Architecture et bibliothèques
Martine Mollet
On aura remarqué une forte présence des professionnels de l’information à la journée « Architecture et bibliothèque », organisée par l’Enssib le jeudi 23 mai 2013. Dès l’accueil, l’intérêt des participants fut attiré par une belle exposition de dessins de Franck Bonnefoy, qui ont illustré l’ouvrage Architecture et bibliothèque, 20 ans de constructions, publié par l’Enssib en 2012.
Le propos des organisateurs était, dans le prolongement de la publication de cet ouvrage précisément, de faire entendre la parole d’architectes bâtisseurs de bibliothèques. Pourquoi ? Parce que la bibliothèque est d’abord et avant tout le lieu du « vivre ensemble », un « portail d’accès à la connaissance », une « fenêtre ouverte sur le monde ». Comment ? En faisant de l’architecture une préoccupation récurrente des formations de l’Enssib, nous a rappelé Anne-Marie Bertrand, directrice de l’Enssib, dans son mot d’accueil.
Comment « penser » la bibliothèque de demain, était donc, on l’aura compris, le fil rouge de cette journée.
« Un homme qui lit va vers la lumière »
C’est en ces termes que Louis I. Kahn présentait son projet pour l’Exeter Library et c’est en ces termes que Pierre Franqueville, programmiste, directeur de l’agence ABCD, a introduit son exposé dans lequel il a démontré qu’il n’y avait pas de bibliothèque sans désir d’architecture, qu’il n’y avait pas de bibliothèque idéale car le livre n’est plus un objet central, et que l’idée du lieu « bibliothèque » doit, devra désormais sans cesse être remise en cause. De « monumental », en tant qu’édifice censé recevoir le savoir, le modèle s’est enrichi avec l’avancée des technologies. Et avec l’évolution des pratiques, les usagers viennent aujourd’hui chercher autre chose que de la documentation à la bibliothèque. Il faut donc rechercher un nouveau modus vivendi. La ville fabrique de la solitude, la bibliothèque peut proposer du partage, de l’intelligence partagée. Il faut aujourd’hui sortir de la pensée programmatique trop normée, créer des lieux qui favorisent la rencontre, qui ralentissent les flux générés par la ville pour faire fonctionner « la pensée productive » des lieux « multitemporels » où se côtoient vacance et travail, des lieux de décloisonnement, des lieux « physiques » quand tout se dématérialise, des lieux d’échange, des lieux de culture et de formation susceptibles d’éveiller émotion et intelligence. Sortir des modèles, y compris celui du « troisième lieu » trop souvent évoqué, cultiver le doute, décloisonner y compris la chaîne de la conception-réalisation de l’ouvrage : élus, bibliothécaires, programmistes, architectes, usagers doivent absolument dialoguer. Dans cette perspective, l’interlocuteur premier de l’architecte doit être l’usager (le responsable de la bibliothèque qui « pense » les usages) et non pas l’opérateur technique, délégué par la ville ou l’université. Et Pierre Franqueville de conclure son propos en disant que l’invention ne viendra pas des grands équipements mais des petits (en dessous de 3 000 m²).
Le reste de la journée fut centré sur des présentations de réalisations, à commencer par celle de Jean-François Panthéon, directeur de l’atelier d’architecture Panthéon qui évoqua la restructuration des bibliothèques de Brives-Charensac et Sainte-Sigolène en Haute-Loire.
« Un bâtiment réussi est un objet qui contient merveilleusement les fonctions pour lequel il n’a pas été conçu » (Christian Hauvette)
En faisant référence à Christian Hauvette, architecte marseillais, adepte de Roland Barthes et attaché à la question des signes, Jean-François Panthéon pose le problème de la forme et de la fonction, la forme ne devant pas précéder la fonction. C’est du programme que naît le graphe, que surgit la forme. L’architecte recycle l’architecture comme autant d’abris possibles, susceptibles d’accueillir d’autres usages. Le rôle de l’architecte est de rendre pertinente l’adaptation du bâtiment à de nouvelles fonctions, y compris en produisant des images qui permettent de forcer l’adhésion des usagers et des bibliothécaires.
« Pour faire sens, il a fallu lutter de façon obsédante contre le normatif qui enferme et cloisonne »
Au tour de Benjamin Colboc, de l’agence Colboc et Franzen associés, d’évoquer la construction de la médiathèque de la ville de Montauban, construite en périphérie, dans un lieu où se côtoient voitures et supermarchés. Comment essayer de faire de la bibliothèque un objet singulier, le plus signifiant possible, en résonance avec l’environnement, fut l’objet de son propos. Brique et terre cuite – matériaux symboliques de la région – étaient incontournables. Une peau en brique pour envelopper deux grands rectangles superposés, quatre niveaux, une rotule enfermant escalier et ascenseurs pour articuler les espaces entre eux, et des façades vitrées. Pour faire sens, il a aussi fallu lutter de façon obsédante contre le normatif qui enferme et cloisonne. Il en résulte un bâtiment adapté aux enjeux d’aujourd’hui, déplaçant la centralité de la ville, un bâtiment en résonance avec son environnement que le public s’est très rapidement approprié.
