Rosalis, à la croisée des chemins

Une décennie d’explorations

Patrick Hernebring

En 2012, alors que s’élabore le projet de création du site Rosalis  1, la bibliothèque municipale de Toulouse numérise ses collections depuis plus de dix ans. Entre 1999 et 2000, 4 500 enluminures et 5 000 photographies anciennes sur plaque de verre de la collection Trutat sont numérisées. Suivent 400 partitions anciennes ou ouvrages de théorie musicale en 2003 et 2005, puis, en 2009, les collections pyrénéennes du fonds Ancely (4 000 lithographies) et une sélection d’ouvrages de la collection du pyrénéiste Henri Béraldi. Entre 2009 et 2012, une importante partie du fonds patrimonial occitan (plusieurs dizaines de manuscrits du Moyen Âge jusqu’au XXe siècle et 200 des plus remarquables imprimés en occitan du XVIe au XVIIIe siècle), quelques trésors du fonds de conservation jeunesse et du fonds régional (ouvrages de science et de médecine, canal du Midi…) rejoignent les collections numériques. En 2012, l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) numérise 400 manuscrits ou incunables toulousains destinés à enrichir conjointement la base informatisée de manuscrits enluminés du Moyen Âge, Initiale, et Rosalis.

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Page d’accueil du site Rosalis.

En parallèle, un important corpus de presse a été numérisé entre 2005 et 2012 : le Cri de Toulouse, hebdomadaire satirique illustré de nombreuses caricatures ; le Journal de Toulouse, quotidien d’information nationale, internationale et régionale ; l’Express du Midi, le grand journal de l’opposition de droite de la région ; le Midi Socialiste, marqué à gauche et la gazette locale Les Affiches, dont la parution a débuté en 1759.

Progressivement constitué, cet ensemble important de 60 000 documents numériques, dont le centre de gravité est l’intérêt régional, appelait des solutions de mise en ligne. En 2003, une première base d’enluminures et de photographies anciennes du fonds Trutat fut rendue accessible sur le réseau local des ordinateurs des salles de lecture par le biais de la borne Opac de Micromusée développée par Mobydoc. À partir de 2007, une partie des collections patrimoniales et quatre titres de presse régionale ont connu une première diffusion sur internet. Cependant, faute de pratiques communes d’indexation ou de choix techniques unifiés, ces collections furent d’abord publiées sur des sites distincts.

Par ailleurs, inspirée par le modèle de la Bibliothèque du Congrès, la bibliothèque de Toulouse a décidé d’intégrer en 2008 les Commons de Flickr, l’espace destiné aux organismes publics, pour tenter une expérience de valorisation de la collection Trutat sur la fameuse plateforme de partage d’images. C’était avant tout les outils d’indexation sociale, qui forge la spécificité du site, qui déterminaient alors notre motivation.

En définitive, Rosalis est la réunion de morceaux d’expérience – numérisation, mise en ligne, web 2.0 – collectés au cours d’une décennie d’exploration sur ces nouvelles terres.

Rosalis : l’essentiel

L’architecture technique du site Rosalis met en action deux logiciels libres : Greenstone, pour ce qui concerne les fonctionnalités de recherche et l’affichage des documents, et le système d’édition de blog DotClear, pour ce qui relève de la partie portail du site et de l’édition des contenus de médiation. Un tel système, appuyé exclusivement sur des outils open source, certainement plus « ouvert », plus souple, dans la mesure où le code est modifiable, sous-tend en revanche une organisation du travail moins traditionnelle – avec des bibliothécaires conjuguant compétences bibliothéconomiques et techniques – que celle qui s’impose dans le cas d’un système reposant sur un logiciel propriétaire adossé à un service de maintenance.

L’organisation générale de Rosalis porte l’héritage de la situation antérieure où des sites séparés coexistaient. Autour d’une base principale, qui fédère l’ensemble des ressources, gravitent neuf sites satellites dans lesquels chacune des collections thématiques (Agatange, Pyrénées, Enluminures, Enfantina…) bénéficie d’une interface spécifique. À côté de cela, un Espace presse régionale réunit les 45 000 numéros ou articles de périodiques actuellement disponibles. Toutes ces ressources sont également accessibles sur l’interface optimisée pour les smartphones et proposées au moissonnage sur l’entrepôt OAI.

Symétrique d’une page d’accueil simple et dépouillée, l’Exploratoire met l’accent sur la diversité et le foisonnement des documents. C’est sur cette page que se met en scène et s’organise le parcours de découverte de nos collections : index, recherche avancée, modes de navigation plus « visuels » (albums, mosaïque, zooms…).

