadre relativement souple – ce qu’a confirmé Philippe Veyrinas en évoquant de possibles évolutions avec l’agglomération d’Annecy.

Dans la seconde table ronde, animée par Alain Duperrier (directeur de la BDP de la Gironde) et consacrée au partenariat « à l’œuvre », étaient invités les acteurs du projet de médiathèque intercommunale de Lezoux (Communauté de commune entre Dore et Allier). Ce projet a été mené en partenariat avec la BDP du Puy-de-Dôme, la Région Auvergne et la 27e Région. Les interventions ont montré que le partenariat en matière de construction d’une médiathèque ne se limitait surtout pas au financement. Ainsi, chacun des partenaires a pu se positionner au fur et à mesure de la définition des usages de la médiathèque. Aucune des institutions ne s’est trouvée en difficulté dans ce mode participatif (basé sur l’immersion, l’expérimentation des usagers) mais plutôt « chahutée » dans ses convictions (ce qui renvoyait à l’exposé de Jean Burger). Le mode participatif a beaucoup interpellé la salle et la notion de « design de service » (notamment dans sa version plan d’usages de la médiathèque intercommunale  2) a séduit de nombreux participants.

La fin de la première journée proposait une tribune à Didier Guilbaud – président de l’ADBDP de 2001 à 2007 et depuis peu à la retraite. Il a partagé sa vision du partenariat qu’il définit clairement pour les BDP comme la « co-construction » du développement de la lecture publique. Il a également rappelé, ce que parfois nous omettons, que les BDP ont bel et bien un public : les bibliothécaires du réseau sans lesquels la BDP ne peut agir sur un territoire. Pour finir, c’est avec émotion que Didier Guilbaud a évoqué sa carrière de « simple bibliothécaire » en lien avec ses motivations, la richesse de son parcours, ses doutes, mais aussi sa foi dans la nouvelle génération de professionnels.

De la supérette à l’épicerie fine

De nombreux témoins étaient réunis pour présenter au sein d’ateliers leur expérience partenariale et mettre en lumière la richesse des démarches en cours dans les BDP : « action culturelle et dynamique de co-construction », « collections en partage », « pour une co-construction de la politique départementale de lecture publique », « catalogues en partage ».

L’action culturelle co-construite semble être un moyen efficace de créer du lien sur des territoires et de rendre visibles à la fois les BDP et les bibliothèques associées. L’action culturelle permet de s’interroger sur ses pratiques et tend à montrer que l’argent n’est pas le seul levier de ce type de projet, les atouts se situant dans les moyens structurels et dans la mise en relation de partenaires.

La question des collections est encore, semble-t-il, frileuse dans les BDP et le débat s’est focalisé sur l’orientation prise par la desserte historique. Il ne s’agit pas tant de supprimer les dessertes que de les requalifier et de saisir cette opportunité pour réinterroger la politique documentaire des BDP. Il semble qu’il serait opportun de privilégier les flux entre bibliothécaires et publics et d’aller ainsi vers une personnalisation croissante des services documentaires. Serait venu le temps du passage de la « BDP supérette à la BDP épicerie fine ».

Concernant la co-construction des politiques départementales de lecture publique, il a été exposé que les BDP tentent d’échapper à la « verticalité » des politiques sectorielles. L’ingrédient fondamental reste la volonté politique et chacun a pu noter qu’une relation équilibrée entre BDP, EPCI et communes avait pour conséquence de structurer le territoire et de développer son attractivité en matière de services. Des outils techniques (cartographie), de dialogue (diagnostics, charte de lecture publique) et de contractualisation sont nécessaires à cette co-construction.

Enfin, l’atelier « catalogue en partage » a affirmé que l’enjeu était clairement de mieux prendre en compte les besoins des usagers et de donner accès à un bassin documentaire élargi. Ces ­coopérations prennent des formes diverses : dialogue d’élus, prise en charge financière bien répartie entre les acteurs, calibrage et paramétrage technique concertés, formation des équipes. Il n’en reste pas moins que des difficultés subsistent : choix du SIGB notamment dans une version « libre », agrégation des catalogues déjà existants, maintenance importante, définition du phasage et difficulté à trouver des candidats aux appels d’offres. Ce type de partenariat relève donc à la fois de choix techniques et stratégiques.

