Enfance, arts et culture : bibliothèques nouvelle génération ?

Reine Bürki

Julia Morineau

Christelle Petit

Le 21 mai dernier, la bibliothèque municipale de Lyon accueillait dans son auditorium une journée d’étude organisée en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France / Centre national de la littérature pour la jeunesse à l’occasion de la manifestation RéCréation (voir encadré page suivante). Ces deux institutions étaient représentées par leurs directeurs, Gilles Éboli (BmL) et Jacques Vidal-Naquet (CNLJ), qui ont introduit le thème de l’enfance, des arts et de la culture, et offert la parole à des intervenants d’horizons différents : danse, théâtre, arts plastiques, édition, bibliothèques… Si l’enfant et les arts étaient au cœur de cette réflexion partagée, les notions de qualité et de transversalité se sont également imposées comme les mots conducteurs de cette journée.

« Décloisonner les territoires, l’offre et les publics… »

Ce sont les termes qui résument le mieux la réponse à la question de l’accès aux arts et à la culture du jeune public. C’est ainsi que Gilles Éboli a conclu son introduction. Après avoir exploré la polysémie du mot « génération » – générer de nouveaux publics mais aussi une nouvelle génération du public qui co-construit la bibliothèque – il s’est intéressé au rapport entre générations à travers l’art et la culture, pour interroger l’intergénérationnel. Si la bibliothèque et l’institution publique en général doivent mieux prendre en compte le jeune public en termes de moyens, l’offre doit pouvoir, elle, être tout public. Ainsi, en plaçant l’enfant au cœur de la bibliothèque ou de l’institution culturelle, la portée de l’offre doit être trans-arts, trans-médias et trans-générationnelle.

Dominique Hervieu (Maison de la Danse, Lyon) et Nino d’Introna (Théâtre Nouvelle Génération, Lyon) ont partagé ce point de vue en l’étayant de leurs expériences et de leurs politiques de programmation respectives.

Pour Dominique Hervieu, la seule différence d’une programmation pour le jeune public, c’est le format : des propositions moins longues. Mais le critère primordial est la qualité : « Tenter d’avoir le meilleur dans tous les registres. » Il ne s’agit pas de sous-spectacle pour les enfants mais plutôt d’un condensé, une essence du spectacle. Ce qui importe, c’est l’émotion, le choc esthétique du spectacle, puis l’œuvre parle d’elle-même. Tout part donc de l’expérience kinesthésique, sans restriction du registre exploré ni de l’exigence. Dominique Hervieu souligne que, selon elle, on assiste a contrario à une infantilisation du public adulte qui, dans le contexte actuel de crise économique et sociale, veut du divertissement.

Nino d’Introna insiste sur le besoin de décloisonner qu’il associe à la curiosité : aller vers ce que l’on n’est plus ou pas encore. Au théâtre, le jeune public est le plus difficile à satisfaire. Il accroche ou décroche mais ne compose pas. Le problème de notre société, selon lui, est d’avoir besoin de créer un lieu de l’enfance et corollairement de ne pas savoir gérer cet endroit dont on n’a aucun souvenir, avec toujours le risque de l’infantilisation. Il lutte contre le mépris du spectacle jeunesse. Dans les journaux par exemple, le spectacle jeunesse n’est pas classé à la rubrique spectacle ou culture mais à loisirs ou divertissement. Nino d’Introna défend le spectacle tout public, à partir de 3, 6 ans, auquel on adapte un rythme et une durée. Au-delà de cette contrainte de format, la proposition doit être intergénérationnelle puisque, avec des classes ou des familles, il y a toujours des adultes aux côtés des enfants. Alors le spectacle doit pouvoir parler à tout le monde.

Retours d’expériences sur l’offre artistique numérique en bibliothèque

Laure Deschamps, créatrice du blog La Souris grise 1 et du Crak  2 (« Cercle des éditeurs d’applications pour les Kids »), a expliqué son projet et son offre au service de la communauté professionnelle et des parents. La Souris grise est un lieu de conseil à partir de choix personnels assumés par Laure Deschamps qui a pour ambition de révéler les bonnes applications jeunesse pour tablettes. Dans ces applications, la frontière livre jeunesse et production artistique est très mince. La plupart du temps, ce ne sont pas des livres homothétiques mais de nouvelles créations. Les bibliothécaires sont en attente de conseils sur cette offre pour savoir par exemple déterminer l’âge du public de telle ou telle application. Le Crak – version professionnelle de La Souris grise – aide l’édition numérique jeunesse de qualité à avoir une visibilité.

Christine Péclard, directrice de la médiathèque Marguerite Duras (Paris), a exposé son projet artistique au service de l’action éducative et sociale. Elle a notamment présenté les actions de son équipe pour aider les jeunes en situation de déscolarisation. Dans le cadre d’un dispositif de socialisation et d’apprentissage (DSA), elle est revenue sur leur projet artistique photos-vidéos autour du graffiti dans la ville  3.

Alexandre Simonet, responsable prospective et médiation-expérimentation des nouveaux usages numériques à la bibliothèque Carré d’Art de Nîmes  4, a présenté le projet Kibook au service de la créativité individuelle et des pratiques culturelles en attente d’être révélées. Ce projet autour du livre d’artiste numérique permet à tous de créer son livre d’artiste en ligne : chacun devenant un webJ d’un jour (celui qui mixe sons et images, comme le DJ mixe les sons).

