Eblida 2013
Annie Dourlent
Eblida a réuni son « Council meeting » (assemblée générale) à Milan, les 14 et 15 mai 2013, et a organisé en même temps, avec le forum « Naple », une conférence d’une journée. Naple (National Authorities on Public Libraries in Europe) est un forum des autorités publiques (ministères et agences) qui travaille sur les politiques et les stratégies de développement des bibliothèques.
Présentation d’Eblida
Bureau européen des associations de bibliothèques, de l’information et de la documentation, Eblida est une fédération indépendante regroupant des associations de bibliothèques, de services d’information, de documentation ou d’archives, ainsi que des établissements. Présidée par Klaus-Peter Böttger, directeur de la bibliothèque municipale d’Essen (Allemagne), et dirigée par Vincent Bonnet, l’association a son siège à La Haye.
Les objectifs d’Eblida sont : favoriser la communication entre ses membres sur les sujets d’intérêt commun, la concertation avec les institutions européennes, représenter les bibliothèques et le secteur de la documentation, de l’information et des archives, promouvoir leur rôle et les intérêts, tant des institutions que des professionnels.
Travaillant principalement sur les problématiques de la société de l’information en Europe, le droit de la propriété intellectuelle, la culture et l’éducation, Eblida défend un accès sans entraves à l’information à l’ère du numérique, et le rôle des bibliothèques et des services d’archives pour permettre l’accès de tous à l’information.
37 pays de l’Union européenne y sont représentés (47 associations professionnelles et 64 établissements). Les membres français d’Eblida sont l’ABF, l’ADBU, la BnF, la BPI, l’université Paris Descartes.
En 2012, l’activité d’Eblida s’est renforcée sur la question jugée prioritaire des e-books, avec la mise en place d’un groupe de travail piloté par Gerald Leitner (secrétaire général de « BVÖ – Büchereiverbands Österreichs », l’interassociation des bibliothèques autrichiennes). Le groupe a réuni des informations sur les difficultés rencontrées par les bibliothèques sur cette question, a participé à plusieurs réunions avec la Fédération des éditeurs européens et, dans le cadre de l’Union européenne, accentué l’activité de lobbying à Bruxelles, a travaillé à des recommandations pour des « licences équitables » et participé à de nombreuses réunions dans différents pays. Constat est fait d’une position très fermée des éditeurs.
Devant la difficulté à faire entendre la voix des bibliothèques, le Conseil 2013 a adopté une position offensive 1, qui souligne notamment l’interprétation restrictive que font les éditeurs sur l’épuisement des droits de distribution qui s’applique aux livres imprimés, et ne s’appliquerait pas, selon eux, aux livres électroniques, n’autorisant pas les bibliothèques à les prêter sans autorisation expresse des ayants droit. Il faut savoir que cette interprétation est désormais attaquée devant la Cour européenne de justice par une association allemande de consommateurs. La déclaration d’Eblida se conclut ainsi : « Eblida demande à la Commission européenne d’adapter le droit de la propriété intellectuelle et du copyright, de façon à autoriser les bibliothèques à acheter et prêter des e-books tout en permettant une rémunération appropriée des auteurs et des ayants droit. Un cadre adapté des droits d’auteur doit donner la possibilité aux bibliothèques de continuer à proposer leurs services pour le bénéfice de tous les citoyens. »
Une campagne européenne est envisagée et proposée aux associations nationales, avant l’échéance des élections européennes en 2014. Et c’est d’ailleurs pour « coller » à l’agenda européen que la prochaine réunion du Conseil aura lieu en mai 2014 à Athènes, la Grèce exerçant à cette période la présidence de l’Union européenne.
La conférence Eblida-Naple « Ready ? Read ‘e’ »
Ce débat en a été le point central comme l’indique le titre de la conférence, jeu de mots quelque peu difficile à traduire efficacement. Il fut donc question de l’évolution des pratiques de lecture, de l’accès des bibliothèques aux ressources électroniques et des conséquences sur la liberté d’accès à l’information, de la stratégie à l’échelle européenne et au niveau national.