L’ADBDP en mouvement

Les participants ont pu assister au forum ouvert de l’association où différentes commissions étaient présentées : formation, évaluation, numérique. De l’aveu des animateurs, les échanges y sont riches et le partage au niveau national pertinent mais il reste fragile selon la disponibilité et l’implication des membres. La transition était toute trouvée avec l’intervention de Iegor Groudiev de l’Observatoire de la lecture publique  3 sur un point d’étape concernant les enquêtes annuelles et le nouvel outil cartographique Géoclip  4. Alors que la majorité du groupe a pu profiter de visites à Montpellier (centre-ville historique, musée Atger, médiathèque Émile Zola), les adhérents de l’ADBDP se sont réunis en assemblée générale afin de notamment renouveler une partie du conseil d’administration  5.

La BDP indispensable autrement

La dernière matinée était très attendue par les participants puisque Jean-Luc Gautier-Gentès, inspecteur général des bibliothèques, proposait une synthèse de son projet de rapport sur les BDP. Le contexte de ce rapport est connu de tous : restrictions budgétaires, révolution numérique, développement des intercommunalités, augmentation du nombre de bibliothèques municipales, mise en cause des BDP par des conseils généraux eux-mêmes et absence d’un portrait général. De son aveu, Jean-Luc Gautier-Gentès précisait que l’État lui-même avait perdu de vue les BDP alors qu’elles représentent un dispositif capital pour la lecture publique. Après rappel de la méthode de collectage, les conclusions tant attendues ont été livrées. Force est de constater que les BDP se sont doucement mais sûrement éloignées de leur modèle original et sont à ce jour extraordinairement dissemblables. De ce constat, quatre raisons d’existence pour les BDP sont mises en avant : faire émerger des BM modernes sur les territoires (notamment en milieu rural et périurbain), apporter un appui fort aux EPCI, créer des réseaux départementaux et mettre l’expertise au service des conseils généraux. Les périmètres d’action vont forcément changer et les types d’appui évoluer tendant vers une personnalisation toujours plus forte des services selon les besoins et les contextes politiques des territoires. Les BDP ne peuvent dès lors pas se couper d’un développement d’offres numériques et ne doivent plus strictement lier la lecture publique à l’imprimé. Par ailleurs, l’intercommunalité, y compris les métropoles, ne signe pas selon Jean-Luc Gautier-Gentès la mort des BDP. Bien au contraire, la « plasticité » de ces dernières devrait leur permettre de développer et renouveler leur volet formation mais aussi faciliter leur redéploiement vers des publics spécifiques (et pas uniquement empêchés).

Il revenait à Jean Viard en tant que sociologue et chercheur en sciences politiques de clore ces journées d’étude. Rompu à ce type d’intervention, usant de formules aussi truculentes que pertinentes, il emportait rapidement l’adhésion de la salle à ses thèses. Selon lui, notre société a muté dans des proportions bien plus considérables qu’on ne se l’imagine. Les révolutions combinées de l’allongement de la durée de la vie, de la place relative du travail dans le temps social, de la composition sociologique du monde du travail, de l’explosion exponentielle des technologies informatiques, des modes de communication numérique et des usages associés… ont engendré – dans les pays occidentaux mais aussi dans tous les pays émergents – un rapport au monde totalement différent de celui que cultivaient nos grand-parents. Notre (nos) société(s) est (sont) devenue(s) celle(s) de la mobilité – virtuelle mais aussi physique, géographique –, de la prééminence du temps libre, de la globalité dans une forme de proximité, de la liberté dans une forme de discontinuité… autant de facteurs qui bousculent notre rapport à la citoyenneté, aux lieux et échelles de transmission de nos valeurs (la famille ?), notre équilibre entre humanité et nature, plus généralement l’ensemble de nos comportements sociaux. Dans ce contexte, que Jean Viard lit comme une libération, comme un potentiel considérable d’épanouissement social et personnel, comment protéger les plus faibles, ceux qui ne peuvent pas accéder à cette mutation sociétale ? Comment répondre politiquement à ces bouleversements ? Tout en cultivant une forme d’optimisme, Jean Viard poursuit son travail de chercheur, mais aussi d’élu, sur les réponses à apporter. Il interpellait directement l’assemblée car c’est l’ensemble des politiques mises en œuvre par nos collectivités qui est impacté. Autant de réflexions qui faisaient directement écho à ces journées d’étude, et plus globalement aux interrogations qui traversent le monde des bibliothèques. •