« Décloisonnement et open space furent les maîtres mots du projet »
Marie-Hélène Badia et Didier Berger nous présentèrent ensuite la réalisation de la bibliothèque universitaire des sciences et techniques de Versailles. En partant du postulat que les étudiants viennent chercher à la bibliothèque du calme et de la concentration, que la bibliothèque est un lieu de remédiation à l’échec en premier cycle, et qu’elle est un des équipements qui peut « tout montrer sans rien cacher », les architectes ont pris le parti de travailler sur la lumière, les volumes et la fluidité des espaces. Le bâtiment est situé dans un parc, l’entrée est plein sud, toutes les ouvertures sont conçues pour récupérer la lumière. Deux grands plateaux superposés composent les espaces publics et deux grands blocs abritent l’administration et les magasins. Des espaces de rencontre, carrels, salles de travail collectif, ainsi qu’une cafétéria ouverte favorisent les échanges. Un travail très précis sur les circulations permet d’assurer la fluidité entre tous ces espaces. Une coopération continue entre architectes et bibliothécaires tout le temps du chantier a permis de prendre en compte l’évolution des usages, en marquant fortement l’aspect « troisième lieu » de la bibliothèque. À titre d’exemple, une petite table pour l’accueil remplace la traditionnelle et imposante banque de prêt. Décloisonnement et open space, tels furent les maîtres mots du projet, qui ont conduit à l’ouverture d’un immense plateau sans poteau, qui pourra ainsi s’adapter aux usages du futur.
« Une concertation permanente avec les usagers pour en faire une maison commune à tous »
Après un concours qui a intéressé les plus grands architectes internationaux, le maître d’œuvre retenu pour la future bibliothèque multimédia à vocation régionale (BMVR) de Caen la Mer est le cabinet néerlandais OMA (Office for Metropolitan Architecture), dirigé par l’architecte Rem Koolhaas, qui a reçu le Lion d’or à la Biennale d’architecture de Venise 2010. C’est Clément Blanchet, directeur de projet, qui est venu présenter la BMVR. Cette réalisation est le fruit de plusieurs années de réflexion sur l’organisation de la lecture publique et sur le rôle structurant d’un équipement de cette envergure. La BMVR culminera à 18 mètres de haut et se divisera en trois modules. Le rez-de-chaussée accueillera un vaste hall central traversant, connecté à la ville par deux entrées distinctes qui permettront de relier le parc au bassin Saint-Pierre. Le hall aura la possibilité d’être accessible en dehors des heures d’ouverture de la bibliothèque. Dans l’aile sud : une brasserie animera en journée et en soirée les lieux. Dans l’aile ouest sera construit un espace d’exposition avec un « forum citoyen ». Dans l’aile nord : un auditorium. Depuis le centre du bâtiment, via les escalators et l’ascenseur central, le public aura accès aux quatre pôles qui occupent chacun des ailes du bâtiment : les arts à l’est, les sciences humaines au sud, la littérature à l’ouest et les sciences et techniques au nord. Le bâtiment marie rayonnages et nouvelles technologies de manière harmonieuse, personnalise chaque pôle en fonction de ses usages (exemple : un mur de littérature dans le pôle littérature). La programmation s’est faite en concertation permanente avec les usagers, dans le but d’en faire une maison commune ouverte à tous. Le chantier démarrera en juillet 2013 pour une ouverture fin 2016.
« Architectures de la connaissance au Québec »
Jacques Plante nous a emmenés au cœur du travail des architectes en nous faisant voir et comprendre des bibliothèques, maisons de la culture, centres d’archives ou centres culturels, représentatifs de la société québécoise. Ces visites ont donné lieu à la publication d’un ouvrage qui contient 16 textes inédits d’auteurs reconnus, 33 textes de présentation et fiches descriptives de projet, 450 photographies et illustrations et 140 dessins en plan et en coupe. Jacques Plante nous a invités à découvrir l’évolution de ces établissements culturels du Québec et à admirer la transformation spatiale et fonctionnelle qu’ils connaissent depuis près d’un quart de siècle. La bibliothèque s’adapte aux usages autant qu’aux changements technologiques et sociaux : on peut aujourd’hui travailler, manger, jouer, tenir des réunions, dormir dans une bibliothèque. Même si Jacques Plante déteste l’expression de « troisième lieu », il ne peut que constater que la bibliothèque associe aujourd’hui les fonctions de la maison et du travail, mais attention, nous prévient-il, la bibliothèque ne peut pas non plus tout faire, et les inquiétudes des bibliothécaires doivent aussi être relayées par les architectes, d’où l’absolue nécessité d’une très forte collaboration tout au long des projets.
Pour conclure cette journée, Thierry Ermakoff, organisateur de la journée avec Christelle Petit, donnera le mot de la fin : « L’architecture est avant tout un art et un projet politique au service des citoyens. »
À méditer ! •