Bibliothèques de Paris

par Michel Melot

Ivan Segura-Lara

Paris, AEL Éditions, 2012
172 p., ill., 27 cm
ISBN 978-2-9542685-0-7 : 55 €

Ce bel album présente en pleines pages une centaine de magnifiques photos en couleurs prises dans une soixantaine de bibliothèques parisiennes. Le propos du photographe est clairement exprimé : montrer l’architecture des bibliothèques, soigneusement cadrée, sans aucun personnage, emplie de sa seule lumière. Ce propos est réussi ; l’espace des bibliothèques est cerné, les perspectives profondes, le mobilier, tant des salles de lecture que de certains magasins, riche de ses reflets. L’auteur se réclame du « style documentaire » et des œuvres célèbres de Bernd et Hilla Becher, qui tirent leur esthétique de leur rigueur, de la nuance des tons portés sur des surfaces dépouillées et des atmosphères neutres, vides de tout sentiment et de toute activité. Ce qui devrait être froideur devient alors émotion, ce qui devrait être pauvre devient grandiose, par une sorte de sublimation. Il était tentant de faire l’exercice sur des intérieurs de bibliothèque, dont les lignes normalisées, qu’il s’agisse des tables de lecture ou des rayonnages, dégagent un parfum de mystère et de perfection.

L’expérience des Becher sur des silos ou des usines à gaz n’est cependant pas comparable à celle qu’a menée Ivan Segura-Lara dans les bibliothèques. La couleur d’abord donne à ces photos un éclat spectaculaire, d’autant que chaque bibliothèque se montre sous son aspect le plus brillant, comme si elle était neuve, lustrée comme au jour de son ouverture. Cadrage et mise au point sont impeccables ; les perspectives calculées dans l’axe exact du point de fuite ; les plans bien échelonnés. Les livres qui figurent sur les rayonnages sortent d’un fonds de bibliophile, les lampadaires sont allumés, les meubles cirés. Les bibliothèques apparaissent (et c’est ce que recherche l’auteur, qui se place sous le patronage de Borgès) un lieu idéal et total. Elles sont devenues des salles de théâtre avant la représentation. C’est pourquoi on feuillette cet album avec émotion et avec admiration.

Sur le plan documentaire, ce livre offre un autre avantage. Il nous fait pénétrer dans plusieurs bibliothèques méconnues (Collège des Irlandais, Société d’histoire du protestantisme), certaines fermées au public ou entrouvertes (Assemblée nationale, Sénat, Ordre des avocats, Cour de cassation), certaines confidentielles (Thiers, Société de Port-Royal). Quant à celles qui sont les plus connues (Forney, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris…), elles sont prises tellement à leur avantage, qu’on ne les reconnaît qu’à peine, comme un travailleur qu’on rencontrerait un dimanche. On peut aussi y redécouvrir certaines bibliothèques récemment et superbement réaménagées (Opéra Garnier, Conservatoire des arts et métiers, Cité de la musique, Bibliothèque administrative).

Cette promenade est si attrayante que l’on regrette que le livre n’ait pas été conçu comme un véritable guide ou inventaire général des bibliothèques parisiennes. La plupart des Français ignorent la richesse des bibliothèques, ne serait-ce que celles du 5e arrondissement (École des Mines, lycée Henri IV…) ! L’occasion était belle de les leur faire connaître et d’en donner à la fois la description et l’histoire. À cet égard, le texte n’est pas à la hauteur des photographies. Il ne sort pas des généralités et des réflexions devenues banales sur le symbolisme des bibliothèques. Les informations sur chacune d’elles sont minimales et n’apportent rien de neuf à leur connaissance. J’espère que le remarquable photographe a gardé dans ses mémoires numériques les clichés de bien d’autres photographies de bibliothèques, parisiennes ou non, afin de publier un prochain album qui serait aussi une recherche sur la forme des bibliothèques considérée comme un paradigme architectural.