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Exploratoire propose des parcours thématiques dans les collections numérisées.

Rosalis est une bibliothèque numérique dotée d’espaces dédiés pour présenter ou éclairer les collections. Rosalipédie est une encyclopédie en ligne collaborative contenant à l’heure actuelle 300 articles, audioconférences, expositions virtuelles ou dossiers pédagogiques. Dans un autre esprit et sur un ton plus léger, Rosaliblog est un espace permettant aux bibliothécaires et usagers d’échanger des informations, des humeurs ou des opinions autour des documents et services.

Portée par le constat d’une activité virtuelle importante mise en mouvement autour des œuvres d’Eugène Trutat sur la galerie Flickr, la bibliothèque de Toulouse a souhaité proposer un volet participatif au site Rosalis. Sur Rosalivox sont affichées les possibilités d’interaction offertes aux usagers : rédiger un billet, un article ou un commentaire ; suggérer la numérisation d’un document de notre catalogue ; identifier une photographie et abonder l’indexation collaborative… C’est aussi sur cette page que Rosalis met en avant ses partenariats : la BnF et Gallica ; la médiathèque de Pau et Pireneas ; le Cirdoc et Occitanica ; le CNRS et Isidore ; les équipes de Flickr et Wikimedia Commons.

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Extrait de la page Rosalivox qui propose aux internautes de participer à la vie de Rosalis.

Le public de Rosalis

Avec 461 457 affichages enregistrés au total depuis les neuf mois qui nous séparent de l’ouverture, une moyenne de 1 700 clics et 319 visiteurs uniques par jour, un pic de fréquentation à 19 207 affichages sur une seule journée, des documents particulièrement « populaires » consultés jusqu’à 1 500 fois, l’outil de diffusion de nos collections patrimoniales est, pour s’en tenir à la dimension quantitative, très efficace. Un rapprochement avec les statistiques de fréquentation « physique » enregistrées en salle de consultation du patrimoine situe Rosalis à un niveau mille fois supérieur à cette dernière.

50 % des consultations proviennent du trafic de recherche dont, d’après l’examen des mots clés employés, une moitié semble relever d’une connaissance du site et de son contenu, signe encourageant d’une notoriété naissante. Parmi les sites référents, les affluents  2 principaux sont Gallica (27 %) et le site de la bibliothèque de Toulouse (28 %). En poursuivant la déclinaison hiérarchique des sites affluents de Rosalis, nous trouvons une majorité de sites d’archives, de bibliothèques, de musées ou d’institutions culturelles diverses. À travers cette liste paraît se dessiner le visage familier du public « naturel » des bibliothèques, réelles ou virtuelles, tandis qu’a contrario, de l’autre côté du mur de verre, seules 1,33 % des consultations sont issues de la sphère des réseaux sociaux.

L’audience de la galerie Flickr, comparable en quantité à celle de Rosalis, en est absolument distincte, et, malgré les milliers de liens installés à cet effet, ne bascule d’un site à l’autre que dans 0,26 % des cas. L’analyse du comportement des usagers marque autrement ce fossé : 80 % des consultations du site Rosalis se concentrent sur la recherche ou l’affichage des documents. Si les pages de médiation (Rosaliblog, Rosalipédie..) ou d’aide à la navigation (Exploratoire, Albums, Aide…) recueillent encore substantiellement les suffrages des internautes, seulement 0,89 % des affichages correspondent à des usages collaboratifs. Les commentaires sont rares et les réponses à nos invitations marginales. Nous ne comptabilisons finalement qu’une trentaine de signes d’activité participative depuis l’ouverture alors que les témoignages de la vie sociale sur Flickr (mises en favoris, inclusions dans des groupes, tags, commentaires) représentent sur une période comparable 3 509 actions. Paradoxalement, malgré cette difficulté à initier une activité sociale sur le site, Rosalis semble bénéficier pleinement, à en juger d’après les retours des usagers, d’une image bonifiée – moins institutionnelle, moins figée – du fait de cette connivence affichée avec l’univers collaboratif.

Notre rôle, dans l’avenir proche, sera de donner corps à cette identité numérique naissante du site par une stratégie de communication dont un des points d’appui sera la présence ancrée de la bibliothèque sur les réseaux sociaux existants (blogs, Facebook, Twitter, Scoop.it ! Tumblr, Flickr…). •

Septembre 2013