Androulla Vassiliou, commissaire européenne pour l’éducation, la culture, le multilinguisme et la jeunesse, a transmis par vidéo sa vision du rôle des bibliothèques pour développer l’environnement numérique de la connaissance, en soulignant entre autres l’importance d’Europeana. Luigi Berlinguer, député européen italien, a apporté un soutien ferme aux bibliothèques en affirmant sa conviction que le droit de la propriété intellectuelle doit être adapté pour ne pas être un obstacle au prêt de ressources électroniques par les bibliothèques. Il défendra une initiative en ce sens auprès de la Commission européenne.
Gino Roncaglia, professeur à l’université Tuscia (Viterbo, Italie), a fait une intervention remarquée sur le nouvel écosystème de la lecture qui se développe au-delà du média traditionnel qu’est le livre, dans les SMS, sur les blogs, sur Twitter… Le web offre un nouveau paysage, d’une grande complexité, avec une fragmentation de l’information qui favorise une lecture horizontale sans diminuer sa complexité verticale. Il convient donc d’intégrer cette complexité pour favoriser les compétences informationnelles. Les bibliothèques peuvent produire des contenus multimédias, des métadonnées, des couches d’information et de liens. Elles doivent aussi prendre en compte, tout autant que la conservation et la question de l’accès aux contenus, leur rôle pour aider à la maîtrise des compétences informationnelles, en permettant l’enrichissement personnel et l’autonomie des citoyens, en proposant des modes collaboratifs de lecture, de production de contenus, un écosystème de « droits à la lecture et à l’écriture ».
Lors de la table ronde qui a suivi, Maria Heijne (Institut pour les bibliothèques publiques – Pays-Bas) a fait remarquer la difficulté pour les ministères ou agences ayant dans leurs compétences l’interprofession du livre de soutenir une campagne comme celle proposée par Eblida. Elle a suggéré d’avoir, avec cette campagne, une stratégie à long terme sur la modification du droit du copyright, mais de poursuivre, à court terme, les négociations avec les éditeurs sur les points d’achoppement : accès à des flux ou à des téléchargements, licences équitables, accès sur site ou à distance, nombre de prêts simultanés, et bien sûr la question des tarifs.
Klaus-Peter Böttger, président d’Eblida, a conclu la matinée en rappelant les enjeux liés non seulement aux activités des bibliothèques, mais plus globalement à la démocratie, et que les intérêts économiques ne doivent pas entraver l’intérêt général.
Trois ateliers ont permis des échanges actifs. Le développement de services liés au numérique a été mis en avant, ainsi que celui de partenariats permettant aux bibliothèques de proposer leurs services sur d’autres plateformes que leurs propres portails. La nécessité de mieux promouvoir et faire connaître les bibliothèques dans l’environnement politique a également été soulignée.
Luca Bergamo, secrétaire général de Culture Action Europe, a élargi la problématique en soulignant les changements considérables à l’œuvre en Europe : démographie, économie, dans un contexte de mondialisation qui peut mettre en cause l’exercice de la souveraineté des citoyens (147 compagnies multinationales contrôlent 40 % des richesses mondiales). Dans ce contexte, Culture Action Europe souhaite se situer, non plus comme « l’avocat des arts et de la culture » mais comme un « activiste » d’une Europe juste, durable et démocratique. Prolongeant cette approche, les participants ont suggéré que les bibliothèques mettent davantage en avant leur rôle fondamental dans la citoyenneté et l’exercice de la démocratie (formation tout au long de la vie, partage des savoirs, intégration des nouveaux arrivants, diversité culturelle..). Les associations professionnelles pourraient interpeler les partis politiques dans le contexte des prochaines élections européennes, identifier les politiciens pouvant porter la voix des bibliothèques – au-delà des partis –, et tireraient bénéfice à se rapprocher des autres institutions culturelles.
En guise de conclusion, il convient de souligner à quel point ces échanges, ces confrontations de points de vue, ces rapprochements, contribuent à enrichir la réflexion en la portant au plan européen. Les questions qui sous-tendent la plupart des rencontres professionnelles françaises en ce moment sur les missions des bibliothèques, leur place dans la cité, le rôle des bibliothécaires, ont tout à gagner à s’élargir à l’Europe. Souhaitons que les associations professionnelles françaises renforcent leur présence et leur participation à Eblida ! •
1. http://www.eblida.org/News/The%20right%20to%20e-read.pdf