La culture au cœur des territoires

Plusieurs interventions se sont partagé la notion de territoire, envisagée selon des déclinaisons différentes : la mise en œuvre d’ateliers à l’école par une artiste plasticienne, la création de partenariats entre une association et des lieux culturels, un exemple de politique culturelle appliquée dans une communauté d’agglomération…

Camille Llobet (artiste plasticienne) a présenté sa démarche expérimentale autour du son, de l’image et des arts plastiques mise en œuvre avec des enfants de maternelle dans le cadre d’une résidence d’artiste : concert de petits bruits, bruitage de films de Jacques Tati ou des frères Lumière, écriture de partitions sonores… Cette intervention (ou « comment parler d’art aux enfants ? ») et les vidéos présentées à cette occasion ont donné toute leur mesure à l’adhésion et à l’investissement des enfants invités à ouvrir l’œil et l’oreille pour une expérience sensible de l’art ! Un travail à suivre dans le cadre de la mission Enfance, Art et Langages  5 mise en place à Lyon pour une éducation artistique et culturelle au quotidien.

RéCréation, art et culture nouvelle génération

Ce nouveau programme de la bibliothèque municipale de Lyon  1*, a pour objectif de mettre en œuvre des propositions à certaines des interrogations essentielles que se posent les bibliothèques : quelle est l’identité d’une bibliothèque et que peut-on/doit-on y proposer ? Comment toucher de nouveaux publics ? La bibliothèque peut-elle être un lieu de création ?

Pendant trois mois, du 6 avril au 29 juin 2013, sur 17 lieux, avec 28 partenaires, 16 expositions et 110 rendez-vous animent les bibliothèques de la ville de Lyon : concerts, rencontres d’artistes, séances de cinéma, ateliers de création, spectacles de théâtre ou de danse, visites de coulisses… toute une explosion d’événements pour jouer, créer et rêver autour de la création, à destination des enfants de tous âges.

Spécialement investi à cette occasion, le site de la bibliothèque Part-Dieu a été pensé comme une ville imaginaire, une « cité de la culture » en trois quartiers : celui des arts plastiques, celui des arts numériques et celui des arts vivants. Au sein même de cette ville, le voyage emmène le visiteur dans l’imaginaire d’artistes stéphanois, lyonnais, chinois, italiens… ou dans celui du visiteur lui-même, invité à participer, à créer des dessins par son souffle, des sons grâce au toucher, à jouer avec les mots et les images numériques, à impliquer tout son corps dans la cabane de la danse ou le vidéomathon théâtral. D’autres espaces sollicitent davantage la rêverie musicale (un orchestre meccanium) ou le partage de la lecture (le Jardin Bibliothèques).

Pour se repérer dans cette nouvelle ville, une médiation intelligemment pensée a fait préférer, aux habituels cartels, la présence à la fois bienveillante et efficace d’animateurs (des enfants, lors de l’inauguration à la Part-Dieu) qui savent donner les premières clés d’accès aux œuvres ou les codes de la participation possible. Cet événement multiforme, accompagné d’un site web  2*, a nécessité un investissement exceptionnel en budget et en temps, avec dix-huit mois de préparation, selon Violaine Kahnmacher, commissaire de l’exposition et responsable du département jeunesse.

Et le résultat est enthousiasmant : petits et grands se laissent facilement happer par le dispositif, par la beauté ou le jeu de la création, au sein de la bibliothèque vivante, bien vivante.

  1. (retour)↑  http://www.bm-lyon.fr/actualites/programme-recreation.pdf
  2. (retour)↑  http://recreation.bm-lyon.fr

Nathalie Guimard a abordé la question des partenariats à travers l’exemple de Fotokino  6, association tournée vers les arts visuels, qui organise depuis 2004 le festival Laterna Magica s’adressant aux petits comme aux grands. Un territoire de l’art qui a su investir les galeries, les théâtres, les cinémas, les librairies, les écoles d’art, mais également les bibliothèques par des expositions comme celles présentées à la BMVR de Marseille et à la MLIS de Villeurbanne. Si cette intervention a mis en avant l’importance des partenariats avec des lieux culturels, elle a aussi évoqué la réalité des difficultés parfois rencontrées pour l’organisation et le financement des projets, les problèmes logistiques ou l’accueil des publics.

Réinscrivant la question de l’éducation artistique et culturelle à l’échelle d’un territoire géographique, Isabelle Suchel-Mercier, directrice des affaires culturelles de Roanne (et anciennement responsable de médiathèque), a relaté la mise en œuvre d’une politique culturelle associant la ville et l’Éducation nationale autour d’un projet de résidence d’artiste dans des établissements scolaires. Cette initiative s’est inscrite dans un « plan local d’éducation artistique et culturelle » formalisé par un cahier des charges, et rassemblant les différents acteurs dans un « espace projet ». Un contrat territoire-lecture signé par la ville de Roanne et la Drac s’est par ailleurs mis en place à travers le dispositif « La boîte à mots » 7, projet rattaché à la médiathèque en partenariat avec les associations, les centres sociaux, les familles, pour inscrire la culture au cœur du territoire.

Sophie Curtil (artiste et conceptrice des collections « L’Art en jeu » du Centre Pompidou et « Kitadi » du musée Dapper) était invitée à clore cette journée par son regard porté sur quarante ans de médiation culturelle à destination du jeune public. Forte de son expérience, elle a souligné l’aptitude de la bibliothèque à rassembler et faciliter l’accès des familles à la culture, car gratuite mais aussi, selon elle, plus visible et accessible que le musée : une capacité à « faire du lien ».

Cette journée a permis d’enrichir le regard porté par les bibliothèques sur le jeune public grâce aux témoignages et aux expériences croisées de différents intervenants culturels, mais a également souligné l’importance pour les bibliothèques de savoir valoriser leurs actions en direction des jeunes publics : une disposition à promouvoir auprès des tutelles, mais aussi peut-être une carte à jouer dans la perspective des nouveaux rythmes scolaires. •